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Phrases arrachées

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PROLOGUE

         Cependant que certain vieux fou s’amuse à dessiner des images avec le moignon qui lui reste de son esprit le Fou, lui, s’amuse à en dessiner avec les moignons qu’il a arraché, puis recollé : des boutures.

          Il y a longtemps qu’il a renoncé à dire tout ce qu’il pensait (il se demande même parfois s’il existe vraiment quelque chose qui s’appelle une pensée) ; il s’est contenté de recopier – d’arranger – tout cela en prose. La poésie, les romans, les nouvelles sont de singulières antiquités qui ne trompent plus personne, ou presque. Des poèmes, des récits, pour quoi faire ? L’écriture, il ne reste plus que l’écriture, l’écriture seule, qui tâtonne avec ses mots, qui cherche et décrit, avec minutie, avec profondeur, qui s’agrippe, qui travaille la réalité sans complaisance : notre affaire, c’est d’allier des mots anciens dans un ordre nouveau, afin qu’ils survivent et qu’ils créent la beauté, qu’ils disent la vérité.

          (C’est ma maman qui m’a appris. Je n’ai pas l’ombre d’une idée. Elle dit toujours ça quand je lui pose des devinettes de mon hebdomadaire préféré. Celle que j’aime le plus c’est : « Pourquoi le crétin jette-t-il une pendule par la fenêtre ? »)

 

LE RAT

 Les rues de la périphérie étaient désertes, silencieuses et obscures, presque mortes, comme les extrémités d’un grand corps dont tout le sang s’est porté sur un seul point. Un train passe au loin. Pas de fumée. Les trains d’aujourd’hui ne fument plus. Partout entoure, la même odeur de suie, mêlée à celle des détritus : la Ville. Décor glauque à souhait, stigmatisant tous ceux déjà existant – dans la littérature, au cinéma, et dans les journaux télévisuels. Passe un rat : s’arrête un moment, comme alléché par la forte odeur, renifle, et s’en va. Son chemin est tout tracé : d’abord le long du mur (déambuler sur les ruines du sol fracassé est une expérience qui engage tout entier le visiteur déstabilisé), puis sur le mur, qu’il escalade en suivant l’amoncellement de pierres ; pierres érodées par les nuées successives de pluies acides. Le brouillard, lui, ne se dissipe plus. Je dois m’user les pupilles pour voir cet animal grimper vers sa demeure. Nuit noire dans la Ville. Aussi loin que je me souvienne, jamais nuit ne fut, comme le jour, aussi sombre.

Dans l’obscurité, mais ce n’est pourtant pas complètement l’obscurité parce qu’une douce réverbération provient des fenêtres allumées. Je suis le Fou, place mon décor, lance la musique et fait tourner le manège (ceci s’adresse aux âmes imparfaites, faibles et non encore guéries ; je ne parle pas aux sages) : une vie de fuite où le seul plaisir à contenter n’est plus que celui de l’estomac devenu, assurément, modeste.

Etre léger, suffisamment léger pour caresser les nuages et le ciel et le soleil… trouver des ailes.

Au dessus. Au dessus. Au dessus.

 
LE MANEGE

La planche, mise en pente raide à cause de la marée haute, les passagers embarquent péniblement, chargés de leurs ballots et traînant les enfants ; ils présentent en tremblant leur billet au contrôleur – le Fou lui-même – qui les regarde l’un après l’autre d’un œil gentil et rieur. Il faut du temps pour que chacun s’installe, qui en haut en carrosse pour éviter le froid, d’autres à l’avant, à dos de chevaux, pour rester au grand air. Le Rat joue son rôle et monte à bord. Le premier tour ne fait pas encore tourner la tête. On entend des rires. Mais il semble qu’il en aille autrement. Si on méconnaissait l’intensité de la particularité d’une ronde, si on prétendait nier la valeur en particulier de n’importe quelle ronde, on supposerait par là ou bien que le Manège a son principe en lui-même (il serait le bonheur en soi et ne serait que cela) ou bien qu’il relaie des afférents, qui se donneraient mutuellement référence et conduiraient de la sorte non au bonheur, mais aux pleurs. Arrive la nausée.

