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Contes du millénaire : Les Aventuriers oubliés (Chapitre 4)

1310

 

LE FILS CACHÈ DE MARCO POLO

 

 

 

La date de naissance du fils de Marco Polo est fort difficile à établir : à trois reprises, son état-civil a été rectifié. Le nom trop italien de Polo fut remplacé par un patronyme chinois ! Il semble que sa naissance au Palais Impérial remonte à l’époque du dernier voyage de son père à Pékin en 1294.

Son père, Marco Polo, âgé de 16 ans, avait accompagné son grand père et ses frères dans maintes expéditions d’orient, avant de prendre la route de la soie, en direction de la Tartarie et de la Mongolie, puis de la Chine. Le célèbre vénitien a vécu 70 ans (1254-1324) : plus de 50 ans de vie nomade, dont 20 années en Chine. Il est bien évident qu’un tel aventurier célibataire a connu beaucoup de femmes au cours de ses pérégrinations.

Li Wang, nièce de l’impératrice, n’était pas mongole et supervisait la décoration du Palais ; elle avait à peine 16 ans et tomba amoureuse de l’étranger. C’était une Han pure, de noblesse très ancienne. Elle ne pouvait pas se marier avec lui ; les vieux lettrés chinois de l’époque des dynasties Song ne pourraient pas le tolérer. Entre deux voyages, ils s’aimaient. Marco était devenu sexagénaire ; il avait la nostalgie de son pays. Il décida de retourner à Venise et revint une dernière fois en 1294. Cependant il avait accepté de lui faire un enfant et expliqué qu’il ne reviendrait jamais. Qu’elle en fasse un Chinois, un Han !

En 1294 la Chine se démembrait ; la famine et la guerre sévissaient ; Kubilaï était devenu un vieillard de 80 ans très diminué. Il accepta de donner sa protection à son fils, mais prévint Marco : « J’ai 7 enfants légitimes et 150 bâtards, ils se querelleront pour me succéder, voire se tueront ; je ne peux pas garantir cette protection pour l’éternité ».

Kubilaï mourut trois mois après le départ de Marco Polo. Nous voici à l’automne 1294 ; le fils aîné de Kubilaï, Timour, prendra le pouvoir à la première lune du nouvel an. Li Wang sait par le chef des eunuques que sa vie est en danger ; les sbires de la garde rapprochée de l’empereur, complotent pour l’assassiner avec son fils. Elle demande audience à Timour et lui expose ses craintes et le complot : « elle lui demande d’accorder sa protection à Polo-li, qui n’est qu’un bébé ». Timour lui répondit qu’il devait respecter les vœux de son père : « le fils de Marco Polo sera élevé au Palais avec la même attention que mes propres enfants ».

 

 

Une enfance dorée dans le luxe du Palais impérial.

 

A chaque dynastie sa capitale. Elle fut  choisie jadis à Nankin au sud, puis au centre du pays entre les deux fleuves à Xi Han, enfin à Hang-Tchéou sur le bas Yang-Tsé-Kiang. Depuis la défaite des Song du sud et la victoire des Mongols Yuan, Pékin était la nouvelle capitale, une petite bourgade.

A sa naissance, Polo-Li avait une ressemblance avec son père, car ses yeux noirs étaient fendus ; mais son nez était aquilin et fin. Sa tête était carrée et ses pommettes étaient saillantes : il tenait bien de son père et de sa mère. Polo-Li vécut son enfance et son adolescence dans une très grande intimité avec sa mère : elle l’avait allaité, ce qui était très rare pour une princesse. Il couchait dans sa chambre et vivait dans un univers de femmes : les suivantes de l’impératrice, les domestiques et les concubines. Ce qui était plus surprenant était l’affection dont l’entourait l’empereur, très affecté par la mort de son père et le départ de Marco Polo, son premier conseiller diplomatique. Polo-Li n’avait pas connu son père, mais beaucoup appris sur sa vie aventureuse. Sa mère, Li Wang lui avait dit combien elle l’avait aimé, que jamais elle ne vivrait avec un autre homme ; cependant il avait été toujours en voyage ! Timour évoquait souvent son père et le traitait comme un fils préféré. Cet empereur n’avait jamais appris le mandarin. Il lui parlait en mongol, lui disant qu’il devrait maîtriser le « Pinyin », le mandarin courant, aussi bien qu’un Chinois. Il devrait prendre connaissance de toutes les nouveautés de l’Occident, celles que lui avait rapporté Marco Polo. Il rêvait d’astronomie et contemplait avec le jeune enfant l’astrolabe que Marco Polo avait apporté à son arrivée à Pékin. De toute façon, l’enfant serait éduqué comme ses fils légitimes avec une foule de précepteurs étrangers. « Un Chinois doit travailler sans relâche ; tu dois me faire honneur à l’école et je suis sûr que tu réussiras aussi bien que mon fils aîné ».

 

Comment devenir un vrai Chinois !

