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En pure perte : HÉMATHÉMÈSE POUR AIMÉ CÉSAIRE

PAROLE HUILE (fragment)


Ifè, Benin, afã, enfin !

Aimé parole feu

Aimé parole fut

L’ORDONNATEUR

Parenthèse. Son œil lui montre les objets de sa propre peur. Les certitudes les doutes. Les motifs de ses propres joies. S’il croit recevoir les émotions par les yeux, c’est enfin que celles-ci réactivent les émotions configurées en lui et qui lui remontent au nez. Et si sur le coup il a vraiment peur ou s’il est joyeux ce n’est pas des choses placées hors de lui mais de ce qu’intimement il connaît déjà et que presque par une certaine mécanique il s’autorise à laisser paraître, aidé en cela par l’humidité de la surface de ses yeux, par la médiation de l’œil.

*

Grand jour d’un culte intime Les oiseaux ont poussés pendant la nuit Ils pendent maintenant au ciel Taches déliquescentes de quelques mauvaises larmes du loa Osain  Les mots s’apprêtent à tisser la parole trop longtemps tue et qui accable le suspend d’un si lourd tribu à la chute C’est à n’en point douter l’instant éternel qui ne reviendra pas De fait les minutes se bousculent  sous le ciel incendié de blanc Raclé bâclé le temps supplie Et il crie qu’il ne s’éteindra Mais l’autre ne l’entend déjà plus

Ouvrons nous la voix Faisons la large.

*

L’AUTRE

Moi aussi

J’aurais pu être la nuit étoilant petitement une bannière et verte et rouge et jaune malement sujette au vent

Moi aussi, j’aurais pu être un fleuve sang de diamants sang

Me coulant à travers les tatouages de mon porteur

Je serais rendez-vous d’étoiles en pays d’obscurité ricanant…

Moi aussi

J’aurais pu être le fil de sang qu’un porte-flingue aura noué dans le ventre de ma mère

Et elle s’est refusée jusqu’au bout jusqu’aux coups jusqu’aux herbes…

Avant de m’aimer la femme hors-la-paix comme jamais on n’a aimé sous le ciel…

Moi aussi j’aurais pu être mais je l’ai refusé de mon grand-cri-à-trouer-l’air

Une conscience insulaire mutilée d’une maman

Moi aussi

J’aurais pu être un trois fois quatre printemps

Rampant entre deux-trois mines

Cinq relents d’alcools trop forts

Une douzaine de rafales donne-la-mort

Six fois sept cicatrices à l’âme, mon nom de sport serait :

« MATHEMATIQUE-ta-langue-ne-saura-jamais-que-tes-yeux-m’ont-regardé ! »

Terrible. ..

J’aurai pu

Mais au lieu de tout cela

Je ne suis que le pays d’ombre qu’un noir porte en lui

Tout ce qu’il a pour lui, la seule chose qu’il a d’entier

Au lieu de tout cela

Je ne suis que des yeux fermés au monde

La langue sans bâton qui traverse à sec

J’aurais pu être ou Yaguine ou Fodé

Je ne suis qu’un distributeur de sic

….

C’est que

Silence.

J’ai vu dieu

Les oiseaux s’entrechoquent !

Un mauvais souffle…

J’ai vu dieu

Il est jaune et il a trois yeux

Oui trois yeux dieu

Un dans la tête un dans la bouche un dans la main

L’œil dans la tête voit ce qu’il pense

L’œil sur la langue voit ce qu’il dit

L’œil dans la main voit ce qu’il donne

Tout œil fifre

C’est cependant par le dos qu’il pleure dieu

Avec eux

Tout ce que les hommes ne peuvent rire…

Plus rond mais pas moins mauvais…

Le temps a fait des sillons profonds dans la démarche de dieu

Et dieu va grotesque…

J’ai vu dieu

Au loin une voix,

-Le mauvais souffle !-

Qui chante ou rumine quelque chose…

L’Autre entend-il ?

J’ai vu dieu et j’ai crié

‘Ehloï ! Ehloï !’

Alors,

Il s’est enfui…

une autre voix tout à coup !

doctorale.

Elle dit mais comme un chapelet ! Et va en s’enflant.

Peut-être Le Fou, L’Enfant… ou alors l’Esprit déjà.