La tristesse est l’humeur fondamentale de la dépression, et même si l’euphorie maniaque alterne avec elle dans les formes bipolaires de cette affection, le chagrin est la manifestation majeure qui trahit le désespéré.

On nous objectera que la forêt vierge cache dans ses magnifiques solitudes mille animaux dangereux, et que les bassins marécageux du jardin artificiel recèlent tout au plus quelques bêtes insipides… 

 

LE DIALOGUE

« La propriété de l’éléphant, c’est le vol. »

On n’échange plus des mots, mais, sans rien dire, des coups. En même temps, sa main lui caressait lentement la joue, en un geste maladroit mais assuré, plein d’une volonté impérieuse, comme pour effacer la brûlure récente de la gifle.

L’un est un homme, l’autre une femme. Il s’agit de propriétés essentielles déjà reconnues au niveau des structures discursives et acceptées par la fabula.

Mais aujourd’hui il se sentait à vif, et de voir cette expression outrée comme celle d’un mauvais acteur l’agaça. Tout cela est si loin maintenant, nous ne sommes plus sûrs de l’avoir vraiment vécu. Ce ne fut que quelques années plus tard qu’il put comprendre ce qui s’était passé, car, entre-temps, il fallut demeurer à l’écart de toute activité et tribulation au moment où le pays allait vers de nouvelles effervescences de vie et d’évènements. Oui, Madame, ce qu’il avait voulu jadis, c’était que le galérien signât de sa main la mer, et puisqu’il ne pouvait en être ainsi, pourquoi ne pas rejoindre son banc, ahanant, peut-être heureux, attendant la soupe, ramant ?

Déjà il commence à se désintéresser de cette vie qui passe.

Tout cela, au milieu d’un bombardement comme météorique d’atomes qui se feraient voir grain à grain.

Fichtre ! Encore un autre oiseau, tout peinturluré ! Comment est-ce qu’on l’appelle ?

« Mon Pierrot, tu ne te doutes pas comme tu es drôle et spirituel, quand tu veux bien. »

 

L’ARTISTE

Quel degré de réalité doit-on accorder à la connexion des parties de l’univers ? Toutes les pistes menaient à la même absence. Le Rat n’en démordait pas : il tenait à rester à bord. Le pays tout entier devenait une Plantation, qui croyait fonctionner en liberté de décision mais qui était extravertie. De tout cela je vois bien ce qu’un mauvais génie peut tirer comme arguments :

          [1] Il sera vrai qu’il pleut

          [2] Il pleut dans un état du monde postérieur au présent

          [3] Il est possible qu’il pleuve

          [4] Il pleut dans un monde possible

Les rapports de la culture avec la société sont modifiés, parce que la vie intellectuelle se mêle à la vie concrète et au débat sur le changement de société en cours. C’est en ce sens que le rapport des artistes avec le peuple a beaucoup changé : l’artiste a cessé d’être l’Un-Seul retiré en lui-même, mais il a cessé aussi de s’adresser au peuple, d’invoquer le peuple comme force constituée.

« Ce qui est moins que l’on ne croyait, mais qui est déjà beaucoup. »

 

LE POETE

Quand la nuit est tombée, j’aime me promener dans le jardin. Des tours étranges ne font qu’amplifier les ombres déjà trop présentes. A présent, je regarde la neige. Elle fondra sans laisser de trace, elle aussi. Mais je comprends maintenant qu’elle est un mystère. C’est d’abord une tache qui salit la nuit, puis apparaissent les nuages gris, légers, de longues plumes immobiles au-dessus de la terre imprécise, où tourne, tourne, le manège aux passagers nauséeux : « les deux mains dans votre manchon, tenez-vous bien sur la banquette, et filons ! et bientôt Fanchon nous fleurira – quoi qu’on caquette ! »

Interférences des deux guerres je vous vois, voici la nécropole et voici la colline, ici la nuit s’ajoute à la nuit orpheline, aux ombres d’aujourd’hui les ombres d’autrefois

L’homme primitif absorbe certains organes de l’animal pour s’incorporer leurs vertus. Le Fou absorbe certaines phrases du Livre pour s’incorporer les leurs : détaché de sa base de sustentation, la phrase n’est plus alors qu’un organe mutilé flottant au-dessus du vide qui l’attire et se creuse à mesure qu’il descend pour la dévorer finalement toute entière.