 

Alors que Marco Polo avait appris beaucoup de langues étrangères au cours de ses pérégrinations, il ne parlait et n’écrivait pas en chinois, mais en mongol. C’était la langue officielle de l’empire. C’est pourquoi il était toujours accompagné de traducteurs, ce qui était un handicap pour ses missions. Le mandarin courant, celui  de l’administration, avait été simplifié, il ne comprenait plus 15000 signes, mais quelques milliers. Quelle difficulté pour les voyageurs étrangers adultes ! Or Polo-Li était un enfant, il parlait chinois avec sa mère et à l’école ; le chinois y était enseigné comme l’arabe dans les écoles coraniques. Les enfants ânonnaient, récitaient et apprenaient beaucoup plus vite que les adultes. Les livres de classe étaient pour la plupart des poésies et des recueils de sentences de Confucius et de Lao-Tseu. Restait le plus difficile : apprendre à déchiffrer le mandarin classique des lettrés, puis écrire et calligraphier. Or, dès six ans, Polo-Li tenait à la perfection son pinceau et traçait des caractères splendides : son maître, sa mère et l’empereur le félicitèrent.

Un jour, il avait 12 ans, son maître apporta à Timour un rouleau où Polo-Li avait retracé le plus beau poème de Confucius. Il lui dit que ce petit garçon était un dessinateur hors-pair ; il pourrait devenir un très grand mandarin peintre. Timour, homme de guerre, comme ses aïeux, avait peu d’estime pour les lettrés de la cour et pour les peintres, qu’il considérait comme des parasites. Il estimait que cet enfant devrait savoir se battre et faire des tâches utiles, par exemple construire des ponts. Pour le tester, il lui fit prendre des leçons d’équitation, de polo et de combat avec un maître d’armes. Le jeu de polo, introduit par les Perses dans le Turkestan, était très populaire sous les Song, c’était la coqueluche des dames de la cour. Le jeune garçon ne ratait jamais la balle.

Le jour de ses 15 ans, Timour le conduisit chez son frère dans son village natal en Mongolie pour lui apprendre la vie des nomades et des cavaliers combattants. Quelques semaines plus tard, il y avait un grand rassemblement pour la course du Yingfu : autour des centaines de yourtes, les cavaliers des clans avoisinants étaient prêts à partir. Timour donna le signal du départ : les cavaliers devaient parcourir des distances considérables, désarçonner ceux du clan adverse et s’approprier un sac contentant une tête de bouc. Il reconnu, encadré par son cousin, Polo-Li, et admira son départ foudroyant. Il était talonné par un géant mandchou qui tenta de le précipiter à terre. Le mandchou avait à son bras le sac convoité. Le cheval de Polo-Li s’échappa dans la brume, sans cavalier : le clan mongol avait perdu la face, alors qu’il s’agissait du prestige de l’empereur. Erreur : c’était une ruse ! Polo-Li s’était couché au flanc de son cheval et avait parcouru 10 « lis » (le li des Han équivalait à 500 mètres) dans cette position. Le cheval sans cavalier approcha du géant sans méfiance, Polo-Li arracha le sac et précipita l’adversaire à terre. L’honneur était sauf : le fils ne Marco Polo ne serait pas un vulgaire barbouilleur de papyrus !

 

Comment plaire aux femmes !

 

L’adolescent avait beaucoup appris de ses professeurs, non seulement les connaissances propres à la culture chinoise : la cosmographie, la médecine traditionnelle et surtout la littérature, mais encore ce qui était arrivé de l’Ouest et de l’Europe. La bibliothèque du palais comprenait nombre d’ouvrages introduits par les marchands étrangers sur la géographie, les mathématiques, les religions et la philosophie, ce qui l’avait contraint d’apprendre le latin, l’arabe et le grec et de déchiffrer le français et l’italien. Poli-Li  était un jeune garçon avenant, chaque matin le barbier lui rasait le crâne à l’exception de sa natte qui descendait jusqu’aux reins. Pour les cérémonies, par exemple le jour de l’an chinois, à la première lune, quand l’empereur recevait les notables et ses vassaux au palais impérial, Polo-Li revêtait son costume de cérémonie : une robe de soie rouge parée de brocards dorés, aux larges manches et un bonnet de facture mongole à large bord couronné par un haut-de-forme en velours noir. Il était au premier rang avec les Princes et se prosternait avec élégance.

Les femmes le regardaient avec intérêt comme un parti éventuel ou comme un amant désirable. Un jour, alors qu’il passait devant le harem, gardé par les eunuques, un soldat lui fit signe et le fit entrer par une porte dérobée. Cette intrusion était passible du supplice de l’écartèlement et de la peine de mort. Le jeune garçon, âgé de 15 ans, n’avait pas hésité, il allait connaître les plaisirs de l’amour. Celle qui l’attendait était la concubine préférée de l’empereur, d’une incroyable beauté. C’était au printemps à la floraison des camélias, dans un jardin qui embaumait. Autour des bassins peuplés de poissons rouges, il y avait un grand lit de massage à baldaquin, encadré par deux grands ibis de bronze. Elle referma les rideaux et le dévêtit très lentement, puis elle lui massa les pectoraux, les cuisses et le ventre, jusqu’au moment où elle fut assurée de sa parfaite virilité. Il était sur le point d’exploser, quand elle s’empala et ondula comme un naja. Ne pouvant prendre comme confident, ni l’empereur ni sa mère, le jeune garçon garda pour lui-seul ce souvenir merveilleux.

