Créations

Quelque part en Afrique

 

Eloka faisait des mouvements de karaté dans son studio vide. Il y avait si peu de meubles qu’il pouvait facilement s’entraîner. Il ne s’était jamais préoccupé d’avoir un peu de confort. Tout était minimaliste. Entré dans les lieux et n’avait touché à rien, laissant les murs vides. Seule une grande carte de l’Afrique avait été collée maladroitement près de la porte d’entrée. Tout donnait une impression de grand dénuement et c’était certainement l’effet qu’il avait recherché. Plusieurs piles de vieux journaux entassés dans un coin, une seule petite fenêtre sans rideau donnant sur une cour intérieure. Même en plein jour, il faisait sombre. Une ampoule nue pendait du plafond.

Un énorme téléviseur, de toute évidence un vieux modèle, trônait dans un coin. Il était posé sur une petite table en rotin qui n’avait pas l’air très stable.

Le grand lit défait prenait beaucoup de place d’autant plus qu’une table basse couverte de tâches et sur laquelle on pouvait voir plusieurs bouteilles de bière vides, des paquets de cigarettes, un cendrier plein et encore des journaux, avait été placée juste devant.

Sur sa table de travail, son vieil ordinateur, une imprimante, plusieurs verres sales et des stylos se partageaient la surface avec les premières pages d’un manuscrit. Au pied de la table, des mégots et une bouteille vide. Une chemise était accrochée au dos de la chaise.

 

Eloka faisait ses enchaînements avec concentration. Il poussait un cri après chaque série de mouvements comme c’est la règle. Mais, par moments, sa voix se cassait en plein cri et il se mettait à chanceler comme s’il allait perdre l’équilibre et tomber. Ses gestes manquaient de précision. Torse nu, il apparaissait maigre, mais tout en muscles noués. Son visage commençait à être marqué par l’âge, surtout qu’il ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours. Il avait l’air fatigué. Pourtant, il se dégageait encore de sa présence une force et une vitalité étonnantes.

Soudain, la sonnerie du téléphone retentit, arrêtant Eloka en plein élan. Il alla s’affaler sur le lit près de l’appareil posé à terre.  Il resta quelques secondes sans bouger. La sonnerie du téléphone était forte et dérangeante. Il décrocha l’appareil.

 

        – Allô ?… salut… oui… non… pas de problème. Tu peux venir quand tu veux. Je ne bouge pas… je t’attends…

 

Il raccrocha semblant perdu dans ses pensées. Il prit machinalement un paquet de cigarettes sur la table basse et le secoua énergiquement pour voir s’il en restait dedans. Vide. Il prit un autre paquet. Vide. Il le jeta avec dégoût, se releva, alla jusqu’à sa table de travail, trouva un paquet entamé, finit par dénicher des allumettes sous les feuilles et alluma sa cigarette. Il s’assit devant l’ordinateur. Entre deux bouffées, il se mit à écrire tapant avec fureur sur le clavier, semblant tout à fait inspiré jusqu’au moment où il s’immobilisa brusquement, se cala dans son siège et appuya sur le bouton de l’imprimante. Lorsque la machine régurgita le document, il le prit et se mit à le lire. Très vite, il arrêta sa lecture, froissa la page et la jeta à terre dans un geste de colère.

Il alla allumer la télévision et se rassit sur le lit pour suivre les informations. Des images de guerre l’assaillirent. Le son métallique des armes à feu perçait ses tympans. Il regardait l’écran comme hypnotisé. À peine entendit-il frapper à la porte. Il éteignit rapidement la télévision, enfila sa chemise sans la boutonner et se rassit.

 

        – Entre, c’est ouvert !

 

Wassia apparut, le sourire aux lèvres. Elle portait une robe en pagne et des sandales perlées. De fines tresses encadraient son visage. Sans être vraiment belle, elle était attirante.

 

        – Salut !

        – Salut ! répondit Eloka en lui faisant signe de prendre place à côté de lui.

 

Après avoir déposé un baiser sur son front, Wassia s’assit sur le rebord du lit.

 

        – Comment vas-tu depuis la dernière fois ? Cela fait plusieurs jours que j’essaie de te joindre au téléphone.

        – Désolé, il m’arrive de ne pas rentrer, fit Eloka en cherchant un verre propre sur la table. Qu’est-ce que je te sers ? De la bière ?

 

Sans attendre sa réponse, il prit au hasard une bouteille à moitié vide et entreprit de remplir un verre posé sur la table. Wassia lui dit avec une moue :

 

        – Tu sais bien que je ne bois pas d’alcool. De l’eau, ça ira très bien, merci.