En définitive, quel est le principal obstacle à nos efforts ?

La compétition ne se limite pas aux besoins primaires : l’art des vers est l’alchimie qui transforme en beautés les faiblesses.

Voilà l’homme. Il n’est pas meilleur que cela.

 

VAN GOGH
      Ainsi se dessinent deux histoires mutuellement exclusives dont la détermination dépend de l’actualisation discursive. On est encore dans les virages et dans la route étroite qui descend, après le col : la partie interminable du trajet. Passe alors une passante. Du dehors elle observe l’étrange manège, et voit – ses pupilles sont dures, toujours en éveil, à vous donner à croire que les paupières, même durant la nuit, n’osent recouvrir ces deux puits de métal chaud. Elle observe et voit donc : sur la toile blanche du monde, il va faire quelque chose, mais ces émotions répétées et inattendues, si elles devaient continuer, pourraient changer un ébranlement mental passager momentané en maladie chronique.

Et où est dans ce délire la place du moi humain ?

« Mon avenir est une coupe qui ne saurait s’éloigner de moi si je ne la vide pas. »

Et il ne s’est pas suicidé dans un coup de folie, dans la transe de n’y pas parvenir, mais au contraire il venait d’y parvenir et de découvrir ce qu’il était et qui il était, lorsque la conscience générale de la société, pour le punir de s’être arraché à elle,

le suicida.

La rareté actuelle d’une œuvre ancienne ou moderne, qui occupe un rang élevé dans le palmarès de l’histoire de l’art et dont le pedigree garantit l’authenticité et l’originalité, constitue la référence majeure du marché de l’art, quelle que soit l’hétérogénéité des biens mis en vente dans les différents segments du marché.

(Monter sur un escabeau pour réparer la corde de la tirette que le femme de chambre a arrachée.)

…et le suicida, donc.

C’était cela, la vie, c’était cette descente continue vers le néant, ce flot qui coulait le long d’un tuyau noir, cette boule qui dévalait vers l’inconnu, et qui n’était que sa propre fuite, sa disparition.

 

LA CRISE

Vous êtes de sortie et votre inhalateur est resté à la maison. Une crise d’asthme se prépare. Précipitez-vous dans un bistrot et demandez deux cafés noirs bien serrés : « deux cafés noirs bien serrés, s’il vous plaît ».

Répéter l’opération plusieurs fois.

Une dernière fois donc le jeune homme revint et dîna. Le Rat qui ne fit cure de ses remontrances se glissa sous la table, attendant les miettes :

a, à, â, b, c, ç, d, e, é, è, ê, ë, f, g, h, i, î, ï, j, k, l, m, n, o, ô, p, q, r, s, t, u, ù, û, ü, v, w, x, y, z, soit 39 graphèmes, inventaire à comparer à celui des 36 phonèmes (toutefois, les lettres liées æ et œ font problème).

Alors, il prit la bouteille d’alcool et se mit à boire :

< D, f, W, r >

où D  :  désigne un domaine d’objets ;

f  : désigne une fonction d’interprétation qui assigne aux constantes individuelles, aux constantes prédicatives des ensembles d’individus ou de couples, ou de trios, ordonnés d’individus ;

W  :  désigne un ensemble de mondes possibles ;

r   :  désigne une relation d’accessibilité sur cet ensemble.

Pas d’intériorité donc. Pas de latence. Mais maintenant cela est. Est, Amen. J’ai donc tenu jusque-là à travers tous. A travers tout. Et c’était bien ce qu’il fallait, rien que cela.