 

La fuite du palais impérial.

 

La disparition de Timour, celle de Wuzong et l’avènement de Renzong en 1311 avaient plongé Wang-Li et Polo-li dans un grand chagrin et une profonde inquiétude ; quel serait leur sort ?

A la cour, les nobles mongols et les lettrés han, se réunissaient en secret et fomentaient des complots, comme à la mort de Kubilaï : ils voulaient empêcher Renzong de succéder à son frère et expulser du palais tous les conseillers étrangers. Le grand eunuque ne savait pas que le fils de Marco Polo avait pénétré dans le harem, ce qui eut permis de le condamner aussitôt. Il avait une grande amitié pour les Polo, c’est pourquoi il les prévint qu’ils risquaient fort d’être assassinés. Il fallait fuir.

Il avait raison : l’Empereur remplaça tous les collaborateurs de son frère et décida aussitôt de bannir les conseillers étrangers. Il refusa de renouveler la protection impériale du fils de Marco Polo et leur conseilla de quitter Pékin. Dans les rues, les anciens dignitaires han de l’époque Song défilaient, les pieds attachés par de lourdes chaines de fer et le cou cadenassé dans un carcan de bois, la plupart étaient exécutés.

Avant de partir, Wang-Li, sa mère, alla voir le chancelier des titres qui avait survécu à la purge : elle avait compris qu’il fallait effacer la référence à Marco Polo et changer l’identité de son fils. C’était facile à cette époque ; il suffisait d’un acte officiel. Après une longue entrevue avec son fils, elle lui fit comprendre l’urgence : « il ne serait plus un Polo et devrait cacher ses origines ». Zhong-Shaozu, le Chancelier, originaire du Yunnan, fut très compréhensif et rédigea aussitôt l’acte officiel, signé par la mère et par l’enfant ; « Wang-Yu, né à Nankin au dixième jour de la neuvième lune du quatrième an du règne de l’empereur Wuzong » (alors qu’il eut fallu écrire sous le règne de Kubilaï). Polo-Li et sa mère n’y firent pas attention : il était redevenu un nouveau né de un an ! Il venait de fêter son 17ème anniversaire.

La fuite fut décidée une nuit sans lune : pas de suite, juste la mère et le fils et deux gardes, plus un navigateur expérimenté. Cette année là, l’hiver avait été doux et la section septentrionale du canal n’était pas prise par les glaces. A défaut, il aurait fallu suivre un brise-glace, ce qui aurait été plus long et aurait coûté très cher. Ils partirent dans un palanquin porté par deux porteurs très rapides. Après une heure de parcours, ils arrivèrent au port du grand canal impérial, cette voie d’eau qui longeait la côte et aboutissait à Changzhou, à ses lacs et canaux, jusqu’à Nankin et Shanghai, tout l’estuaire du Yang-Tsé. Pour la Chine du sud, il n’y avait plus de canal, il fallait naviguer entre les canaux et les lacs, ce parcours, jadis effectué par Marco Polo, était très difficile : il fallait également 100 jours pour aller de Nankin à Canton. Heureusement ils s’arrêtaient à Changzhou.

 

Le voyage vers Changzhou

 

Le port de Pékin était désert : une grande barque à fond plat, munie d’un grand mat, d’une dérive et d’un large gouvernail, était éclairée par un puissant fanal. La barque les attendait au milieu d’une centaine d’embarcations, mais tout le monde dormait, la fuite serait discrète ! Wang Li avait convenu du prix du parcours : des montagnes de sapèques et un sac de perles. Le voyage durerait 100 jours. Il serait plus rapide et surtout plus sûr que le voyage par terre à cheval ou en palanquin, car ils auraient été exposés aux brigands, aux hordes des cavaliers mongols et aux assassins envoyés à leur poursuite.

Le Grand Canal Impérial avait été percé depuis longtemps, dès la dynastie Sui ; il avait été un projet pharaonique des empereurs de Chine, admiré par tous les voyageurs, il parcourait près de 2000 kilomètres, 4000 lis ! Aucun autre pays dans le monde, même en Egypte ou en Perse, n’avait creusé un tel canal. Il était très large, souvent de 20 à 40 mètres, les architectes avaient aménagé des écluses pour franchir les gorges. A chaque agglomération importante, les dynasties avaient fait construire des ponts à dos-d’âne, souvent à plusieurs arches, ornés de magnifiques sculptures. Tout au long des berges, on pouvait admirer les temples, les pagodes et les monastères. Les haltes du canal étaient calculées en fonction des distances journalières parcourues par les navigateurs. Elles étaient pourvues de restaurants et de maisons de thé. Cependant, ce n’était pas un voyage de cérémonie ou d’agrément, mais une fuite pour échapper aux Mongols, manifestement peu populaires au fur et à mesure que l’on pénétrait dans la Chine profonde. Par voie de conséquence, ils mangeraient et dormiraient sur le bateau et feraient en moyenne 30 à 40 lis par jour, s’arrêtant la nuit pour échapper aux périls de la navigation. La circulation maritime était considérable, car le canal était la principale voie d’acheminement des céréales, blé et riz, des produits importés et surtout des pierres et madriers nécessités par les constructions de logement des villes nouvelles.

