Chroniques Tribunes

Et si on pouvait choisir ses Racines?

 

  *     On ne choisit pas son pays,

on ne choisit pas sa famille

on ne choisit pas son nom et son prénom,

et si on pouvait choisir ses racines ?

C’est une question que l’on peut se permettre de poser, dans un monde où beaucoup de valeurs intrinsèques et qui semblaient intangibles se voient remises en question en ce début de XXIème siècle.

« Être né quelque part »

C’est toujours un hasard, comme le chante Maxime Le Forestier.

Ayant « choisi » de vivre à Bouillargues dans le sud du Gard, je m’amuse toujours à expliquer aux natifs de la ville qu’ils y sont nés par hasard, et qu’ils n’ont aucune fierté à en retirer, ni aucun mérite, alors que dans mon cas, c’est un choix volontaire et délibéré.

En ce sens, je suis plus bouillarguais qu’eux, puisque c’est librement que je m’y suis établi. Le hasard ayant voulu que je naisse à Toulouse, ce qui dénote déjà une certaine chance au tirage, par rapport à Manille ou Alger…

Mais de là à dire que j’ai des racines bouillarguaises, il y a un pas que je ne franchirai pas, laissant cette caractéristique à mes amis bouillarguais.

« Des Racines Toulousaines »

Je suis né à Toulouse, dans le quartier de Jolimont, une colline située au nord de la gare Matabiau.

J’y ai passé 20 ans, en ayant eu le temps d’écumer le quartier et de m’imprégner de la ville rose, et que je retrouve dans les paroles de la chanson de Nougaro.

« l’église St Sernin, illumine le soir » Oh Toulouse de Claude Nougaro

 J’ai vécu dans une petite maison de ville sans jardin.

Or le propre des racines, c’est de pouvoir s’ancrer dans le sol.

Par définition, « la racine est un organe généralement souterrain des plantes vasculaires, qui les fixe au sol et qui assure leur ravitaillement en eau et sels minéraux. »

Or si j’ai disposé des terrains vagues voisins, je n’ai pas eu de sol personnel à m’approprier. Je n’ai pu en retirer la substantifique moëlle, composée d’eau et de sels minéraux. D’où l’impression d’un certain flottement, avec cet empêchement de planter mes racines dans le sol.

Je me suis bien sûr imprégné de toute la culture toulousaine de l’époque (1944-1964), mais en gardant un certain retrait, comme si je ne pouvais m’imprégner de la vitalité du sol.

Au sens propre, je ne disposais pas de ces racines physiques liées à la pénétration dans le sol, comme c’est le cas pour un arbre.

Mais c’est là que l’on peut ouvrir le débat, les racines doivent-elles être « physiques », ne peuvent-elles n’être qu’un lien solide, une attache profonde à un milieu, un groupe, en passant du sens propre au sens figuré ?

C’est là toute l’ambiguïté de mon raisonnement

Si l’on en reste à la définition littéraire, mes racines sont indubitablement toulousaines, mais si l’on veut coller à l’attachement à la Terre, à la Nature, on devient libre de faire un autre choix.

Et pour illustrer mon propos, j’évoquerai l’exemple de mon grand-père maternel, Umberto Lui, qui synthétise à lui seul la complexité du problème.

« Des Racines Brésiliennes ou Italiennes »

Umberto est né en 1893 à Araraquara, commune du Mato Grosso au Brésil.

Ses parents avaient émigré d’Italie au Brésil en 1891.

Umberto Lui à 20 ans, à son arrivée en Italie

Il vécut 20 ans là-bas, dans une plantation de café, et rentra en Italie en 1913, avec une partie de sa famille, juste à temps pour aller faire la guerre.

Face au chômage et au fascisme, il émigra en France en 1931.

Il a donc vécu 20 ans au Brésil, et 18 ans en Italie. Et passa en France le reste de sa vie.

Question : ses racines sont-elles brésiliennes ou italiennes, ou pourquoi pas françaises ?