 

LE PARABOLEUR

      Il voulait être père d’une fille qu’il verrait grandir, dont il scruterait l’enfance, nourrirait la pensée mais, l’entendait-on :

          « Cœur léger cœur changeant cœur lourd

          Le temps de rêver est bien court

          Que faut-il faire de mes jours

          Que faut-il faire de mes nuits

          Je n’avais amour ni demeure

          Nulle part où je vive ou meure »

          C’est pas des géraniums.

          La gorge sèche, il se leva et alla se verser un autre verre de rhum :

          « D’environ 3000 habitants en 1841, la population est passée à 23 364 en 1958, et à 47 246 en 1978, pour atteindre aujourd’hui 160 300 habitants. Le taux de natalité était de 54,3 ‰ en 1985 ; il est de 40,5 ‰ en 1997. »

Nolite ridere ! La misère des hommes l’emporta.

 

LA CHAIRE

        Un autre homme raconte son enfance et à un moment donné, à cause d’un banal fromage trempé dans du thé, retrouve tous ses souvenirs en intégral, pas ceux concentrés en une seule phrase que l’on fait défiler juste avant de mourir, mais les choses en temps réel. D’une voix hésitante, choisissant avec soin ses expressions, il retraçait quelque entretien sur les démons avec un passeur fabuliste ou bien quelque scène de brutalité à peine croyable de la part d’un renard.

         Il s’est rassis sur le lit près du mien. Je regardais le bout de sa cigarette. Il n’a rien dit pendant longtemps. Et puis :

1        Préchauffez le four à 170°C (th. 3). Coupez chaque bagel en six tranches fines.

2        Disposez les tranches sur une plaque de cuisson que vous placerez 10 minutes au four.

3        Badigeonnez de pesto et saupoudrez de parmesan râpé. Remettez au four 5 minutes, jusqu’à ce que les toasts soient légèrement dorés.

Alors, par bouffées, survenaient d’autres mirages : il y avait des charcuteries, temples aux mille colonnes aux plafonds surchargés de jambons et de saucisses, antres sombres où s’entassaient des montagnes de rillettes, des boudins lovés comme des cordages, des barils de choucroute, d’olives violacées, d’anchois au sel, de concombres doux.

Et encore :

Il y avait dans le couloir une assiette de lait destinée au chat.

 

                                                                                LA CARTE

        Des années plus tard, une poussière blanche comme la chevelure des vieillards se déposa sur toute chose / Le monde ressemblait à un dessin au crayon sur un papier blanc :

LA CARTE

 

Ce n’était pas :

Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d’un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coup anglais.

 C’était :

 un seul animal à cent mille bras et jambes un seul corps couvert de bouches qui criaient sa douleur / Une partie de cet animal rampait vers les docks et l’autre vers le centre ville / Comme s’il voulait se déchirer en deux

(Est-ce que j’ai dormi, pendant que les autres souffraient ? Est-ce que je dors en ce moment ? Demain, quand je croirai me réveiller, que dirai-je de cette journée ?)

 

LES SILENCES

 La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.

Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, pourront en donner avis au procureur général des dits conseils, procureur pour nous, et mettre leur mémoires, entre ses mains, sur lesquels et même d’office si les avis lui viennent d’ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais : ce que nous voulons être observés pour les crimes et pour les traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.

Toute personne a droit à la vie.

Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres ; et en ce cas qu’il les eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l’hôpital le plus proche, auquel les maîtres seront condamnés de payer quatre sous par chaque jour pour la nourriture et entretien de chaque esclave […].

Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.

+

Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse, le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

+

Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévèrement punis et même de mort s’il y échoit.

+

Les vols qualifiés, même ceux des chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peine afflictives, même de mort si le cas le requiert.

+

Les vols de moutons, chèvres, volailles, grains, fourrages, pois, fèves ou autres légumes et denrées, faits par les esclaves seront punis selon la qualité du vol par les juges, qui pourront s’il y échoit, les condamner à être battus de verge par l’exécuteur de la haute justice, et marqués d’une fleur de lis.

+

L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé à la justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; et s’il récidive pendant un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule et la troisième fois, il sera puni de mort.

+

Voulons que les esclaves qui auront encouru les peines du fouet, de la fleur de lis et des oreilles coupées, soient jugés en dernier ressort par les juges ordinaires, et exécutés sans qu’il soit nécessaire que tel jugement soit conformé par le conseil supérieur […].

et cætera.