Wang Yu n’avait jamais fait un aussi long voyage. Il pensait à son père, qui avait passé toute sa vie à cheval, à dos d’âne ou de chameau et bien souvent exposé aux bêtes sauvages. Marco Polo couchait au flanc de son chameau dans le désert de Gobi ou au pied d’un pin dans la montagne du Pamir ou dans une grotte. Au moins le bateau était confortable ; sur le gaillard avant, sa mère avait un petit salon et il disposait pour lui d’une petite chambre. Au fur et à mesure qu’ils descendaient vers le sud, la température devenait plus chaude. Les enfants se baignaient dans le canal ;  les rizières se succédaient. Les collines étaient encore très boisées, mais de plus en plus consacrées aux vergers d’arbres fruitiers. Le printemps débutait et les fleurs des amandiers et des pêchers lui rappelaient les plus belles poésies des grands lettrés de l’époque des Song du Sud ou même de l’époque Tang.

 

 

Un destin de lettré fonctionnaire ou un artiste-peintre ?

 

L’expédition parvint sans encombre à Nankin, puis à Shanghai ; ils apprirent que le gouverneur était de retour à Changzhou, où ils parvinrent le jour du rat à la cinquième lune. C’était une ville immense, 500 000 habitants, la vieille enceinte impériale entourait un grand lac. Plus tard, beaucoup plus tard, quand Wang-Yu put se procurer le « Devisement du monde », récit du voyage de Marco Polo écrit dans sa prison de Gènes, il découvrit l’émerveillement du Vénitien, qualifiant Changzhou de « plus belle ville du monde ». Il faut dire qu’il y avait une ressemblance avec Venise, une ville de canaux où les habitants animaient la grande voie impériale et le dédale des ruelles, reliées par les ponts à dos d’âne.

Le Palais du gouverneur était proche du palais impérial du vice-roi, bien sûr un Mongol. Aucune difficulté pour trouver la résidence de son grand père. Tout le monde connaissait des Wang, car un tiers des habitants avaient ce nom, mais ils ne représentaient pas la descendance du Gouverneur. Le gouverneur Wang-Ming avait été avisé de l’arrivée de sa fille et de son enfant, il avait organisé un grand banquet avec toute sa famille et invité le Préfet et les sous-préfets. Les nouveaux venus furent installés dans une jolie maison, dont la façade était ornée d’un portique laqué en rouge et en noir, et d’un toit recourbé aux tuiles vernissées.

Une fois bien installé, Wang-Yu découvrit trois nouveautés : il faisait partie d’une famille, devait en respecter la hiérarchie et les coutumes et faire honneur à son grand-père. Une famille qu’il n’avait jamais eue : près de 100 parents vivaient au palais ; la parentèle éloignée était encore plus nombreuse, des cousins et cousines, des oncles et des tantes à profusion ! Une hiérarchie implacable : il devait obéir sans renâcler à tous ses aînés et respecter les rites. Les Wang étaient pour la plupart confucéens, comme d’ailleurs sa mère : chaque semaine il apportait au temple les fleurs d’hibiscus et les mets d’offrandes, mais aussi des liasses de sapèques. Faire honneur à sa famille, le précepte que l’empereur lui avait déjà inculqué, signifiait réussir parfaitement dans ses études.

L’entrevue avec Wang-Ming débuta par l’invocation de son père. Wang-Ming l’avait bien connu lors des séjours de Marco Polo à l’ancienne capitale des Song. « Cet homme est resté dans notre famille une grande figure de la Chine, car il a ouvert notre pays au monde extérieur et à l’Occident . La première mesure à prendre sera de rectifier ton état-civil ; nous avons rendez-vous avec le chancelier, qui est mon obligé. Ce fût fait, il avait retrouvé son âge ! Ton père a été adulé chez nous,  aujourd’hui il est maudit, tu en sais quelque chose, mais dans l’avenir nous retrouverons des dynasties Han. Quant à toi, tu dois poursuivre des études d’ingénieur et d’architecte, passer les examens et les concours, ce qui représente sept années de préparation, qui se dérouleront entre Changzhou et Nankin. Tu deviendras alors fonctionnaire impérial. Mais il y a d’autres impératifs pour un lettré : connaître notre littérature et notre poésie, comprendre les vertus morales de notre sagesse : celle de Lao-Tseu, de Confucius et de Bouddha. Tu feras périodiquement des retraites dans les monastères. Pour commencer, nous irons avec ta mère et avec toi au temple de Confucius, je te présenterai au vénérable Tsao-Hui et tu étudieras les grands textes de Confucius dans son Monastère ».

