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CANAILLE

Il avait une face de rat ou tout au moins la laideur de l’expression face de rat : un visage effilé, mal rasé, des oreilles décollées, un regard mauvais, qui louchait, mais qui vous toisait comme pour afficher, que tout laid qu’il était il n’en était pas moins agrégé. Agrégé de philosophie, ne l’est pas n’importe qui et comme une fouine, il vous agressait dès qu’il se présentait.

Il avait à peine vingt six ans et c’était sa première année d’enseignement. Elle, rentrée en France après plus de vingt ans sous les tropiques, finissait sa carrière dans cette petite ville provinciale du Sud Ouest. C’était sa dernière année au lycée. Elle avait encore un certain charme, comme un reste de jeunesse, dans la spontanéité surtout.

Le jour de la rentrée, lorsqu’il se présenta aux professeurs rassemblés pour le discours officiel de bienvenue, elle s’alarma de ce petit bout d’homme filiforme, et si laid. Elle n’aimait pourtant pas les gros, et ne demandait pas à un homme d’être beau mais d’avoir, sinon des yeux, tout au moins un regard. Lui avait un air fourbe et prétentieux. Elle espérait mieux comme nouveau collègue de philosophie.

Délaissant ses préjugés, elle l’accueillit cependant avec aménité mais s’empressa de le mettre au pas. Il devint moins agressif et se départit quelque peu de son mépris. Finalement il lui parut sinon charmant, tout au moins intéressant, différent. Elle en oublia presque son physique rebutant sans pour autant s’habituer à ce rire grinçant qui le caractérisait et dont elle n’était pas la seule à être importunée. Elle comprit assez vite qu’il était tout simplement complexé, alors il compensait en se faisant remarquer. Tous les professeurs le fuyaient.

Elle aurait pu être sa mère mais cela ne semblait pas le gêner. Il fut impressionné et le lui dit, par son enthousiasme professionnel à la veille de prendre sa retraite. Elle avait en effet accepté spontanément et avec intérêt de participer à son projet de « randonnées révisions philo » dans les Pyrénées prévues pour le mois de Mai. Cela mettrait un point final original à sa carrière et cette aventure future la rajeunissait.

Ils eurent des relations de travail houleuses mais passionnantes. D’une certaine manière, ils sympathisèrent. Il lui confia même ses déboires amoureux dont il se remettait mal. Sa nouvelle amie l’avait plaqué trois mois après… Elle dut se retenir pour ne pas lui répliquer qu’elle comprenait cet abandon et trouvait même trop long le temps de leur union ! S’il était intellectuellement intéressant, il n’en était pas moins repoussant, d’assurance et d’orgueil ne pouvant s’empêcher de chercher à écraser, à humilier. Etrangement cependant, elle qui était si peu sûre d’elle, n’en fut pas désarçonnée. Peut-être  parce qu’elle le sentit puérilement admiratif pour son parcours chaotique. Elle lui raconta en effet les errances de ses premières années d’enseignement avec une légèreté coquine sans lui préciser combien, elle en avait souffert et ce fut le début d’un malentendu dont elle retira dans un premier temps une réelle considération, car, bien évidemment, la transgression, la subversion, la marginalité constituaient ses valeurs de prédilection. Il se voulait hors la loi, exigeait des passe-droits, ainsi préparait-il un dossier pour éviter la correction du bac. Il se revendiquait canaille, mais ne semait finalement que la pagaille. Elle revivait à travers lui les travers d’une certaine jeunesse qui ne fut la sienne qu’involontairement et dont il lui restait malgré tout le goût du fruit défendu. Elle se disait qu’il allait payer pour son inexpérience et se réjouit le jour où la proviseure le convoqua dans son bureau pour blâmer son désir de puissance, son insolence, le traiter de psychorigide, d’adolescent attardé, ce qu’il était en effet. Mais elle fit semblant de s’en offusquer.

Il avait pris une chambre au lycée pour éviter de revenir chez lui, ayant à se lever tôt pour ses cours du Mercredi. Parfois il y restait aussi le Lundi. Mais supportant mal la solitude, il prit l’habitude de s’inviter systématiquement chez elle le Mardi, et le Lundi, épisodiquement. Il avait une manière de s’imposer qui la première fois l’avait tellement heurtée qu’elle ne trouva rien à répliquer et petit à petit, elle prit, ainsi que son mari, un certain goût à ces soirées du Mardi, malgré la fatigue des cours de sa journée, la plus éprouvante de la semaine. On buvait, on fumait, on discutait. Il prenait toujours plaisir à provoquer, et cela les faisait sourire, leur rappelant les « soixante huitards » attardés qu’ils avaient été. Comme eux trente ans auparavant il avait l’impression de tout découvrir et que les autres n’avaient rien compris. Ils ne reniaient pourtant rien de cette époque et de ce qu’elle avait bouleversé. Au contraire. Mais l’âge les avait prémuni contre les envolées lyriques et les excès.