Eloka prit le verre et disparut dans la cuisine d’où il demanda à haute voix :

        – Tu veux de la glace ?

 

Wassia répondit également à haute voix, tout en jetant un regard circulaire sur la pièce :

 

        – Non, ce n’est pas la peine ! Ça a beaucoup changé ici depuis mon départ.

 Eloka revint avec le verre d’eau. Elle ajouta, un pincement au coeur 

        – On dirait que tu as fait le vide.

        – Oui, je préfère ne pas m’encombrer de choses inutiles. Cela m’empêche de penser.

        – J’espère au moins que tu n’as pas jeté mes affaires !

        – Ne t’en fais pas, tes cartons sont exactement là où tu les as laissés. Je peux te les amener tout de suite, si tu veux.

        – Non, non, je ne suis pas pressée ! On a le temps de bavarder un peu… Comment va l’écriture ?

        – Mal, très mal. Je n’arrive plus à produire quoi que ce soit. Rien de soutenu.

        – Tu devrais peut-être arrêter de boire… Tu vas finir par t’esquinter la santé. Tu vas finir par perdre ton talent.

        – Si tu es venue pour me faire la morale, tu peux repartir d’où tu viens !

        – J’aurais vraiment voulu t’aider.

        – Tu en serais bien incapable.

        – Ça c’est vrai ! Personne ne peut t’aider, parce qu’en réalité, tu ne laisses personne s’approcher de toi. Tu as dressé un mur entre toi et les autres.

        – Épargne-moi ta psychanalyse du dimanche, s’il te plaît. D’ailleurs, souviens-toi, c’est bien toi qui es partie !

        – Je n’avais pas le choix. Je n’en pouvais plus de t’attendre jour et nuit. Tu disparaissais après le petit déjeuner et j’avais de la chance si je pouvais t’apercevoir le soir avant de me coucher. Je ne me souviens pas d’avoir attendu quelqu’un aussi souvent. En plus, quand tu partais, c’était toujours en disant que tu n’en avais pas pour longtemps. La vérité, c’est que tu ne t’intéressais plus à moi. Je n’existais plus du tout pour toi.

 

Eloka semblait maintenant ennuyé par la tournure que prenait leur conversation.

 

        – Nous avons quand même passé de bons moments ensemble, n’est-ce pas ?

 

Eloka s’approcha d’elle pour tenter de l’apaiser. Wassia détourna la tête.

 

        – Oui, mais où est-ce que tout cela nous a menés ? Vers la fin, nous ne dormions plus ensemble. Tu étais tout le temps sorti et moi, je t’attendais…Si tu savais comme tu m’as fait souffrir !

        – Et tu penses que cette situation me réjouissait ? L’amour est impitoyable, ma chérie, tu devrais le savoir.

        – C’est trop facile de dire ça ! Tu cherches des excuses là où il n’y en a pas. Tu négliges les gens qui sont proches de toi et tu passes tout ton temps avec des étrangers. A quand remonte ta dernière visite à ta mère ? Tu sais pourtant qu’elle te réclame. Quand te décideras-tu enfin à aller la voir ?

        – Laisse tomber cette histoire, d’accord ? fit Eloka, maintenant véritablement contrarié. Je t’ai déjà dit que je ne veux rien avoir à faire avec elle. Tu appelles ça une mère, toi, une femme qui abandonne son enfant pendant des années pour aller refaire sa vie ?

        – Elle t’a tout de même cherché et retrouvé ! N’es-tu donc pas capable de pardonner ? En fait, tes vrais amis, ce sont les gens des bars et des boîtes de nuit !

Pendant qu’elle s’adressait à lui sur un ton qui ne pouvait cacher sa colère, Eloka s’était réfugié devant sa table de travail faisant mine d’être absorbé par la lecture de son manuscrit.

        – Pourquoi refuses-tu d’avoir un enfant ? reprit Wassia avec agressivité. Qu’attends-tu pour fonder une famille ?

 

Eloka était à présent totalement excédé par les paroles qu’il entendait.

 

        – J’aimerais beaucoup que tu cesses de me demander ce que j’attends. J’attends tout simplement que tu me laisses tranquille avec cette histoire de gamin ! Que veux-tu que je te dise ? On en a déjà parlé cent fois ! Tu sais bien que pour moi, la naissance d’un enfant n’est pas un motif de réjouissance. Comment peut-on, en toute lucidité, amener une créature qui n’a pas demandé à naître, dans un monde aussi pourri ? Explique-moi cela.