 

Le pèlerinage confucéen

 

Aux premiers jours d’automne, ils remontèrent le Yang-Tsé et se dirigèrent vers le temple de Qufu. Ils firent le pèlerinage en remontant vers le fleuve jaune, pour se recueillir au temple confucéen du mont sacré Tai Shan. Confucius y avait fait un long séjour. Ils pénétrèrent dans les montagnes et parvinrent dans une région escarpée ; sur les routes affluaient des milliers de pèlerins à pied ou en palanquin. Ils arrivèrent au pied du temple : un escalier abrupt, l’échelle du ciel, escaladait la montagne : 6 000 marches, 10 heures d’ascension, une vue prodigieuse sur le pic de l’empereur de jade et le temple des nuages bleus ; au crépuscule, noyé dans la brume, leur temple se dressait vers le ciel. Mais surtout, depuis des siècles, les plus grands lettrés étaient venus graver dans la pierre leurs poèmes. Une leçon de calligraphie.

L’accès à Qufu, où était enterré Confucius, était plus aisé et les pèlerins plus nombreux, la statue de Confucius dominait le temple. Le gouverneur fut reçu par le vénérable, il était descendant de Confucius, comme les milliers de disciples qui occupaient les 600 chambres des pavillons. Wang Yu se sépara de sa mère et, guidé par un jeune disciple, commença l’étude approfondie de  la philosophie confucéenne. Ce stage dura trois mois. Il rentra à Changzhou, pour commencer les premiers examens, qui justement portaient sur la pensée de Confucius. Ses résultats furent excellents. Très studieux, il s’enferma dans la routine des examens et concours et fut nommé Ingénieur des travaux sept ans plus tard. Son premier poste fut dans le haut Yang-Tsé, pour construire des barrages en aval des trois gorges. Il avait innové en construisant des barrages au fil de l’eau qui régularisaient le cours du fleuve. Cette protection se révéla insuffisante et quelques années après la fin du chantier, les barrages furent emportés par l’inondation ! Pourtant, il n’était pas satisfait de son sort et souhaitait dessiner autre chose que des plans de barrages. C’est alors qu’il rencontra Qi-Song-Zhe, un peintre de paysages.

 

 

La découverte de la peinture.

 

Qi-Song-Zhe, âgé de 40 ans, était un lettré bouddhiste très cultivé. Il faut rappeler que les empereurs Yuan avaient supprimé l’Académie de peinture et pourchassé les lettrés. Wang-Yu l’avait rencontré pendant une expédition vers les montagnes des brumes pâles. Il était accroupi sur un rocher, face à un paysage bleu où se dressaient des centaines de rochers aux formes de pains de sucre. Au premier plan, paressait une rivière bordée d’immenses bambous, les pêcheurs aux cormorans étaient en pleine activité. Il dessinait sur une tablette et un grand carré de papier bis l’esquisse de ce paysage merveilleux, avec un curieux crayon taillé dans le charbon. C’était tellement beau ! Ils firent connaissance, et Qi-Song-Zhe le convia à venir voir ses peintures dans l’atelier de son maitre Wang-Meng.

Wang-Meng était encore jeune homme. Son père, lettré-peintre, avait été très respecté sous les Song, puis exilé au fond de la Chine. Il était mort. Le fils avait renoncé aux études de lettré, pour peindre comme son père. Il avait un petit atelier et commençait à bien vendre ses rouleaux. Wang-Meng était un cousin éloigné (au troisième degré) de la famille Wang. Il travaillait avec ses enfants et ses disciples, dont Qi-Song-Zhe. Le visiteur pouvait-il lui montrer s’il savait dessiner ? Wang-Yu prit une feuille de papier de riz et sans aucune rature dessina le paysage qu’il avait en mémoire, le mont sacré de Tai-Shan. « C’est la troisième montagne sacrée, félicitations, viens me rejoindre dans mon atelier ». Une porte s’ouvrit, le jeune homme aperçu dans l’encadrement de la tenture, une jeune fille d’une merveilleuse beauté. « C’est « fleur de lotus », ma fille Lian Hua, elle dessine très bien et fait actuellement de la peinture laquée sur bois ». Wang-Yu répondit au peintre : « j’ai toujours voulu peindre, je suis pour six mois au barrage, je viendrai pendant la moitié de la semaine dans ton atelier ».

Un jour Wang-Yu apprit qu’il avait été limogé par l’empereur, malgré la protection de son grand-père. Il décida de se consacrer complètement à la peinture.

 

Les Chinois sont-ils idolâtres ou philosophes ?

 

Wang-Yu dit à ses hôtes qu’il était le fils de Marco Polo. Etant révoqué par l’empereur, désormais il vivrait la vie frugale de l’atelier. En dehors de la technique de peinture, ils abordèrent bientôt des sujets philosophiques et politiques. Il comprit rapidement que Wang-Meng considérait les Mongols comme des usurpateurs, des tyrans, des envahisseurs et des barbares …

Qi-Song-Zhe était beaucoup plus instruit. Il considérait les trois religions comme des cultures proches : elles avaient en commun leur sagesse.