L’Autre VOIX, égrenant :

… de nos âmes versées dans les rues

de l’éternité assoupie aux portes

de l’absurdité stagnante

La chaire des terres d’igname noire de l’autre côté de la lagune…

LA VOIX, chantant :

<Mots cherchent diseur/

Huile cherche cœur/

Veux rencontrer mon glissoir/

Si tout doit choir…>

L’autre VOIX,

D’encore quelques cauris…

…de l’ignominie nue, que plus nulle tromperie n’habille

de la parole de bouche qui se meurt…

des ailes liées qui battent saccade l’élan nié

du mil délié qui attend, attend, attend

attendra longtemps son batteur…

Tour à tour chantant, indexant,  La voix semble lui répondre

LA VOIX

<Mots cherchent diseur/ Samson cherche Dalilah/

Veux rencontrer mon glissoir si tout doit choir/

Ma salive sœur si toi aussi tu aimes à boire du soir/

Ma sueur…/ mon sait-lancer-haut…>

Allez Oh ! Manifeste toi, Diseur, Chuchoteur… Hé Sursauteur ! Danse ma parole

Que roule, roule, roule le pas

<Mots cherchent diseur / Feu cherche cracheur>

Ceci cherche langue où se pendre, salive à saturer :

« Que les saints se signent ou que les signes se saignent, tout se saura : Qu’ils se sont ceints à tort de blancs manteaux…Que les Blancs mentent haut tout simplement ! Et voici, Ils choiront de leur séant, et un troupeau d’étoiles sales leur fera une sale escorte, »

< Mots cherchent diseur…>

Hé Roucouleur !

Égrène le dégradé de mon dit,

En couleurs de foudres et vertes et violettes

En couleur à nous en foutre à mort la vie d’avoir des seins tout petits ou le pas pas assez assuré…

Qu’ensemble nous nous fassions mais à dessein une circulation comme jamais une de virgules

Sous le haut patronage des matrones-fées

Les soirs (oh putain de taie noire !)

Où la traitre lune déserte

Où le crachat traîne

Où les neurones crashent

etc.

Silence.

<Mot enchanteur…

Veut son papa-nom/

Mots cherchent diseur/ Désert cherche son Toucouleur…>

Et la voix hèle la voix

De quoi ? De qui ?

L’autre VOIX

… du bâton de danse brisé

du silence, clos en dehors

quand les bêtes sauvages lâchées dans la plus grande des grandes absences, nous punirent d’aimer

du vide aussi et de la nuit enfin

qui bourre les ventres et les yeux et les cœurs

qui habite les rêveries éternelles

qui borne les projections hors saison

qui visite le grand fleuve morne penché à nos pieds où dorment les tessons de grande Étoile

(Danse de lumière dans l’incarna sirupeux d’un obscur rouge)

la nuit qui ne rassasie pas et dont nous avons encore faim…

et le bris en accusatrice

dont l’index aussi est en sang…

Soupir de la voix !

Oui le soir de la voix est là !

Où sont convoquées nos humanités en d’horizons lancinants

Où s’ouvrent, la mesure en vacance nos visibilités confuses

Qu’est-ce cela ?

LA VOIX, qui lui répond

La paume de la main donne comme un sein au grand front qui s’épanche et mange l’œil gauche du dos

Lentement…

L’autre VOIX

Et ceci ?

LA VOIX, bas :

Aînée de l’Église au visage du diable, soûlée de l’amer lapée sur les larges berges de mes yeux…

Naine, bossue, le bossale enchainé à l’haleine

L’autre VOIX

Titube, titube, titube…

Écoute, qu’on te baptise : Indicible

Pénultième bouche d’un discours errant

Puante de lois abortives de foi

TITUBE donc, sépulcre d’un cri retenu

Au banquet des si hautes convictions révulsées

Dis l’hilarité triste !

Menaçant.

Et si baguenaudant, l’amertume en trophée, tu trébuches

Rara rara ra

Milles dents noires à applaudir assurément…

Pause.

L’ORDONNATEUR

… S’il se croit foudroyé par le surgissement brusque de choses en chaires mortes ou de choses en fleurs… Rien, rien de tout cela dis- je n’est placé hors de lui…

LA VOIX

<… Huile cherche cœur…>

Où donc ?

Dans l’envol bref du cabri l’obscur du renard ?

La démêleuse d’abscond

Comme un caprice cambré ou la danse canidae couchée sur la table du maître ?

