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Le Ravissement de la rectrice – (I) L’enlèvement

[Au cœur de ce récit érotico-policier de D. Dimitrievich, une entreprise subversive dont chacun jugera s’il la considère comme réactionnaire ou révolutionnaire.]

Où l’on fait connaissance avec un certain commissaire

rectorat_1Le commissaire Latrouille devrait s’extraire sans barguigner de la couche moelleuse qu’il partage avec sa maîtresse du moment, la ravissante Gladys, vingt-cinq ans, une créole à la peau dorée et aux yeux verts qu’on croirait sortie d’un magazine de mode bien qu’elle ne soit qu’une modeste employée de la mairie du chef lieu. Au lieu de sauter du lit, il s’accorde quelques minutes de détente en admirant les mensurations presque parfaites du corps entièrement dénudé (à quoi bon, sans cela, les tropiques ?) de sa chérie. Au lieu donc d’enfiler son pantalon et de se précipiter là où le devoir l’appelle, il se demande une fois de plus pourquoi elle l’a choisi, lui qui a le double de son âge et un corps qui certes « se tient » mais sans comparaison possible avec tous les apollons bien baraqués qui peuplent l’île, des compagnons tout trouvés pour les altières sirènes qui se baladent en toute liberté dans cette contrée bénie d’Eros. Ceci entraînant cela, il sent monter en lui puis constate une érection de jeune homme et envisage alors sérieusement de réveiller la belle Gladys et de retarder un peu plus le moment de se rendre là où il doit. Un reste de sagesse lui enjoint de repousser la tentation.

Hier après-midi, la réunion à la préfecture a mis sur lui une pression à laquelle il n’est pas accoutumé et il est resté, ensuite, au bureau aussi tard qu’il le fallait pour convaincre ses collaborateurs qu’il était bien sur le pont par un temps de tempête. Il est finalement rentré chez lui pour se jeter dans les bras (et plus) de la belle Gladys sur les coups de minuit, non sans avoir rappelé à l’inspecteur de garde qu’il fallait le réveiller sans hésiter au moindre développement de l’affaire. Comme il n’en fut rien, il en déduit que rien ne s’est passé et que l’enquête est encore au point zéro. Et il n’a toujours pas la moindre idée pour la faire décoller.

Dans son lointain département d’outremer la délinquance est habituelle, constante, normale. Personne ne s’offusque si les chiffres sont systématiquement moins bons qu’en Métropole : davantage de crimes de sang, d’incestes, davantage d’accidents de la route, de drogue, de petits délits qu’ailleurs, tous les indicateurs sont au rouge et personne ne viendrait embêter le commissaire pour si peu. Si les discours officiels promettent régulièrement la fin de la criminalité, il y a suffisamment de motifs pour ne pas s’offusquer lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous. La pauvreté, les problèmes familiaux, l’éducation : l’impuissance des politiques publiques en ces matières apparaît un argument suffisant pour expliquer (et excuser) l’inefficacité de la politique de sécurité. Et, bien sûr, derrière tout cela se dissimule le racisme plus ou moins conscient des ministres et autres personnes chargées de conduire les affaires du pays, une conviction bien ancrée quoique jamais exprimée, même en privé, que « ces gens-là », les habitants d’outre-mer, ne sont pas tout à fait des citoyens comme les autres, qu’ils ont encore un pied (si noir !) dans la jungle d’où on n’aurait jamais dû les tirer. Alors, maintenant que le mal est fait, on s’en accommode en tolérant l’inévitable de la part de demi-sauvages.

Jusqu’à hier, le commissaire Latrouille vivait donc une existence bien tranquille, en dépits de chiffres calamiteux, et tout le commissariat ronronnait gentiment avec lui. Les enquêtes suivaient d’autant plus doucement leur cours et finissaient par s’enliser. On ne s’activait que lorsque la victime était une personnalité capable d’exprimer son mécontentement en haut-lieu. Le commissaire était bien conscient par ailleurs de son manque d’autorité sur des subordonnés quasiment tous originaires de l’île et peu disposés à se laisser commander par un blanc par définition « esclavagiste ».

Ce matin-là, cependant, on est conscient de la gravité de la situation et tout le monde est présent à l’heure, au commissariat : la rectrice a disparu ! Des disparitions, il y en a sans arrêt sur l’île mais il ne s’agit que d’un époux volage ou d’un enfant fugueur qui finiront par reparaître, ou encore d’un truand dont on retrouvera le cadavre pourrissant dans un coin de mangrove : rien qui vaille la peine de s’émouvoir. La rectrice, numéro trois dans l’ordre protocolaire de l’administration déconcentrée, juste après le préfet et le président de la Cour d’appel, mérite qu’on s’active davantage. Le hic, comme le commissaire et ses adjoints se le répètent une nouvelle fois, c’est qu’il n’y a pas le moindre commencement d’une piste, ce qui promet un travail long et fastidieux pour un résultat plus qu’aléatoire. Et puisque nul parmi les personnes présentes n’envisage une telle perspective avec plaisir, c’est sans le moindre enthousiasme qu’on se répartit les tâches. La perspective d’une fugue amoureuse paraît peu crédible, la dame étant sans mari connu et a priori peu susceptible, à soixante ans bien sonné, de multiplier les amants, mais c’est quand même à vérifier. L’essentiel des efforts se portera sur le personnel du rectorat et de la résidence : c’est là où l’on doit pouvoir recueillir les informations, à défaut les rumeurs qui pourraient s’avérer utiles. Il faudra également déterminer si la dame a des amis sur place, mais comme elle n’a été que fraîchement nommée à son poste, on risque fort de faire chou blanc de ce côté-là aussi. Il faudra encore se mettre en contact avec la police de métropole qui aura à se renseigner sur le passé de la rectrice : on sait seulement qu’elle arrive de Toulouse où elle présidait aux destinées de l’université Paul-Sabatier. Avant toute chose, il convient de faire la tournée des indics, ces auxiliaires sans lesquels la police serait aveugle et sourde.