La contradiction apparente entre le Ying et le Yang, la dérive éventuelle entre le bien et le mal résultaient d’instincts non contrôlés, en particulier la violence. Les taoïstes, confucéens et bouddhistes aspiraient à faire le bien, pas seulement par leurs offrandes, mais par leur comportement. Ces règles de conduite obéissaient à des rites et des cultes : celui des trois fondateurs et des hommes saints, celui de la famille et des ancêtres. On baisait les pieds des idoles, en leur laissant des aumônes. Il existait des prêtres, des bonzes et moines ; mais ce « clergé » n’était pas l’intermédiaire obligé de la croyance et de la foi. Au contraire, les civilisations venant du soleil couchant obéissaient à des religions monothéistes : mahométans, juifs et chrétiens devaient obéir à des livres sacrés emplis de violence, de guerres et de crimes abominables. Ils  prétendaient imposer leur religion au monde entier, en envahissant la contrée des infidèles, qualifiés de barbares. Wang-Yu lui rétorquait que la Chine était depuis longtemps déchirée par des guerres intérieures et que les Chinois eux aussi qualifiaient le monde extérieur de barbare, alors que les peuples asservis avaient les mêmes croyances, par exemple en Extrême-Orient et en Asie du Sud.

 

Le noir de l’encre et la couleur de la laque

 

Wang-Yu fit des progrès rapides à l’atelier de Wang-Meng : il apprit à choisir son papier, préparer les encres et couleurs, tailler les stylets de bambou, lisser et nettoyer les pinceaux. Au début, il fut paysagiste et suivit le style de son maître, en utilisant surtout le noir de l’encre de chine : des paysages de montagnes et de rivières, des pins et des genévriers, des bambous et des pagodes. Il découvrit également la couleur et l’art raffiné de la peinture sur soie.

L’apprentissage de la peinture devait tout autant, sinon davantage, à la fille de Wang Meng. Fleur de Lotus l’accompagnait presque toujours dans la recherche de nouveaux paysages, il lui récitait les poètes disparus, bien souvent des odes d’amour. Elle était de dix ans plus jeune ; ce qui devait arriver arriva ; ils devinrent amoureux. Le style de Wang-Yu évolua : Il avait envie de représenter autre chose que les montagnes, par exemple des êtres humains, des fleurs, des animaux. Fleur de Lotus lui montra comment préparer la laque et travailler le bois, puis passer les 18 couches assurant le brillant du laqué. Elle ornait de fleurs et de dragons ou d’ibis de grands retables en bois précieux, surtout en santal, et peignait à ravir les piliers des maisons et pagodes. Les clients étaient les monastères et les riches marchands pour leur maison. Un jour un marchand lui demanda de peindre des oiseaux sur un grand retable ornant son salon. Wang-Yu eut une idée : « et si nous faisons un grand canard impérial, celui qui a des plumes rouges, bleues et jaunes. Quelle ambition impériale, le jaune du fils du ciel » ! Restait à rassembler les couleurs. Il faudrait acheter des minéraux réduits en poudre, tels que le bleu du lapis-lazuli, le noir du jais, le jaune de l’or et des topazes, le mauve de l’améthyste, et puis les mélanger avec de l’huile de lin à des couleurs végétales. Ceci n’avait jamais été fait. Ils le firent, mais durent gâcher trois panneaux de santal : les proportions initiales étaient mauvaises, le canard avait des ailes inégales, ses plumes devaient être dessinées une à une. Enfin, le marchand fut très satisfait et leur envoya des amis. Le père de Fleur de Lotus fut stupéfait.

 

Le mariage de Wang-Yu

 

Les deux amoureux décidèrent de se marier. Impensable en Chine ; les mariages sont organisés par les parents. Du côté de Wang-Meng pas d’objection, en revanche le Gouverneur fit savoir qu’il ne viendrait pas au mariage et sa mère non plus, Wang-Yu déshonorait sa famille ; il n’était même plus ingénieur impérial, mais barbouilleur de papyrus, la famille misérable de ce cousin éloigné ne convenait pas au clan Wang ! Le fils de Marco  Polo fut très attristé et se dit qu’un jour, s’il redevenait une notabilité, son grand-père lui pardonnerait.

Les jours s’écoulèrent, Wang-Yu avait trois enfants, dont un garçon prénommé Meng, comme son beau-père. Son maître était devenu célèbre ; il sera l’un des quatre maîtres réputés de la deuxième moitié du règne des Yuan. Wang-Yu vivait désormais très bien de sa peinture d’animaux et de ses portraits de notabilités. Il peignit souvent sa femme, Fleur de Lotus, mais ne vendit jamais un portrait de sa femme.

En 1331, le nouveau Grand Khan rétablit Wang-Yu dans ses fonctions d’ingénieur des travaux et le convoqua à Pékin pour lui confier de nouvelles fonctions. Une nouvelle période s’ouvre dans sa vie.

 

 

Constructeur de canaux, de routes et de jonques.

 

Le voyage vers Pékin avec sa famille ne fut pas de tout repos, car la guerre faisait rage, les vassaux se rebellaient, les paysans privés de récoltes par les troupes d’insurgés et les armées impériales étaient décimés par la guerre et la famine. Il fallait de longs détours pour éviter les zones de combat, le voyage dura six mois. Ils arrivèrent aux portes des murailles de Pékin au petit jour ; le sceau impérial, fourni par le vice-roi de Xi Han, permit de franchir les portes et d’arriver au Palais. Ce palais avait été rénové et le pavillon impérial était somptueux. Il fut reconnu par le grand eunuque qui avait assuré leur fuite et introduit dans la salle d’audience. Le Grand Khan lui dit combien il avait regretté l’exil édicté par ses prédécesseurs : le fils de Marco Polo retrouverait les aptitudes de son oncle et de son père ; il était architecte et Chinois.

