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Chroniques martiennes (1)

« Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le menteur possède le grand avantage de savoir d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. »

Hannah Arendt, Du mensonge en politique

 

Avant-propos de l’éditeur

Cette relation d’un voyage sur Mars raconte le séjour que fit l’auteur sur cette planète pendant la nuit du 31 mars au 1er avril 2011. À coup sûr, l’événement est trop prodigieux pour être crédible. L’auteur lui-même en est d’autant plus conscient qu’il a peine à s’avouer pour véritable ce qu’il a vécu. Cependant les souvenirs qu’il en garde sont si présents, si réels à ses yeux et si surprenants, qu’il s’est décidé à les coucher sur le papier. Par la suite, ayant montré son récit à quelques amis, ces derniers l’ont convaincu de faire connaître plus largement ce qu’ils appelaient son « témoignage ». « L’exemple si consternant de Mars, lui dirent-ils, pourrait bien valoir chez nous, sur Terre. Certes nous avons la chance de nous mieux gouverner que ces Martiens, mais il ne peut être que salutaire de mettre sous les yeux de tous les habitants de notre planète ce qu’il faut surtout ne pas faire. Ainsi serons nous raffermis dans la confiance envers nos institutions et ferons nous tout ce qui est nécessaire pour les préserver. »

Ce raisonnement fut à peu près le nôtre lorsque le manuscrit nous est parvenu. Il nous est apparu nécessaire de le publier, le caractère invraisemblable du récit n’ôtant rien, selon  nous, à sa pertinence.

L’auteur, on le verra, n’a rien à raconter sur la manière dont il s’y est pris pour se rendre sur Mars. Interrogé par nos soins, il n’a rien pu nous dire d’autre que ceci : après une soirée passée à deviser agréablement avec des personnes de sa connaissance, il est rentré chez lui, à Paris, s’est mis au lit et s’est endormi. C’est alors qu’il s’est trouvé brutalement transporté sur Mars. Il n’y a pas eu de transition : l’instant d’avant, il était couché dans son lit ; l’instant d’après, il se trouvait face à un petit groupe de Martiens qui lui souhaitaient la bienvenue. Qu’il s’agît bien de Mars ne faisait aucun doute dans l’esprit de notre auteur et cela lui fut immédiatement confirmé par ses interlocuteurs. Chacun, Terrien ou Martien, s’exprimait dans sa langue mais comprenait immédiatement ce que l’autre disait.

Suivant le témoignage de l’auteur, les Martiens sont assez semblables à l’image que nous nous en faisons, puisque leur aspect est à peu près humain et qu’ils ont effectivement la peau verdâtre, à défaut d’être tout à fait verte. Il serait pourtant erroné de se les représenter comme les « petits hommes verts » de notre littérature enfantine, car ils sont en moyenne plus grands et plus corpulents que nous. Leur attitude envers l’habitant d’une autre planète fut des plus accueillantes. Jamais, au cours de son voyage, l’auteur n’eut à subir la moindre violence. Les Martiens étaient, certes, curieux de le rencontrer, mais jamais au point de l’importuner. Ils répondirent volontiers à toutes ses questions, la traduction ne présentant aucune difficulté de part et d’autre. Les réponses de ses interlocuteurs l’ont souvent désarçonné. C’est ce qui rend son récit si curieux et si intéressant à la fois.

Pour en revenir au voyage lui-même, l’auteur n’obtint là-dessus aucun éclaircissement de la part des Martiens. Ils n’étaient pas trop surpris de le voir surgir devant eux, car l’un de leurs mythes, proche du nôtre, leur avait enseigné que la Terre était habitée par de petits êtres blafards dont la morphologie n’était pas très différente de la leur. Par contre, ils n’avaient pas la moindre explication à fournir sur le moyen de voyager entre la Terre et Mars. Leur technologie n’était pas si avancée qu’ils pussent envisager eux-mêmes un voyage versla Terre, sans même parler d’un déplacement instantané !

Le voyage de retour s’effectua de la même mystérieuse façon que l’aller. L’auteur reprit brusquement conscience qu’il avait regagné son lit. Consultant aussitôt son réveil, qui faisait également office de calendrier, il constata que quelques minutes au plus s’étaient écoulées depuis le moment où il avait dû sombrer dans le sommeil. Il se dit, naturellement, qu’il avait rêvé. Tout, néanmoins – en dehors de l’impossibilité apparente du voyage lui-même, comme de la compression en quelques minutes seulement d’un séjour extraterrestre de plusieurs semaines – le conduisait à rejeter cette hypothèse. Car un rêve ne laisse pas des souvenirs aussi vifs, ni aussi précis, ni aussi durables. Les divers épisodes de son séjour sur Mars étaient aussi présents dans sa mémoire que ceux de ses dernières vacances en Chine. Ils l’étaient même davantage, la communication avec les Martiens s’étant avérée bien plus facile qu’avec les Chinois. Car si les premiers s’avèrent souvent déroutants dans leur propos, les seconds ne le sont pas beaucoup moins, sans parler des problèmes de traduction.

Ces explications apparaîtront peut-être insuffisantes à certains. D’autant que, de crainte de se montrer ennuyeux, l’auteur a renoncé à conter par le menu tout ce qui lui était arrivé pendant son séjour. Il n’a retenu que les épisodes qui lui paraissaient devoir être les plus instructifs. Quant au fond, son message est clair : comme ses amis l’y ont encouragé, il veut nous mettre en garde contre de possibles relâchements dans notre manière de nous gouverner nous-mêmes. Rien ne nous garantit, en effet, que nous soyons complètement à l’abri des errements observés dans la politique martienne. C’est la seule justification de ces chroniques. Au lecteur de juger si elle est suffisante.