        – Dis plutôt que tu es trop égoïste pour pouvoir penser à quelqu’un d’autre que toi…

        – Fiche-moi la paix !

 

Un lourd silence s’installa entre eux. Après un moment d’hésitation, Wassia se rapprocha lentement de lui, mit les mains sur ses épaules et dit d’une voix tendre :

 

        – Mais moi, je veux avoir un bébé de toi et de toi seul… Mes parents commencent à s’inquiéter. Ma mère ne comprend pas pourquoi je n’ai pas d’enfant à mon âge. Elle veut que j’aille voir un guérisseur. J’ai réussi à la convaincre d’attendre encore un peu, mais en réalité, tout repose sur toi. Moi, je suis prête à attendre que tu te décides.

        – Attendre !? Es-tu devenue folle ? Pourquoi veux-tu attendre quelque chose qui n’arrivera jamais ? Cesse de me demander ce que je ne peux pas te donner. Je ne suis pas fait pour la paternité, un point c’est tout. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi nous voulons tous toujours attendre quelque chose. Attendre que la pluie tombe, attendre que la situation s’améliore, attendre que l’économie reprenne, attendre que les autres nous aident, attendre, attendre, toujours attendre ! J’en ai assez de cette attente. Cela me ronge le cerveau. C’est du poison, tu comprends, Du poison…

        – D’accord, c’est très bien ce que tu viens de dire. Tu devrais penser à l’utiliser dans ton prochain roman. Mais sérieusement, regarde-moi dans les yeux et réponds sans détour : peux-tu me dire honnêtement que tu es satisfait de la vie que tu mènes ?

        – Là n’est pas la question. La vie ne se savoure pas, elle se subit.

        – Encore une fois, tu tournes autour du pot. La vérité, c’est que tu as une trop haute opinion de toi-même et que tu fuis tes responsabilités.

        – Que sais-tu des responsabilités ? Mettre un enfant au monde, n’importe qui peut le faire…Réveille-toi, bon sang !

 

Épuisée par son intransigeance, Wassia répliqua :

 

        – Tu en demandes trop. Avec toi, c’est toujours tout ou rien.

        – Bon, parlons d’autre chose, tu veux bien ? fit Eloka, sentant qu’il avait peut-être été trop loin. Je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Tu ne veux pas plutôt aller m’acheter deux ou trois choses à la boutique ? J’ai une petite faim. On pourrait manger un bout ensemble… Et profites-en pour me prendre aussi de la bière et des cigarettes.

 

Wassia lui jeta un regard noir. Elle s’en voulait d’être aussi faible avec lui. Elle s’en voulait de n’avoir jamais eu la force de terminer une bonne fois pour toutes leurs relations. Ils n’étaient d’accord sur rien, alors pourquoi tenaient-ils encore l’un à l’autre ?

Eloka alluma la télévision. C’était un clip vidéo. Gros plan sur James Brown chantant, « This is a man’s world. » Il se tourna vers elle et lui tendit la main.

 

        – Tu danses toujours aussi bien ? Viens, j’ai envie de te prendre dans mes bras.

 

Wassia hésita un instant comme si l’idée ne lui plaisait pas ou qu’elle allait courir un grand danger.

 

        – Allez, ma belle, ne fais pas cette tête-là !

 

Wassia sourit et se pressa contre lui. L’harmonie semblait être revenue entre eux. Ils ressemblaient à deux amoureux sur une piste de danse. Elle posa délicatement la tête sur son épaule.

Tout à coup, changement brusque de cadence. La musique passa sans transition à un morceau de Rap. Les images de la télévision montraient à présent des danseuses se déhanchant lascivement. Wassia et Eloka se séparèrent comme s’ils venaient d’être surpris en train de faire quelque chose d’interdit. Ils restèrent figés pendant plusieurs secondes, l’un en face de l’autre, sans savoir quoi dire. Finalement, Wassia prit son sac et sortit en vitesse. Au moment où elle ferma la porte, le téléphone sonna. Eloka se précipita sur l’appareil :

 

        – Allô ?… oui… c’est lui-même… pas du tout, vous ne me dérangez pas… ah, vous avez aimé mon dernier livre ?… vraiment ?… merci beaucoup, je suis très content d’apprendre ça, dit-il en se mettant à rire comme un gamin heureux.