Les urgences n’étaient plus les mêmes : la route de la soie était fermée et la Chine ne pouvait plus exporter la soie que par mer ; il fallait rénover le grand canal, construire des fortifications militaires, assurer l’approvisionnement en eau de Pékin, et se protéger contre les incursions des Mandchous, les rébellions du Tibet et celles du Champa (Tonkin). L’armée impériale reculait ; le péril venait du nord et de l’est ; et surtout le danger pouvait venir de la mer ; or la flotte impériale était à l’abandon ; il fallait reconstruire une flotte de commerce et de guerre. « La tâche qui t’attend est énorme, commence par le grand canal ».

 

Le retour à Changzhou et le chantier du grand canal.

 

De retour dans la ville de ses études, Wang-Lu se préoccupait de l’accueil de la famille Wang, lui pardonnerait-on ? Pour sa mère, toujours aussi belle, aucun problème : elle embrassa son fils Yu et Fleur de Lotus et se précipita sur les enfants, deux adolescentes ravissantes et un petit-fils Weng : un vrai chinois, un Han, un confucéen ! Surprenant, le grand-père avait tout pardonné, Yu était à nouveau fonctionnaire impérial. Pour l’amadouer, Yu lui offrit une de ses plus belles peintures, celle qui représentait Lian et ses deux filles. La famille fut à nouveau réunie.

Pendant que Wang-Yu rassemblait les contremaîtres et ouvriers du chantier, il traçait sans discontinuer des relevés du tracé du canal et des effondrements dus au manque d’entretien. Dans ses moments de détente, il retrouvait les ruelles de la vieille ville, en compagnie de Qi-Song-Zhe qui était venu leur rendre visite. Ce dernier parlait le portugais et interrogeait les marins qui venaient de Macao. Il apprit qu’un antiquaire, Fernando Marinho, avait une boutique avec des livres de voyageurs.

C’est ainsi que le fils apprit que son père était mort à Venise, mais il avait publié un livre de son récit de voyage. C’était la première édition française du « Livre des merveilles ». Yu lu l’ouvrage d’une traite et les chapitres concernant Changzhou, et surtout un curieux chapitre concernant son voyage dans l’empire du soleil levant, ce « Cipango » qui faisait rêver tous les explorateurs. Marco prétendait qu’au retour, sa jonque de mer s’était dirigée vers l’est, puis avait dérivé dans l’Océan pacifique, toujours plus au sud, puis était arrivée à l’est dans une île où les temples étaient ouverts d’or. Etait-ce l’Atlantide, un nouveau continent ! Alors il se rappela une sentence de Lao-Tseu : « En allant trop loin à l’Ouest, c’est l’Est ». La terre est ronde, et on peut inverser  le raisonnement : « En allant trop loin à l’Est, c’est l’Ouest ». Alors on revient à son point de départ en Europe.

Son ami approuva ce raisonnement et exposa une argumentation expérimentale. « Il y a dix ans, nous avons regardé ensemble une éclipse de lune, le soleil était couché mais il éclairait l’autre partie de la terre où il faisait jour. La pleine lune a été quelques instants à l’ombre de la terre, qui est ronde comme la lune et le soleil. Chez nous il y a des clairs de lune, sur la lune des clairs de terre, puis au fil des jours la lumière et l’obscurité ; seul le soleil donne la lumière. Si notre  terre avait été un rectangle plat comme l’affirment nos géographes, notre ombre aurait laissé déborder une partie du disque de lune, deux petits croissants auraient subsisté. Après quelques instants, la pleine lune réapparait. Donc la lune tourne autour de la terre, qui tourne autour du soleil, les trois astres sont ronds et sont parfois en alignement. La lune était cachée derrière la terre ».

Le chantier dura 10 ans, Fleur de Lotus lui donna deux autres enfants, des fils, la famille Wang célébra les naissances par de grandes fêtes. Ses deux filles se marièrent avec des cousins, suivant la tradition. Quand le chantier parvint aux portes de Pékin, le canal put accueillir beaucoup plus de navires, la route de la soie était à nouveau ouverte et la sécurité assurée. Le nouvel empereur avait confirmé Wang-Yu dans ses fonctions et l’envoya en Mongolie pour des travaux d’hydraulique.

 

Le vent de sable de Pékin

 

Pékin s’était agrandie et chaque automne la ville manquait d’eau ; la population étouffait de chaleur ; un vent de sable arrivait du désert de Gobi et envahissait tout. Pendant des semaines, la ville était recouverte par un brouillard très dense ; les aqueducs étaient secs ; et surtout les épidémies se propageaient. Les ordures poussées par le vent entraient même dans le palais impérial. Il fallait essayer d’y porter remède.