 

 

 

 

 L’INDIFFERENCE

L’homme étendu raide mort. S’était tué d’un coup de fusil – le second ! Car le premier…

Exercices :

1. Parmi les phrases suivantes quelles sont celles qui sont des phrases-noyaux ?

1. Ce devoir a été remis par un étudiant. – 2. Vous prendrez le premier sentier à gauche. – 3. Ecrivez rapidement à votre petite amie. – 4. Qui vole un œuf vol un bœuf. – 5. Il dit que les impôts vont augmenter.

2. Traduisez rapidement : je n’ai vu personne ; je n’ai entendu aucun chant ; rien n’est arrivé ; il ne nuisait à personne ; il ne demande à personne ce qui est arrivé.

3. Mettez strange, stranger(s), foreign ou foreigner(s) :

1. He’s a … – listen to his accent. 2. Do you like eating … food, like curry or paella ? 3. She had a very … expression on her face. 4. “Who’s that ?” “I don’t know. He’s a complete … “. 5. There are all sorts of … in Paris – for example Germans, Americans, Greeks, Japanese. 6. It’s not easy for … to get work in London. 7. I feel … today. 8. He’s English, but he’s got a … wife.

Note : Si le style est lié au tempérament, au caractère, à la condition sociale, à la vision de l’homme, comme cela est généralement reconnu, il est clair que la science du style doit se fonder sur une étude rationnelle de ces relations.

…le chien hurlait à côté de lui, mourant ; et, comme une double fontaine de sang, ses yeux crevés d’une décharge de plomb, ses yeux qui avaient vu…     

 

 

 LA COMPETITION

Du siège arrière du carrosse, l’on pouvait apercevoir la horde de chevaux et d’éléphants qui galopaient tout aussi frénétiquement. Dans leur course folle, ils ne parvenaient pas à rattraper, là, à quelques centimètres à peine, le carrosse effarouché.

Au même moment :

          Sur le flanc droit de la Lune une Biche est tombée à genoux Les Yeux pleins d’une douleur immense car sous le choc et la chute sa patte droite s’est brisée nette Une sorte de Cri a envahi l’Espace Tandis que les premières lueurs du jour ont commencé leur marche au-dessus de la Mer.

         Personne n’y prend garde.

La course continue.

 
LE SPORT

         « Seigneur-Marie-Joseph ! »

– Cri de foi d’une victime lamentable à son destin offerte ! –

« Tandis qu’avec mes pleurs la plainte et les regrets

                   Coulent de mon âme attendrie,

                   J’avance à l’échafaud,

Et de nouveaux objets

                   Interrompent ma rêverie. »

Ni pierres, ni perles, avec la sentence tombe la parure nouvelle faite d’acier tranchant : la tête doit chuter !

L’on retient son souffle.

Antoinette (qui portait « Marie » pour premier prénom), avait le coup fort délicat, et pour cela, justement emballé dans une légère étoffe de velours. Faisant fi des convenances, plèbe et badauds, par-dessus l’estrade rougie, firent rouler ce qu’elle avait de plus admirable.

On aurait pu croire en une révolution, mais il n’en était rien : l’on inventa le football.

L’HOMMAGE

         Intimes et anonymes se bousculent aux pieds de la fosse.

Sous l’œil impressionniste, un majestueux visage se détache en profil sur la pierre coupante, du côté aigu de la grande tranche du Corps-de-Garde qui donne vers l’Ouest. Puis, ces mots inscrits en toutes lettres :

Huic utĭnam alquindo gratĭam referre possimus!

         Le silence de la stature, quoi qu’il en soit, est plein de virtualités figurales exubérantes, ce qui fait dire à l’un des proches : « Adieu ma chère et digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insignifiante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous consoler ».