Le beau ou l’urgence immobilisée…

Mais quoi ? Mais qui ?

L’autre VOIX

Que nous voici réveillés de notre éveil

Tirés, enfin, d’une turbulente insomnie

Espoir ! Soleil menteur

Édifice raidi au vent traître d’un dedans

Sartre ! Sartre !

Ne viens pas, cette nuit encore,

Bacchanal, jouer de notre salive et de notre sueur

Musique sans amarre, en l’épaisse chair des cœurs absents

Nous ne bâtirons plus, entends-tu ?

De verbe et de feu.

De verbe et de feu seulement, fugaces zombies.

Nous rentrons la crécelle et le bois

Nous sommes las…

LA VOIX

< …Si tout doit choir…>

L’autre VOIX

Bourgeonne sur le fil tendu de chaque unique belle et pure l’ivraie aigre-doux fuligineuse.

(…)

A fleur du grand blanc lit d’immondice immense naissent nos envers…

LA VOIX,

Comme conjurant quelques sombres sorts…on

Adjaa

Suis Adjaa !

et il crache !

Le gubasa n’a pas de tranchant

Adjaa

Suis adjaa !

“Kpon” la Panthère, mon Père la plus belle des princesses yoruba, ma Mère

ADJAA! suis ADJAA!

Mon nom : “Soun”, “Soun Gléglénu”

Mais tu ne le diras pas.

Plus calme.

Pour toi et si tu te fais Dalilah, là où les peines passagères dallent la hâle, je serai Samson aux sept tresses/ Si claudicant tu viens à moi comme l’esclave va à la source je serai clicloto ! clicloto ! les calculations de l’eau qui dictent au coeur l’automatique de la liberté/ Je me ferai plus blanc que le glissoir du ciel/ Oui, Chimchôn Ti-Soleil qui porte ti-brin peine en mine- là/ Si, (sic !) (sic !) (sic !), cliquetis pour un tic de flic… alors je serai le mot hors moeurs/ Soeur la noirceur qui bat saccade l’élan nié en l’aile liée/ Je serai souvent plus loin que le Pays-graine, plus peine à naître que l’enfant Kouli/ Mais toujours tu en ramèneras le goût si tu sais faire silence en toi… / Clonus d’un unique verbe pur/ Ma parole traversée de galops/ Ma voix gorgée de sang/ ma salive injectée de sagaies/ En pure perte je serai langue gantée de velours noir/ Cœur paré de soleil…/ Seras- tu Dalilah que je ne me peigne pas du même aigre et du même miel…

Adjaa suis Adjaa

Puis de nouveau ce chant encore.

<Mots cherchent diseur/ Huile cherche cœur/

Veux rencontrer mon glissoir/ Si tout doit choir…>

Quoi donc ?

L’AUTRE VOIX, pleine de colère :

Mais comme une colère jouée.

…Que le voile a déchiré libérant un envol d’yeux d’épouvantement

qui font un battement pas possible de maléfices ciliés

Que les papillons ont crashés

Que ce qui monte là haut c‘est l’inopérance de la poussière de leurs ailes

Que le miel a déserté

Et l’esprit et la langue

Le pimentement la fumée

Que le piétinement blanc du tata et un soleil à la dérive…

Pause,

L’Autre semble toujours ailleurs.

Et maintenant que nous reste-il à dire ?

Nos faces de mica blême

Leurs sales gueules de loups hirsutes….

De plus en plus cinglant.

Qu’au plus profond du fond du puits l’honneur sommeille l’espoir chancelle

Que ?

Que nous reste-il à dire ?

Sinon que nous garantirons la nuit du rougeoiement des yeux

Que nous garnirons la palabre de la vivacité des antilopes

Que le sang sera vigile hennissant

Que nous porterons jusqu’au concile des dynastes

Où la merde fiente pesamment au coin du regard de cette ère avare

Cette colère corollée sept fois reine

De nos langues avides

Lécheuses d’immondice

Nos nons enflammés aux flancs aux reins du pays d’amnésie

Et notre peau sera cuir tanné cuir dur du varan noir de Diéménie

Et nous le monterons en bannière

en flanquerons les paupières des tours

Quelque part cette part craquante entre les étoiles et leurs cendres

Qu’à notre tour nous laisserons la laisse à la parole

Et quelle fera auréole de feu au monde

Que nous annulerons l’aboiement des chiens

Que nous pourvoirons nos talons de la défectueuse de gueules

Et nous jurons sur la mère et sur l’Homme

LA VOIX

Gbo !