Yu partit d’abord seul en mission d’inspection : il refit en sens inverse le chemin parcouru par son père et constata que les contrées décrites comme verdoyantes et pleines de gibier étaient des déserts de cailloux ; les marécages étaient asséchés et les fleuves se perdaient dans le sable sur les hauts plateaux de Mongolie. Il fallait entreprendre des travaux gigantesques de restauration des sols, dans des régions peu peuplées. Il s’installa vers Urumqi dans une yourte au nord de la Mongolie, fit venir sa femme et ses fils, et recruta dans le Yunnan des milliers de paysans pour les travaux de terrassement et d’adduction d’eau. D’abord des canaux pour acheminer l’eau vers Pékin. Cependant il n’y avait dans les steppes mongoliennes presque pas d’eau pendant l’été. Pourquoi ne pas détourner les eaux du Yang-Tsé ou celles du Fleuve Jaune ? Hélas le trésor de l’empereur était à sec.

Alors restait l’objet principal de la mission : arrêter le vent de sable de Pékin. Le chantier fut consacré à  la construction de talus et de banquettes, plantés de broussailles, de tamaris et de résineux, résistant au froid, à la chaleur et à la sécheresse. Quand le vent de Gobi se levait, il se brisait sur les talus et l’eau de la nappe remontait vers le sol. Il fallait reconstituer les boisements de jadis, détruits par les nomades et plus encore par les populations sédentarisées qui cultivaient de grandes exploitations en terrain plat. Son entreprise ambitieuse fut alors qualifiée de « muraille verte », protégeant la Chine de l’invasion du désert ! Ce travail de longue haleine ne pourrait pas avoir d’efficacité s’il était interrompu. Pékin serait toujours à la merci du vent de sable. Ce fut une tâche exaltante, mais un séjour bien désagréable pour Fleur de Lotus. Enfin, un jour viendrait où l’Empereur l’affecterait à la construction navale.

 

La reconstruction de la flotte impériale et le mirage des grandes jonques.

 

En 1358 Wang-Yu avait 48 ans. Il pressentait la fin de dynastie Yuan. Togan Temur fut le dernier empereur Yuan, il régna trois décennies ; mais un jour un chef de rébellion prendrait le pouvoir, ce fut l’origine de la dynastie Ming.

Pendant dix ans, le fils de Marco Polo fut ministre de la construction navale et le principal artisan des milliers de grandes jonques de la marine impériale.

Il faut toujours apprécier la force des adversaires et leur capacité militaire. C’est pourquoi il commença par se rendre au Japon, pour constater que leurs nefs étaient bien conçues pour des raids en Mandchourie et en Corée, mais non pour le combat naval. Il se rendit également à Macao, pour observer les bateaux étrangers. Dans un combat naval, la flotte impériale repousserait sans difficultés une offensive étrangère.

Tant que les explorateurs n’auraient pas franchi le Cap de Bonne Espérance, les caravelles ibériques ne parviendraient pas en Chine. Cette hypothèse ne se vérifierait pas avant un siècle. Par voie de conséquence, la compétition resterait celle des navires de commerce, car le transport maritime finirait par triompher de la route de la soie, longue et hasardeuse.

Qui pouvait transporter le plus de marchandises : les sampans de cabotage des Malais, Indiens, Portugais ? Les différences de gabarit étaient restreintes. En fait, il y avait une supériorité de la Chine : les « grandes jonques », construites depuis des générations. Elles pouvaient transporter des milliers d’hommes et de tonnes. L’armement des navires de combat était très supérieur à celui des galères et des caravelles des occidentaux. Ces jonques étaient très longues, 20 à 50 mètres, dotées de plusieurs ponts ; les plus grandes avaient 10 à 12 mâts, des voiles rectangulaires de grande surface, des cloisons étanches et des instruments de navigations inconnus des occidentaux. Surtout elles étaient rapides et maniables. Peu de jonques avaient sombré dans les tempêtes alors que les sampans coulaient rapidement. A Canton, Shanghai, Chengzhou, Pékin, Harbin, les chantiers navals construisirent des centaines de ces jonques. Wang-Yu comprit que des navires pouvaient naviguer en haute mer au lieu de suivre les côtes, contourner les îles de la sonde et rejoindre l’Afrique.

Alors fallait-il faire la conquête de colonies et découvrir des terres nouvelles ? Une tentation ! L’Océan indien n’est pas de tout repos pour les navigateurs et l’Océan du soleil levant n’est pacifique que pour ceux qui ne s’y sont pas aventurés.

 

« Pourquoi fonder des colonies ? L’empire du milieu est si vaste que pour le conserver il faut en permanence envoyer nos troupes au sud et à l’est ; d’autres colonies finiraient par se révolter.

Il faut raison garder se dit Wang-Yu, défendre nos frontières suffit à la tâche. La Chine est un empire puissant, mais elle n’est pas impérialiste, car elle est assez étendue ; mais elle sera toujours nationaliste ».

Le fils de Marco Polo était mort quand le grand Amiral des Ming, Zheng He, en 1421 découvrit peut-être l’Amérique (ou simplement l’Australie, ou Bornéo), son rêve et celui de son père !

 

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