Bien sûr, nous pouvons nous rencontrer. Comment est votre programme demain ?… C’est un peu tôt… disons midi…Oui, voici l’adresse : 11 rue Cheik Hamidou Kane, Cité des Arts, c’est au 2ème, la porte de gauche… o.k., à demain…je vous attends. Oh, et puis pensez aussi à apporter quelque chose à boire… de la bière, ce sera très bien.

 

Il entendit frapper à la porte. Surpris, il alla ouvrir en se demandant qui cela pouvait bien être. Il se retrouva face à Catherine, la quarantaine, maquillée, ensemble serré à la taille et talons hauts.

 

        – Qu’est ce que tu fais ici ? demanda Eloka immédiatement sur la défensive.

        – C’est comme ça que tu m’accueilles, maintenant ? Je n’ai plus le droit de venir te voir ?

 

Eloka ne répondit rien, lui tourna le dos et alla simplement se rasseoir à sa table de travail.

 

        – Où étais-tu depuis tout ce temps ? demanda reprit Catherine sur un ton agressif. Pourquoi ne m’as-tu pas appelée ? Je t’ai attendu longtemps, l’autre jour. Tu n’es jamais venu à notre rendez-vous, ça m’a vraiment blessée…

        – Ah, bon,…c’était quand ? fit Eloka d’un air étonné, en se tournant enfin vers elle. Je ne me souviens pas… J’ai dû avoir un empêchement.

        – Et pourquoi tu ne m’as pas appelée pour me le dire ?

        – Oh, je ne sais pas… Je suis sûr que je t’ai appelée et que ton téléphone n’a pas répondu.

        – Ce n’est pas plutôt à cause de cette fille avec laquelle on te voit beaucoup, ces derniers jours ?

        – Bon, tu me fais une crise de jalousie ou quoi ?

        – Bien sûr que non, ce serait peine perdue ! Je suis venue parce que je voulais tout juste savoir comment tu allais. Tu n’es pas content de me voir ?

        – Écoute, ce n’est pas le moment. Je suis fatigué, je n’ai pas envie de jouer à ce jeu-là. J’ai d’ailleurs pas mal de travail à faire. Et puis, j’attends quelqu’un qui va arriver d’un moment à l’autre.

        – Pourquoi es-tu si froid avec moi ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? Il n’y a pas si longtemps, tu ne jurais que par moi ! Je t’ai tout donné et j’étais prête à te donner encore plus. J’ai passé l’âge de perdre mon temps. Si tu restes avec moi, tu n’auras plus de problèmes. Je te trouverai un travail sérieux. Avec tous les gens haut placés que je connais, ce sera facile.

        – Je t’ai déjà dit que je n’avais besoin de rien.

        – Mais cela n’a pas de sens ! Tu vis dans un véritable taudis !? lança-t-elle en posant un regard méprisant sur les lieux. Qu’attends-tu pour mettre un peu d’ordre dans ta vie ? Tu ne peux pas continuer comme ça !

        – Ne t’inquiète pas, la femme de ménage arrive demain.

        – Voilà, je vais te faire une proposition. Mais écoute-la bien parce que je ne la répéterai pas : je suis prête à quitter mon mari, si c’est cette situation qui te gêne. Je peux partir tout de suite, cela dépend entièrement de toi. Nous pourrons nous installer quelque part de bien, toi et moi. Tu peux réfléchir un moment, j’attendrai ta réponse. Mais ne tarde pas trop, je n’ai plus le temps de mes vingt ans.

        – Catherine… arrête, je t’en prie ! Ce n’est pas la peine d’insister, dit-il en se replongeant dans sa lecture. Maintenant, laisse-moi, je suis occupé.

        – Ainsi, tout est bien fini entre nous ? Et tu crois que je vais m’en aller le sourire aux lèvres ? Tu ne perds rien pour attendre, je ne te laisserai pas te moquer ainsi de moi ! Je ne suis pas une de tes petites conquêtes stupides. Tu n’as pas encore fini d’entendre parler de moi ! lança-t-elle furieusement avant de quitter le studio à grands pas.

 

Impassible, Eloka demeura figé devant son ordinateur. Mais visiblement dérangé par la visite impromptue, il abandonna sa table de travail pour aller se remettre devant la télévision. Un feuilleton américain passait. Scène d’amour.

Wassia entra en poussant la porte, les bras chargés de provisions. Eloka ne sembla pas remarquer sa présence. Sans un mot, elle alla directement dans la cuisine. Les portes des placards s’ouvrirent et se refermèrent, de l’eau coula, des bruits de casserole et de friture s’entendirent. Un parfum de cuisine monta dans l’air.