On envisage évidemment un enlèvement crapuleux, voire un acte terroriste. Le premier ne correspond cependant pas aux habitudes de l’endroit. Quant au terrorisme, si l’on effectue bien des contrôles de sûreté au port et à l’aéroport, comme partout ailleurs en France, personne ne croît que l’île puisse être prise pour cible. Et puis on n’a reçu jusqu’ici aucune revendication ni demande de rançon. Malgré tout, le préfet vient de faire savoir qu’il avait fait appel à deux enquêteurs de la brigade antiterroriste de la capitale qui prendront l’avion le lendemain. Grand bien leur fasse…

Après avoir réparti les tâches, le commissaire se retrouve oisif, situation habituelle quoique dans ce cas exceptionnellement inconfortable. Il ne peut décemment pas, comme à l’ordinaire, saisir un faux prétexte pour s’absenter du commissariat et disparaître quelques heures, le plus souvent sur son bateau et plus souvent que rarement avec Gladys, laquelle n’est jamais accablée de travail à la mairie au point de ne pouvoir s’en échapper chaque fois qu’elle en a envie. Ce jour-là, il décide d’accompagner l’inspecteur chargé du rectorat ; il se réservera l’interrogatoire du secrétaire général et des chefs de service.

On ne sait jamais ce qui peut sortir des interrogatoires des témoins éventuels. Rien de tangible le plus souvent. Le métier de flic est fondé sur la patience : lancer cent fois la ligne dans l’espoir de ramener un petit poisson. S’il est vrai qu’un cadre, quel qu’il soit, peut facilement se faire détester par certains de ses subordonnés qui se montrent alors tout disposés à le débiner, un tel déballage de linge sale n’apporte en général rien à l’enquête. En outre, la rectrice occupe son poste depuis si peu de temps qu’il ne faut trop s’attendre à des confidences fondées sur la malveillance.

De fait, les renseignements obtenus au rectorat se réduisent à rien ou presque. La rectrice a plutôt fait bonne impression. Elle ne semblait pas particulièrement soucieuse, simplement préoccupée, comme de juste, par la masse des problèmes qu’elle découvrait dans ses nouvelles fonctions. Personne ne l’a revue depuis l’avant-veille au soir, quand elle est montée dans sa voiture de fonction. Elle la conduisait elle-même, ayant renvoyé son chauffeur comme tous les soirs où elle n’était pas invitée à une réception ici ou là. À cette heure-là la bonne avait déjà quitté la résidence, après avoir préparé le dîner que la rectrice se servait elle-même (sauf quand elle invitait, ce qui s’était déjà produit une fois ou deux). Elle habitait seule : impossible donc, à ce stade, de déterminer si elle était passée chez elle avant de repartir pour une destination inconnue ou si elle avait disparu quelque part sur le trajet entre le rectorat et la résidence.

Du point de vue de l’enquête, la présence du commissaire est parfaitement superflue : on n’avait nul besoin de lui pour obtenir des renseignements aussi élémentaires. Il est pourtant loin d’être mécontent de s’être déplacé ; il est même tout-à-fait émoustillé depuis son entretien en tête-à-tête avec la chef du service des examens. Laquelle ne ressemblait en rien à ses homologues, lesquels ne cherchaient pas à donner une autre image d’eux que celle de responsables accablés de travail. Petite quarantaine, sexy comme ce ne devrait pas être permis, la chef des examens faisait un étalage immodéré de ses charmes. Juchée sur des talons démesurés, serrée dans un pantalon moulant, et, offrant sa poitrine généreuse en un décolleté outrancier à qui voulait bien regarder, elle ne pouvait laisser aucun mâle indifférent. Alors que Latrouille ne savait où poser les yeux au début de l’entretien, sa gêne disparut rapidement lorsqu’il comprit que la dame qui ne tenait pas en place et ne cessait de se pencher vers lui dans le but évident de lui offrir un point de vue plus plongeant encore sur ses appas, avait bien l’intention de le séduire.

Le commissaire n’est pas si étonné que cela. Il sait d’expérience que le pouvoir attire certaines femmes – et ce n’est pas rien, sur cette île, qu’un commissaire – et que, en outre, les femmes de l’île ne sont jamais mécontentes de mettre un blanc à leur tableau de chasse. Aussi en profite-il sans se poser davantage de questions. Il saisit un moment où elle se penche vers lui à nouveau pour attraper ses poignets et l’attirer à lui. Elle se dégage immédiatement… pour donner un tour de clef à la porte : il y a peu de chance d’être dérangée tant que le commissaire est dans le bureau mais l’on ne sait jamais…

Il y a des entretiens professionnels, il y en a de doux, le leur prend plutôt une tournure sauvage. Chacun baisse en hâte son pantalon. Il est assis, le membre déjà dressé ; à peine a-t-elle eu le temps d’y enfiler une capote qu’elle s’installe à califourchon, la chatte grande ouverte ; il la pénètre aussitôt. Il a tôt fait également de dégrafer le corsage et le soutien-gorge. Ils jouent ainsi un moment jusqu’à ce que, désireuse d’autre chose, elle débarrasse prestement son bureau, couche inconfortable mais propice puisqu’ils parviennent rapidement au nirvana. On comprend pourquoi notre ami Latrouille a l’air tout requinqué après avoir quitté sa partenaire improvisée.