Si je m’en réfère à mes souvenirs d’enfance, pour moi, il était italien. Je ne l’ai que très rarement entendu évoquer sa vie au Mato Grosso, et s’il parlait de sa famille, c’était celle qui vivait à Schivenoglia en Italie. Il n’évoquait jamais son frère et sa sœur restés en Amérique du Sud.

Mais comme il disait souvent que sa patrie, c’était le pays qui lui permettait de nourrir sa famille, on pourrait imaginer des racines françaises, et tordant un peu les concepts « racines » et « patrie ».

C’est la réponse qu’il m’aurait sans doute faite si je lui avais posé la question.

Umberto était un précurseur, en ayant vécu dans 3 pays sur 2 continents.

Son exemple s’est depuis généralisé, les mouvements de population s’étant amplifiés, notamment pour des raisons professionnelles, avec l’expatriation.

Beaucoup de français sont partis vivre à l’étranger, Usa, Canada, pays européens, Australie, etc.

Ils ont souvent épousé des autochtones, ou des expatriés comme eux, et fondé une famille sur place.

Un bon ami dispose d’un fils établi en Irlande, et d’un autre en Australie. Leurs enfants auront des racines irlandaises et australiennes.

Les exemples ne manquent pas, dans toutes les familles.

Qu’en sera-t-il de ces enfants et de leur descendance ?

Comment se feront les échanges entre les descendants?

Je reprends mon exemple familial brésilien.

Depuis l’an 2000, nous avons retrouvé les descendants du frère et de la sœur aînée de mon grand-père Umberto.

La famille est établie dans l’État de Sao Paulo. Ils ne parlent plus italien, le portugais est leur langue maternelle. Nous échangeons en anglais.

Une chose est sûre pour eux, leurs racines sont complètement brésiliennes. Et plus précisément de Sao Carlos, la ville où ils sont nés et où ils habitent, située à 300 kms de Sao Paulo.

Le lieu de naissance n’implique pas l’attribution de racines locales.

Un exemple personnel, pour des raisons professionnelles, nous avons beaucoup bougé.

Notre fils Raphaël est né à Grenoble, d’où nous sommes partis 15 jours plus tard.

Notre fille Anne-Lise est née en banlieue parisienne, que nous avons quittée pour Caen quand elle avait 8 ans.

Notre fils a-t-il des racines dauphinoises ? Certes non.

Idem pour notre fille. Ils vécurent ensuite leur enfance à Caen, Toulouse, Biarritz et Rouen.

C’est maintenant qu’il faut, à partir de cet exemple, imaginer la solution des racines choisies.

En 1970, mes parents, vivant dans leur maison de ville à Jolimont, quartier de Toulouse, firent le choix d’acheter un terrain dans la grande banlieue.

Ils finirent par acheter un bois de 3 ha près de Caraman, à 25 kms de la capitale occitane, sur la route de Revel.

Ils y firent construire une maison avec 3 pièces en rdc et un immense grenier bas de plafond où furent installés de nombreux lits pour les enfants.

* photo titre : la maison familiale de Caraman

 Dès leur naissance, nos enfants prirent l’habitude d’y faire de fréquents séjours. Caraman devint le lieu de rencontre de la famille.

De même leurs enfants prirent l’habitude d’y venir.

C’est aujourd’hui le lieu incontournable où la famille se réunit pour Noël.

Nos petits enfants viennent de Rabastens, de Toulouse et de Paris.

Caraman fait depuis leur naissance partie de leurs racines.

Descendant de Paris, les 3 garçons Charles, Alexandre et Grégoire, s’occupent de l’entretien du bois où il y a beaucoup de travail de bûcheronnage à accomplir. Ils sont donc proches de la terre, de la nature, et ils pourraient prétendre à des racines caramanaises, s’ils n’avaient pas aussi du côté de leur mère des racines normandes, dans un village près de Condé/ Noireau.

 En créant Caraman, mes parents se sont donnés la possibilité d’avoir choisi leurs racines en ce lieu.

Notre fils Raphaël avait des projets d’agrandissement et d’embellissement.

Mon frère Bernard y consacre beaucoup de temps, à l’entretien des lieux, maison et bois.