 

L’EXOTISME

         Non, décidemment, je ne suis jamais tout à fait ressorti du terrier du Lapin aux yeux roses et, rien à faire, son chant sera toujours jaune. Qu’il vocalise, qu’il trille, qu’il muse, qu’il barytonne, ça peut être joli, mais c’est jaune, jaune, toujours jaune. J’aime bien le jaune, c’est entendu, mais du jaune tout le temps, ça m’énerve. Les chats sont comme moi et ils font souvent taire tout ce jaune. Me reste alors le rose du ciel, le rose de la mer et l’ombre des rochers acérés. Une touche de vert aussi : là-haut, sur le seuil des montagnes profondes veille le Pic Adam (ce quotidien a façonné mon paysage, non pas celui qui s’allonge à l’horizon, mais celui qui, de l’extrémité de chaque membre à la racine de chaque plume, se dresse en moi).

         Je ne sais pas transcrire la transparence de la neige, mais je sais faire déferler les vagues sur le sable et les récifs, je sais faire glisser le lait letchis dans la gorge, je sais faire racler le grain tamarin sur la langue, je sais plucher la mangue sans la craser, je sais même oeilletonner le zananas sans l’écorcher, et : je n’ai pas mal au ventre lorsque je mange épicé.

 

L’AVEU

         Je ne suis pas un lecteur silencieux : je m’exclame, j’interroge, je griffonne et souligne bruyamment, je grogne parfois : je m’exprime : néanmoins, il subsiste toujours une frustration : ces mouvements spontanés du corps n’ont pour échos que le morne silence du lieu où je me trouve (je lis toujours dans le silence… comment sinon entendre ces voix qui m’invitent à vivre ?). Comment répondre au texte ?

          Ma solution est ici :

         Je coupe / Je colle / J’annote et commente, subjectivement (cette lecture est mienne) / Je vole, j’arrange et dérange / Je relie / Encore / Et je lie aussi, entre eux, de manière plus ou moins saugrenue, des mots, des phrases, des fragments, des paragraphes…

         Je joue.

         Je suis M. Smith : j’ai mes associations d’idées.
 

L’AVENIR

          1860

          1910

          « L’écrivain doit accepter avec orgueil de porter sa propre date, sachant qu’il n’y a pas de chef-d’œuvre dans l’éternité, mais seulement des œuvres dans l’histoire ; et qu’elles ne se survivent que dans la mesure où elles ont laissé derrière elles le passé, et annoncé l’avenir. »

          … et annoncé l’avenir.        

          … et annoncé l’avenir ?

          … et annoncé l’avenir :

« Ce pourrait être vrai si l’histoire était écrite d’avance. Mais comment écrire un maillage d’événements filé par la somme des particularités vivantes et mourantes, particularités présentes dans chacune des humanités ? Comment prévoir chaque mouvement, anticiper chaque geste de chaque être humain, déjà en corrélation avec une pluralité d’autres ? L’écrivain n’annonce ni ne devine l’avenir, mais il participe à la sculpture des imaginaires, des paysages, il modifie les mouvements et les gestes, n’annonçant pas, mais redessinant les possibilités d’avenir, amorçant l’avenir. »

          (1955 et 1963)

          2006

 

LE PROGRES

          Je me couchais dans ces tristes idées ; elles me suivirent durant mon sommeil, et le remplirent d’images funèbres :

          Celle d’une terre brûlée par la neige malvenue.

          Celle d’une falaise déchirée par la ferraille incongrue.

 Je vois l’entoure mortifié par nos coups assenés :

 Je vois l’île enchaînée au négrier de l’universalité.

 Je vois flotter les calles basses de mémoires souillées.

 Je vois celles des humanités se contracter jusqu’à l’adiscernabilité.

          Je ne dormirais pas cette nuit.

 

 

LE CERCLE

         …si j’étais baudet, je le déclare solennellement, je brairais en sol – sol, ré, do – du matin jusqu’au soir : ouïr l’indiscutable rayon – comme des traits dorent et déchirent un méandre de mélodies : ou la Musique rejoint le Vers pour former, depuis Wagner, la Poésie : telle que je la vois (que je l’« entends »), l’une des manières pour nous de payer notre dette envers la Poésie, envers son rôle dans notre vie, est de ne cesser de poser des questions : pourquoi sommes-nous en guerre ?