L’autre VOIX

…Que du peu de l’empan d’envie qui nous reste

Notre lie d’aimer

Nous nous refuserons à réconcilier la peau pas lisse des lézards au bleu de l’azur

Que pour peu que les hippopotames hyppopotament vraiment

Nous leur ferons une bien grosse hernie de notre rage

Que…

Silence.

Que !

Que nous reste-t-il à faire ?

Sinon à réactiver la foudroyance des sorts :

LA VOIX

Fiètè !… Fiètè !… Gbo !

L’autre VOIX

À bander la conscience

Et la tendre de gris-gris trois fois trente-neuf fois l’idée ceinte l’âme bariolée

Il lève une tempête sur la gauche.

L’Autre vient de frémir !

De quoi ?

La prudence ?

Et la défoleuse de rêves juchée couronne cinglante sur le front de l’enfant

Elle nous lance un ricanement et organise de ses éclats la démission des justes

De nos armes de sang vif !

De la trame prisonnière des vêvers

De notre nommer brut

(Oh! nous emprunterons un mot shango s’il le faut !…)

Surgissez !

Ô Chevaucheurs… visitations du soir

Au débouché veule de cette saison pavée comme jamais une de feu

Voyez comme les visions d’effroi nous font défi

Haut.

Dysurie

Allez ho !

Faisons un lever haut de javelots

De nos dents par trop blanches

Ruées nues contre l’innommable

Allez ho !

Un choc haut d’épée

À lever nos sangs

O Orixás

Pour mener le poète jusqu’à Benin

Allez ho !

Qu’il fasse île en vous tous

Pour le migrant transi

Sinon !

Sinon ?

Sinon ils mourront !

Bien sûr ils mourront… et les chaînes les mangeront plus goulûment et le fouet les léchera plus profond et leurs oreilles tomberont plus dru. Et le regard nous sera plus surin. Et le rut et le sucre et la canne et encore le sucre… Et les filles lavant les rues… Et il se traînera sur les rives du Congo une brume saturée d’ombres manchots applaudissant cette étrange musique accusatrice sur les mines défaites. Et pour sûr elles riront les ombres un rire en pluie sur les joues des petites filles…

Mais que

Que…

Que te reste-t-il à dire ?

Que le masque grimace…

Pause.

*

Comme un appel aux mots…

Le jour se colorant à l’envers et la sève brisée qui reprend contact La totalité tiraillée Comme un appel aux mots…  Dans une modulation sophistiquée d‘exhalas d’un autre temps d’un autre être là Un cocktail de colère et de véhémence saines

L’homme est nu

Immense Mais comme exilé en sa périphérie Et il tourne autour de lui-même…  Sa pensée seule semble lui faire une robe

*

LA VOIX,

Sur le ton de la nostalgie et après un nième soupir.

Les haleurs muets

Une belle aisance d’abeilles

Vrillées

De fruitiers frimeurs

Épandaient à l’aune du jour marron

Une belle suée de radayeur

Ayiti

Une moue ?

Un rictus ?

Une île ou un sein dégagé de l’océan ?

Apparaît l’Esprit… C’est le même Autre

Mais masqué

Il porte un masque blanc, une face horrible… dans le dos

Pour l’instant il se tait. Mais tout à l’heure il parlera et les odeurs même déclineront

L’AUTRE,

Se réveillant.

Souvent il m’arrive

Hors moi de m’élever

Me laissant là…

Couché

Puis hauteur prise

De toiser le ciel d’une dure rancune

Et de fondre

Et couler sur moi

Me revigorant à qui mieux mieux…

L’ESPRIT,

Avec l’autre voix de tout à l’heure mais sans plus de colère

C’est l’heure des odeurs

Donne le mot !

Et ce qui a été annoncé se réalise

L’AUTRE, obtempérant :

Je ne sais pas respirer

Quand je cours la vie me balance

Silence.

Je n’ai jamais su respirer…

L’ESPRIT

DONNE ENCORE !

L’AUTRE, timidement d’abord :

Je ne sais plus sourire

La lune m’arrache la face

L’ESPRIT, impatient

ENCORE !

