je deviens (très lentement, et par à-coups) un ange
cette perspective me réjouit
car tel est bien, en dehors de toute référence à une religion fondée,
le devoir (réquisit-requiem) que nous avons, envers nous-mêmes
miracle opéré par le passage du temps
ou opération intempestive d’un passager miraculé
etc., les mots sont pratiques pour reconstruire une idée
le devoir d’où nous dérivons vers nous-mêmes
ce nous-mêmes a de quoi faire rigoler
bien des existentialistes
mais que se passe-t-il si je le définis
par le silence, l’hiver, ou la clarté d’une lampe (ou bougie) dans la nuit ?
plus personne ne s’esclaffe
c’est à peine si quelqu’un ose encore ne pas concentrer
toute son attention sur mes prochaines paroles
qui pourtant sont sur le point de lui donner une aussi brusque
déception, à moins que –
puisque je suis encore en train d’écrire ce texte –
je ne change d’avis
et choisisse de lui venir en aide, depuis ma nuit
j’hésite, et en ce moment crucial
(ce mot n’est pas choisi pour rien,
malgré ce que nous avons dit plus haut)
me gratte un bouton en haut du cou derrière l’oreille
par pudeur et modestie, je me garde de toute déclaration d’amour
en direction du lecteur virtuel, soit-il l’opérateur de mes plus vives pensées
alors même que mon corps est déjà dépecé au milieu d’un champ
par ces cousins des corbeaux auxquels fut donné un nom très kafkaïen
leur délectation n’est pas quelque chose envers quoi je ressens moi-même
quelconque sentiment d’aigreur
car ma superbe, je l’ai mise de côté
dans un épitaphe imbouffable
aurais-je déjà par mégarde construit l’équation
à laquelle je ne savais pas si j’allais consentir
à savoir que devenir un ange
égale se rendre incomestible ?
oui
mais c’est un peu court
alors élaborons
le mot élaborer me fait penser au mot délabré
le mot délabré à ce très beau poisson qu’on appelle labre
le labre ne me fait pas penser à un arbre
et l’arbre ne me fait pas penser à tout ce à quoi il ne me fait pas penser
et à partir de là s’accomplit le mouvement exponentiel de l’impensé(e)
c’est curieux comme le féminin active la pensée
c’est curieux comme l’écriture semble bannir l’improvisation
c’est curieux comme est une formule toute faite
improvise-t-on vraiment avec des formules toutes faites ?
pendant longtemps j’ai improvisé au sens le plus faible du terme
au sens le plus faible de l’action
dans la faiblesse d’une action insensée
bref longtemps j’ai improvisé (et c’est ce que veut dire Proust quand il dit que longtemps il s’est couché de bonne heure)
je n’irai pas plus loin dans ma lecture de Proust
parce que c’est mon propre texte que j’écris
et en cela je me sens très fidèle à Proust
à ce que j’ai pu saisir de ses incitations à ne pas trop suivre ses écrits en suivant ses écrits
bref à ne pas tomber amoureux
fût-ce d’un – à première vue bien moins dangereux
qu’un corps humain animé (par une âme) – texte
qui précisément reprend vie (âme) par la visite qu’un voyageur lui prête dans la nuit à la lueur d’une bougie
pour être un ange il faut donc ne pas avoir peur de voyager ainsi
mais ne pas non plus comme à l’auberge où l’on s’éprend d’une bougresse
s’établir
par son passage l’ange ranime
à la mémoire de l’ange vivent les miraculés
lui, décomplexé, vadrouille
se réjouissant de ce qu’il traverse une mémorable tempête (dans une bien jolie prairie)
alors qu’il aurait très bien pu rester encore un soir au chaud dans la taverne
mais non, son dynamisme naturel, ou plutôt surnaturel,
lui retire toute complaisance
il choie son dynamisme, en lequel il chatoie
car il lui échoie de chatoyer
je sais pourtant que ses chatoiements
sont ceux des éclairs sur la prairie
qui rebondissent sur ses rétines…