Il lui plaisait cependant par ses outrances, lui rappelant les siennes au même âge. Ces soirées l’égayaient, sa spontanéité en était émoustillée, elle se prenait au jeu, elle s’enflammait quand son mari plus rigoureux se méfiait.

Un Mardi, il se lança soudain dans une longue diatribe contre la sexualité bourgeoise qui maintenait les couples dans le mensonge de la fidélité. Revendiquant un hédonisme sans scrupules il mettait au compte des inhibitions de l’éducation, l’interdiction de jouir d’un quelconque désir éprouvé pour une personne rencontrée. Nous étions tous des refoulés. Cela leur rappelait le fameux slogan de leur jeunesse : « jouir sans entraves ».

Elle fut troublée par ce discours et surtout par sa fougue. Etait-il improvisé et tout à fait innocent ? Elle se souvint en effet que certains soirs, au moment d’aller se coucher, lorsque la discussion s’était prolongée tard sans son mari, il l’avait attendu dans le hall, alors qu’elle lui avait souhaité le bonsoir et qu’il n’y avait plus rien à se dire.

Elle était seule avec lui ce Mardi-là. Après un repas animé et bien arrosé, il l’attendit  devant les escaliers au moment d’aller se coucher. Elle en eut le cœur soulevé de comprendre à son rictus sadique et son regard lubrique qu’il la désirait. C’était le moment de l’humilier. Elle lui dit prestement qu’il trouverait des DVD porno dans le bureau et d’en faire le meilleur usage. Sans un regard pour lui, elle monta rapidement  jusqu’à sa chambre donna un tour de clé tout en restant aux aguets, l’oreille collée contre la porte. Elle l’entendit monter. Au bout d’un certain temps, elle se risqua dans le couloir et avança furtivement jusque à sa porte. Une chaleur amollit son ventre et ouvrit ses lèvres quand elle surprit des soupirs lascifs et des mots étouffés qu’elle imaginait accompagnés des mouvements de sa main enroulée sur son sexe dressé. Elle avait souvent visionné ses DVD, seule ou avec son mari et y avait rarement résisté. Très vite, les sens déchaînés, offerte et mouillée, elle se masturbait ou bien ils se léchaient, se tripotaient, se pénétraient et hurlaient. Elle se souvenait du spectacle de cette femme allongée, cuisses ouvertes. Dans sa béance une tête bouclée se lovait, lissant d’une langue gourmande les chairs attendris pendant que des mains tournoyaient sur ses seins pointés. Elle aimait l’entendre gémir de plaisir et n’y tenant plus, poser ses mains sur la tête enfouie au creux des fesses et la plaquer à hauteur de son globe exhibé pour que la bouche le morde et que la langue le caresse jusqu’à ce qu’elle s’ouvre tellement que l’homme soudain agenouillé, la pénètre sans ménagement de sa verge turgescente, y danse frénétiquement et qu’enfin s’élève un crescendo haletant de cris mêlés à un feulement rauque.

Excitée par ce souvenir, elle hésitait : retourner s’apaiser dans son lit ou entrer brusquement, s’avancer près de lui, et debout, jambes écartées sous ses yeux éberlués, s’ouvrir de haut en bas, entrer  l’index de la main gauche dans son anus et de la main droite fouiller de tous ses doigts dans son antre tout en sortant brièvement pour jouer avec son clitoris, y garder le pouce appuyé pendant que ses autres doigts tripoteraient son entrée chaude et glisseraient jusqu’en bas, y nageant comme dans un gouffre d’eau chaude qu’elle laisserait se répandre sur le sol, puis prolonger son plaisir jusqu’à n’en plus pouvoir et que sa main se déchaîne sur et dans ses chairs jusqu’au paroxysme d’une jouissance qui  exploserait et se déchirerait en cris d’allégresse dont il se souviendrait.

Finalement elle entra précipitamment, exhiba ses lèvres ouvertes, les pénétra de ses doigts quelques instants, puis s’agenouilla  devant lui, prit son sexe, le vissa dans sa main gluante et y referma sa bouche qu’elle faisait remonter jusqu’au gland puis redescendre puis remonter en s’y attardant pour le chatouiller de petits coups de langue pendant que ses mains massaient généreusement le membre. Puis elle s’arrêta et le chevaucha dans une danse frénétique qui le fit haleter comme un chien essoufflé et enfin jouir dans un râle sourd.

Sa laideur avait inhibé ses sensations et elle le quitta aussitôt plus écœurée que ravie du choix qu’elle avait fait. Ce fut l’unique jour de leurs tristes ébats malgré la poursuite des soirées du Mardi.