L’AUTRE

Je ne puis lever les yeux vers les montagnes

Une lumière trop forte y siège

L’ESPRIT

ENCORE !

L’AUTRE

Il vente en moi

Oh il vente terriblement en moi

Mais où es-tu Père pour qu’ainsi il vente en moi ?

Nul écho à mon cri rentré…

Oh comme il vente en moi !

L’ESPRIT

ENCORE !

L’AUTRE

Ils ont lâché les bêtes

Bâclé les rêves…

L’ESPRIT

ENCORE !

L’AUTRE, se rebellant :

Un cri !

J’AI VU DIEU !

Les oiseaux s’entrechoquent.

Silence, puis plus calmement

…Et il s’est enfui

Essayant dans son sillage de capturer quelques fragments

-Car me suis-je dis, tout puissant qu’il est il doit bien s’haillonner de quelque chose-

J’ai trébuche et ricoché de solides désillusions en solides désillusions

Puis, ayant toutes forces abandonné

J’ai atterri

C’est ainsi que j’ai chuté et suis tombé en moi me remplissant enfin entièrement et débordant de moi

Qu’est-ce la ponction de cet épanchement purulent dans cette vie qui est une interminable mort

Sinon ces instants- vie même dans la mort et qui viennent la ponctuer

Et si je n’avais chuté peut-être aurais-je été heureux…Oh je ne me le serais pardonné !

Trois Oui ! Trois yeux, dieu

J’ai vu dieu et j’ai ouvert les yeux

Pause.

Je suis tombé en moi et me voilà gros !

Qu’enfanterai-je donc ?

Ou d’un monstre ou d’une petite danse immobilisée à l’abord de mon vêver intime

Pensif.

J’aurais pu être

Seulement une voix, un dragon croassant on ne sait quelle mauvaise lexicologie

Au lieu de cela je ne suis qu’un nègre qui sait de quoi il n’est pas malade

Ma poitrine offerte et le bec en sang…

LA VOIX

Ayiti

Ifè,

Benin

Afã

Enfin

L’Agay rooh ravalé

Et l’hésitant hennissant sillon…

Vers les rives sans âge d’Ilé

C’est le cœur de la Dame qui bat

Batuala batuala batuala

Qui soulève le voile…

Et hèle visage vérolé de son protecteur

L’AUTRE

Damnation

J’ai été puni au-delà du supportable

Mais têtu je suis têtu !

Voici il y a quelque chose de très noir en moi cette sale partie de moi qui ne promet que les cales

Cette partie de moi qui me fait peur la seule qui ne m’insupporte pas

Celle là seule est entière…

Silence puis comme à lui même.

Pendant mon calvaire j’ai vu passer plus de monde que Prométhée

Des fois je les regardais marcher et je me demandais

Comment ? Mais comment peut-on vivre avec si peu de haine ?

*

C’est une magie

En loques Toute grise Toute surgie d’un galimatias diable Et désormais les mots iront par paire Deux par deux Goutte double par goutte double lui tombant dans les jambes et le remplissant jusqu’à ignominie

C’est une magie n’est-ce pas Les morts qui sourdent en l’homme portent son flux tendu aux nuées Et maintenant ô singulier sort ils semblent lui faire une vie L’esprit très pur très sûr très agressif tout à l’heure panique maintenant Doute tout à coup comme on bute dans le noir Par à coups En hoquets…. Et bientôt le fuir C’est que l’Autre est en train de naître… Le chant lui-même s’épaississant lors que l’échoué se fait une forme La voix s’organise une unité La bousculade même étant une arithmétique Et tout le désordre veut fabriquer le mot fondamental dans une boulimie de crabes noirs

L’homme est nu mais moins pathétique !

*

LA VOIX

Le cœur de la Dame

On le sent bien bat batuala

L’immense Mama couchée sous les eaux

Et l’ sillon

Dans la nuit

Sur les flots

Sur les pages noires…

Vers son sein

Vers Ayiti…

L’AUTRE

Je n’écris pas !

Non je n’écris pas

Je saigne

Et quand

tonne

ma voix remplie de sang

Cette voix rouge

Qui nomme l’homme

Épelle l’homme

Entonne l’homme

Évoque l’homme

Convoque l’homme en l’homme

Je ne crie pas

Je saigne encore…

Oh Il suffit !