          Paix engendre Prospérité :

 De Prospérité, vient Richesse :

 De Richesse, Orgueil, Volupté :

 D’Orgueil, Contention sans cesse :

 Contention la guerre adresse :

 La Guerre, engendre Pauvreté :

 La Pauvreté, Humilité :

 D’Humilité revient la Paix.

 Ainsi retournent humains faits.

 

L’HOSPITALITE

         Serait-ce une utopie que de suggérer la vision morale d’un vaste monde qui, en raison des turbulences qui le traversent, reste lié par sa démarche et uni dans son destin, autrement dit, par la nécessité absolue de partager à tous les niveaux ?

La nécessité est-elle une étape ?

La nécessité absolue est-elle un désir ?

Les turbulences qui traversent notre vaste monde ne cesseront que lorsque le partage se fera, non pas par nécessité – même absolue – mais par désir.

Notre moteur ne doit pas être la nécessité.

         Le désir doit être notre moteur :

Désir de l’Autre en Soi / de Soi en l’Autre,

Don simultané de l’hybridation :

Don androgène.

L’Homme doit se sentir hermaphrodite avant de se penser homme.

L’Homme doit se sentir hermaphrodite avant de se penser femme.

          Je ne suis pas le Même-unifié, je suis l’Autre-partagé.

          C’est parce que nous reconnaissons que l’autre existe – en dehors et en dedans de Soi – que nous éprouvons le désir de partager avec lui la beauté d’un crépuscule, la grâce d’un sourire, le rythme d’un poème, un souvenir, un bien, une idée, une découverte, un idéal, une déception – une espérance.

 

 

DONNER & RECEVOIR

         Bandoeng, Paris, Rio, Nouméa…

Que de chemin parcouru…

Pourtant, des échos nous restons sourds :

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

C’est là encore un lieu commun qu’il vaut de répéter :

« Il n’y a pas de peuple sans culture »

 

L’APOCALYPSE

         Nos humanités pourront librement proclamer leur non-échec dans leurs tentatives respectives de sauvegarde de la planète, car pouvoir c’est avant tout vouloir. Et il me semble que, unanimement, nous n’avons pas voulu.

Pourtant, il a été dit…

         « Nul encore physiquement, le groupe à l’ancienne, Léviathan vivant, n’avait d’efficacité que biologique comme de pensée brute. Par gros animal interposé, nous avons tellement gagné la lutte pour la vie contre les autres espèces de flore et de faune que, parvenus à un seuil, nous redoutons que la victoire, soudain, ne se retourne en défaite. »

          …et répété :

          « Prédateur impitoyable de la nature, l’Homme a commis en ce siècle des atteintes à l’environnement d’une ampleur inédite. Il a désormais les moyens de la mettre en péril partout. »

        Frères humains, n’ayez crainte d’avoir un jour le cœur endurci, puisque après nous, sinon peut-être le Silence, rien ne subsistera… pas même vous. 

            A moins que…           

 
EPILOGUE

           La pédale d’accélération est sensible. Comme on doit se sentir puissant !

           Bon. Ça c’est le frein à main. Vite ! 

  Et alors, maintenant, comment je vais nous le démarrer, moi, ce beau manège ?

 

OUVROIR

J’ai fait voir comment, dans les siècles d’égalité, chaque livre cherchait en lui-même ses croyances ; je veux montrer comment, dans les mêmes siècles, il tourne tous ses sentiments vers lui seul : il n’y a pas de livre universel en soi, le livre est au croisement de toutes sortes de formation, il est toujours par nature néo-livre, il invente pour le pire, sa face d’orient et sa face d’occident, et son remaniement des deux.

          Il s’élance, il plane, il étend ses deux ailes puissantes. Droit devant lui, sans dévier. L’espace a beau reculer, vite, vite, creusant sa poche tourbillonnante, écartant ses invisibles remous, ouvrant et fermant toutes ses vagues, tous ses nœuds.        

(Maman. Ce n’est rien. Ce n’est rien. Bonne nuit.)

 

 

 

Il voulait voir s’envoler les minutes.
 

 

 

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