Quant à nous, nous y allons plusieurs fois par an, notamment à Noël.

Personne n’y est né, mais tous ont des souvenirs personnels et familiaux.

Caraman est ainsi entré dans l’histoire de la famille.

C’est pour toutes ces raisons, que je revendique la possibilité de racines caramanaises.

Vue aérienne du bois et de la maison

Paroles de la chanson Né Quelque Part par Maxime Le Forestier

On choisit pas ses parents,
on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus
les trottoirs de Manille
De Paris ou d’Alger
Pour apprendre à marcher
Être né quelque part
Être né quelque part
Pour celui qui est né

c’est toujours un hasard
Nom’inqwand’yes qwag iqwahasa
Nom’inqwand’yes qwag iqwahasa

 

Contributions Amicales :

 « Né à Paris d’une mère normande et d’un père uzétien, où voulez-vous Monsieur Barrès que je m’enracine ? »

C’est la réponse de Gide à l’enracinement prôné par la droite nationaliste de son époque.

 Elle me tourne en tête depuis fort longtemps. Elle ne nie pas la notion de racine mais pose la question du où et par extension du comment.

 Comme tu l’évoques les racines sont nourricières. Elles nous constituent, nous fortifient et en quelque sorte nous étayent.

 La terre chère à Barres y suffit-elle ? Si oui, laquelle choisir ? Et cependant ces fonctions « nourricières » nous les ressentons bien. Elles prennent d’autres formes. Comment les appréhender ? Comment les définir ?

 À bientôt pour la suite !

 IP 

 Sacré menu au programme ce matin de breakfast à tendance britannique :  une magnifique et terrifiante question : quelles sont ses racines ? Les choisir ou ne pas les choisir ? Être ou ne pas être ses racines ? etc.

 Bien sûr, les conditions de sa naissance, sociales, géographiques, historiques, surtout quand elles sont extrêmes, déterminent largement son destin. Naître dans un village du Sahel, sur les trottoirs de Calcutta ou dans un appartement de l’Upper East Side new-yorkais, en Allemagne en 1920, même si rien n’est irréversible, il y a des chances que la vie des uns et des autres ne soit pas tout à fait la même.

 Choisir, bien sûr, on ne choisit rien de ce que nous chante Maxime, même pas de naître. Les parents veulent des enfants, font un enfant mais a-t-on jamais demandé à un enfant s’il voulait des parents…

 Et moi ? Et moi, Dans mon bain comme le chante Jacques… D’où serais-je ?

Mon père naît dans un petit patelin du Puy-de-Dôme, à 18 ans il est à Paris: était-il vraiment Auvergnat ? Il dit que oui quand ça l’arrange. Ma mère naît à Paris, sa mère – ma grand’mère – vient de la Normandie profonde, montée à Paris pour une vie meilleure, son père vient de la Mayenne pour les mêmes raisons. Mes racines sont-elles auvergnates ? Normandes ?

Même si j’ai des familiarités avec mes régions d’origine, cela ne peut pas compter pour des racines. Et puis Elisabethville, élevé par ma grand’mère, de 1 an jusqu’à 20 ans à plein temps et au -delà, jusqu’à ce que je vende et quittenotre maison vers mes 60. Et puis Mantes-la-jolie, mes 7 ans de secondaire au lycée, la naissance de l’équipe de rugby, ce n’est pas rien.

Elisabethville, Mantes, même chose, des souvenirs, des copains, plein de choses, des grands bouts de vie mais en quoi je pourrais parler de racines…

Plutôt des escales sur un tour du monde, peut-être un tour de vie…

 Je t’entends bien parler de racines, au sens de ce qui t’enracine, te nourrit, te permet de grandir, te colore, alors je n’ai pas de lieu,

j’ai deux personnes : ma grand’mère, mon instituteur.

Quelqu’un un jour a dit ; “on n’est pas du pays où on naît, on est du pays où on meurt”

Pays, patrie, racines ? J’aime bien la réponse “citoyenne” de ton grand père Umberto.

MB