Faites donc silence

Gens de raison, gens de trop de foi

Faites place au sang vaste

Mandaté…

LA VOIX, invoquant :

Oiseaux !

Oiseau fleur, Oiseau tutélaire, Oiseau du tout crime

Oiseau cloué dans le tumulte du vêver

Oiseau feu

Toucan, Coq et toi Colibri coléreux…

L’AUTRE, plaintif :

Non ne me secouez pas

Je suis rempli de lames !

Comme une escalade dans les senteurs.

L’ORDONNATEUR

Un diamant fêlé la mécanique du monde qui coince, coince. Coince puis calera bientôt… et cassera sûrement. L’immensité enfuie, infinie, les recoins sacrés, les recoins carrés du signifié d’un fou igné. Il n’est pas possible que tout cela ne fasse flancher le stable. Oui le cours des choses en sera affecté aussi sûr que tout ce sang l’étouffera.

LA VOIX

Jetez votre cri Oiseaux-nuits !

Ebrouez votre voix à nous éclabousser de sang !

Mer sang

Tempête sang

Vent sang

Dieu

Qu’as-tu mis dans le vent

À inciser à inciser

Qu’as-tu mis dans le vent

L’aimer

Hunt ɔ !

Du cœur la raclure

À gratter à gratter

Ʋugã !

Grand sang

À battre à battre

L’AUTRE

Ah Verticalité mon tourment

C’est encore la verticalité qui oblitère mon désir de me répandre

Être la vie dans la vie, exister tout simplement, c’est-à-dire oublier…

Silence.

Mitan Oh mitan

Mais prêtre en l’aîné des jours neufs

Prêtre pour toujours

à professer qu’il n’y a d’équité que dans le sang coulé égal

Inondant le morne et l’œil

Que le Congo est une coupe bien sûr

Qu’il faudra porter aux lèvres…

Silence.

O Regardes tite-haine ma reine

Papa est debout dans la déraison

Sa main gauche tient la torche de cire ardente

À droite en icelle le couteau du parricide

L’éclair entre les dents

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Je vois un être horrible

Un  être une telle vilainerie que les mouches cascadaient en avalanche sur sa voûtée blonde

Une femme loup des crocs aux genoux au lieu de contrition briseur de colères

L’aînée de la croix une vaste escroquerie en trois couleurs…

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Que tout n’est pas ou blanc ou noir

LA VOIX

‘ Me zego yibɔ me ye akatsa Ɣi la do go tsoa?

L’AUTRE

Et qu’il n’y a pas jusqu’au déroulé de nuances de la chair qui ne le crie

Sinon mon rire nu mon rire acculé mon rire qui n’est pas lisse et qui a la houle en nolis

Sauf à trahir ce goût de cendre

D’où vient qu’il pleuve le sang par tous les pores de mon âme par toute l’ombre toute la peine accumulée

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Le cycle clos des évidences qui recommence mon sang

Et commande au ralliement des reptants

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Ronds

Les cyclones éclatés rouges mènent leurs bulles rouges au pitre

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Même, maman, maât, matricielle

La bête-longue à mathématique cicatricielle

Cette fréquentation rouge et noire des pays lacustres…

LA VOIX

Toutes choses égales !

Soupir.

<Mots cherchent diseur/

Huile cherche cœur/

Veux rencontrer mon glissoir/

Si tout doit choir…>

L’AUTRE

Hallucinations ?

Ce que je dis ?

Ma voix gorgée… À inciser ! À inciser !

Ce que je dis ?

Puisque ce jour est placé sous le signe de la colère drue

S’arrêtant. Attentif.

Un frisson !

Et un souffle glacé maintenant !

Comme si la rage même avait épuisé sa source…

Ainsi donc vous avez décidé de me laisser nu pour de vrai

L’ESPRIT

Mais que dit-il ?

L’AUTRE

Je dis La plaie placée au dessus de moi

LA VOIX

Eleggua !

L’AUTRE

Non pas un loa mais un signe ailé

le cœur en émoi et en pluie plate tout ce sang qui me tombe dans les jambes !

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Je dis le mythe l’unité l’intimité et un voyage retour

L’ESPRIT

Que dis-tu ?

L’AUTRE

Dire me purge

L’ESPRIT

Que dis-tu ? Que dis-tu ?

L’AUTRE

Je dis ! N’est-ce pas assez ?