Quelques minutes plus tard, Wassia revint avec une assiette de nourriture dans chaque main.

 

        – Hello !? Tu viens manger ? C’est prêt.

        – Dis-moi, comment as-tu fait ? demanda Eloka sur un ton admiratif. Tu es vraiment rapide.

 

Wassia fit une grimace et déposa les deux assiettes sur la table basse qu’elle poussa plus près du lit. Puis elle s’assit sur le rebord.

 

        – Alors, tu ne viens pas manger ?

        – Si bien sûr, mais il n’y a rien à boire ?

        – Tu as de la chance… Va voir dans la cuisine, je t’ai acheté une bouteille de bière.

 

Eloka alla chercher la boisson et à son retour se pencha sur Wassia pour lui donner un baiser sur la joue. Elle eut un geste de recul involontaire.

 

        – Tu es une vraie mère pour moi, dit-il en lui tendant un verre d’eau.

Ils mangèrent tous les deux en silence. Eloka ne montrait pas un grand appétit.

        – Pourquoi ne veux-tu pas m’épouser ? demanda Wassia abruptement. Je ne serai pas exigeante, je te l’assure. J’accepterai même d’avoir des co-épouses, si tu le souhaites. Tu te nourris mal, tu bois trop, tu n’as pas l’air en bonne santé et je trouve que tu as beaucoup maigri. Cela me fait mal de te voir ainsi. Dis-moi ce que tu attends pour te décider ? Je ne suis pas assez bien pour toi ?

        – Mais si, bien entendu. Disons que j’attends encore de rencontrer une femme qui ne voudra pas me manger tout cru, me préparer dans sa cuisine pour pouvoir m’avaler et faire de moi tout ce qu’elle veut. J’attends une femme qui n’attendrait rien de plus que ce que je peux lui donner. En plus de cela, le problème avec vous, les femmes, c’est que vous avez toujours besoin de materner quelqu’un. Mais je veux bien te l’avouer, si j’avais été un autre type d’homme, tu es la seule avec qui j’aurais pu envisager de me marier.

Il fit une pause avant de reprendre.

 

        – Cependant, parfois je me demande si tu sais vraiment à qui tu as à faire.

 

Tout à coup, un bruit terrible se fit entendre et la porte d’entrée s’ouvrit violemment. Quatre militaires en treillis surgirent, arme au poing. Hurlant et renversant le mobilier, ils se dirigèrent droit sur Eloka. Le militaire Nº 1, celui qui se comportait comme leur chef, l’empoigna sans ménagement et l’obligea à se tourner face au mur, les mains en l’air.

Passé le choc initial, Wassia intervint :

 

        – Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il a fait ?

        – Tentative de meurtre ! hurla le chef.

        – Tentative de meurtre ?! fit Wassia sans comprendre. Impossible, il doit y avoir une erreur ! Qui vous envoie ?

        – Le Colonel lui-même, répondit le militaire Nº 2.

        – Mais, lâchez-le, il n’a rien fait ! implora Wassia.

        – Fais attention à toi, dit le militaire Nº 3 d’un air menaçant. Sais-tu quel genre de type il est ? Est-ce qu’il t’a dit qu’il était séropositif ?

        – Non ? Et bien, il a aussi caché son statut à la fille du Colonel ! ajouta le militaire Nº 4. Et elle est maintenant à l’hôpital, atteinte du Sida. C’est un homme dangereux !

        – Il va être jugé pour ça ! hurla le chef.

 

 Abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre, Wassia se tourna vers Eloka sur le point d’être embarqué.

 

        – Dis-moi que ce n’est pas vrai !

 

Eloka ne répondit pas. Il se contenta de lui sourire tristement.  Mais avant de quitter le studio, encadré par les quatre militaires, il lui cria :

 

        – Occupe-toi bien de mes affaires, Wassia, et attends-moi, je serai bientôt de retour !

 

Le groupe disparut par la porte. Après un moment d’hésitation, Wassia se précipita à leur suite en s’exclamant :

 

        – Ne t’en fais pas Eloka, je vais te sortir de là, je te le promets !

 

Encore quelques bruits de pas dans les escaliers, puis silence.

 

Wassia retourna lentement dans la pièce. Elle essaya machinalement de ranger un peu, mais abandonna bien vite pour aller se jeter de tout son long sur le lit. Elle resta ainsi la tête enfouie dans l’oreiller, les épaules secouées par des sanglots.