Sur le chemin
sur la terre écorchée
des chemins de halage
l’enfant abandonné
allait pieds nus
dans la brume égarée
des ailleurs défendus…
le sable blond
qui bouge sur la plage
labourée par des vents
avale les rêves goulus
et les jeux interdits
de l’enfance qui se damne…
le soleil qui brûlait
la peau tendre
des jeunes conquérants
cache honteux
sa face écarlate dans les eaux fangeuses
des marais cannibales…
sur les pentes moussues
de la forêt des yeuses1
chevelues
l’enfant perdu
sourd à l’appel
des dryades2
se laisse prendre
par les envoûtements…
L’autre
Dans la clarté grisée
D’un petit matin d’été
Au détour
D’une sente obligée
M’apparut léger
Comme un nuage d’argent
Soulevé par le vent
L’écuyer indompté
Monté sur un cheval
Aux sabots coruscants3
Et aux crins enflammés.
Abandon
Il est parti
Très loin d’ici
Celui qui emplissait
La maison de lumière…
Il est parti
Un soir d’été
Vers des rives
Incertaines
Et le bruit de ses pas
Arrive assourdi
Tout au fond de l’oubli…
Où donc es-tu ce soir
Toi qui posais
Un sourire sur nos plaies ?
Où t’en es-tu allé
Toi dont la tendresse
Fraternelle brisait
Le silence douloureux
Des déserts ?
Où est celle aussi,
Qui veillait solitaire
À l’ombre glacée
Des cyprès, inscrivant
Sur la pierre moussue
De ta tombe
Sa révolte et sa peine ?
Pourquoi es-tu parti
Nous laissant seuls,
Désarmés et blessés
Sur le bord du chemin
Au milieu de nos vies ?
J’attends…
j’attends
le retour des étoiles
je compte les jours
J’écris sur la vitre
qui s’embrume
ce que je n’ose dire
j’attends
que les dernières lueurs
s’épuisent
sous le voile de la nuit
J’attends
que mes yeux acceptent
sa couleur
J’attends
l’arrivée du grand paon
aux ocelles profondes
qui emportera l’attente
et l’espoir timide
d’un soir qui promettait…
Si j’étais
Si j’étais un oiseau
Si j’étais riche
Si j’étais un bateau
Si j’étais lui
Si j’étais autre
Je serais…
Arrête de dire si j’étais,
Arrête tes plaintes …
Cesse tes jérémiades …
Sois celui qui est
Sans te soucier
De ce que tu pourrais être…
Alors tu seras l’oiseau
Qui se désaltère
Aux eaux bleues
Du ciel…
Alors tu seras le vent
Qui guide le voilier
Sur l’immensité océane…
Alors tu seras libre
Alors tu seras riche
D’être ce que tu es…
Les relations d’incertitude
Des relations d’incertitude
Nouées sur les sables mouvants
Aux confins des extases
Et de l’errance
Que reste-t-il ?
Il n’y a que le vent
Qui se souvienne
Des caresses anciennes et furtives
Dispersées
Dans la froideur
De nuits pleines de peurs
Et de regrets…
Que sont ces lémures
Obsédants et cruels
Qui brûlent les mémoires
Lorsque les soleils noirs
Consument les attentes
Des timides espérances ?
Ce ne sont que souvenirs
Brûlants et fugitifs
D’amours passagères :
Tendresses éphémères,
Baisers volés
Qui refusent l’oubli…
VIEILLESSE
Les déesses vacillantes
sous l’arme blanche
des déserts d’obsidienne
offrent au vent d’orient
leur chair paradoxale…
L’air chaud
du sable noir
comble l’occiput
et les creux de la face…
Les soleils assassins
de l’arrière-saison
et des étés indiens
parcheminent la peau grêlée
des vieilles
qui se souviennent…
Sous l’arme blanche
des déserts d’obsidienne
les grands rapaces
les ailes sombres
et le bec affamé
déchiquettent le corps usé
des déesses sans nom…
DÉCHIREMENT
à l’heure volatile
où se dissout la nuit
l’orient en feu mûrit
de ses pourpres matinales
les fruits verts
des amours périssables…
l’orbe arborescent
de l’astre qui se cherche
inscrit dans son cercle infernal
la sinople4 des promesses trahies
le jour sans voix
d’une pâleur de limbes
continue sa marche nonchalante
vers la nuit qui attend…
PORTRAIT CHINOIS
Si j’étais une fleur, je serais myosotis et je saurais vous dire en relevant ma tête bleue : surtout « forget me not ».
Si j’étais un animal, je serais un chat lové dans le creux d’un fauteuil cramoisi : un chat angora qui ronronne sous les caresses.
Si j’étais un mot, je serais secret : mot de passe et mot d’encre susurré.
Si j’étais un vêtement je serais le voile qui cache et en même temps dévoile…
Si j’étais un paysage, je serais un paysage dans le brouillard au milieu d’étangs et de marécages.
Si j’étais écrivain, je serais « la bonne dame de Nohant » à l’écoute de ses paysans au cœur mystérieux de la vallée noire.
Si j’étais un pays, je serais un pays sans frontières, perdu dans un coin luxuriant de l’éden.
Si j’étais une époque, je serais une époque à jamais révolue…
Si j’étais une pensée j’aimerais qu’elle hante comme un remords celles de ceux que j’aime… de ceux qui me sont chers… et qui m’ont oubliée.
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1 Yeuse : chêne qui conserve ses feuilles vertes en toute saison ; encore appelé chêne vert. (Littré)
2 Dryade : divinité gréco-latine qui demeurait dans les bois et qui y présidait. (Littré)
3 coruscant : qui brille d’un éclat étincelant. (Littré)
4 sinople : terme de blason de couleur verte – terme de minéralogie : variété de quartz hyalin. (Littré)
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