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Chroniques martiennes (2)

Ouverture

Débarquer inopinément sur une autre planète est une expérience à laquelle nul Terrien n’est préparé. Je ne dissimule pas combien je fus, en l’occurrence, chanceux d’être accueilli par des Martiens pacifiques, qui semblaient à peine surpris de me voir me matérialiser devant eux, et qui étaient tout prêts à faciliter mon séjour. Je fus reçu comme un hôte de marque, logé dans l’un des meilleurs hôtels de Sipar. J’étais libre de mes mouvements, à condition d’accepter une escorte dont j’admis immédiatement l’utilité. Car je redoutais, si je me promenais seul, de provoquer des attroupements dont je n’aurais su comment m’extraire.

Les Martiens ne sont pas très différents de nous, physiquement. Ils sont en moyenne plus grands d’un bon pied que les plus grands des humains, avec une corpulence en rapport avec leur taille. Leur allure a quelque chose de dégingandé. Leurs visages sont plus effilés que les nôtres et ils ont surtout cette teinte verdâtre caractéristique qui rend impossible de les confondre avec nous. A ce détail près j’aurais peut-être pu passer pour un jeune natif de la planète, si les Martiens n’avaient pas été avertis de mon arrivée par toutes leurs gazettes. Mon escorte, au demeurant, se réduisait en général à un unique accompagnateur qui n’avait aucun mal à écarter les importuns, les Martiens se montrant d’un naturel discret.

En dehors des installations militaires, je vis tout ce que je voulus et pus m’entretenir librement avec de nombreux Martiens. Évidemment, sans le guide qui m’accompagnait, je n’aurais su à qui m’adresser pour m’instruire sur telle ou telle question qui m’intéressait, mais je n’ai pas eu la sensation que le choix de mes interlocuteurs fût guidé par quelque intention secrète. Leurs propos, quoi qu’il en soit, ne présentaient pas leur monde sous un jour particulièrement flatteur.

S’il peut m’arriver de parler des Martiens en général, je dois à la vérité de dire que je n’ai connu qu’un pays du continent nommé Europ, la Rancie, ou plus précisément sa capitale, Sipar, ainsi que deux de ses dépendances situées, pour l’une, dans un lointain archipel et, pour l’autre, sur le continent Améric. La Rancie est gouvernée par l’empereur Nicol 1er, lequel a conquis le trône par la voie de l’élection. Il était curieux de me voir ou plutôt de voir de près à quoi ressemblait un Terrien, mais je n’ai pas eu le temps de le rencontrer, ayant été retransporté sur Terre avant la date de l’audience qu’il m’avait fixée. Je lui ai donc fait, bien involontairement, faux bond. Non que je regrette d’avoir regagné ma planète et retrouvé l’affection de mon épouse adorée, de mes enfants bien aimés et de mes si chers amis (1) !

Au premier abord, Sipar est une grande et belle ville, à l’aune de nos critères terriens. On y compte nombre de monuments en pierres de taille et quelques immeubles plus modernes aux murs entièrement couverts d’un matériau transparent, si bien que les créatures qui y demeurent ou qui, plus souvent, y vaquent à diverses occupations, bénéficient de la vue sur le dehors, quel que soit le côté où elle se tournent. Les rues de Sipar sont encombrées par des véhicules quadricycles de taille et de forme variées. Ces véhicules mus par des mécaniques archaïques sont passablement polluants. Il existe également un système de transport collectif dans des tubes souterrains : les créatures sont entassées dans des voitures malodorantes qui s’arrêtent constamment pour laisser monter et descendre des passagers. Néanmoins j’ai pu vérifier que ce service de transport, pour inconfortable et malcommode qu’il soit, est souvent plus rapide que les véhicules terrestres,… à moins, bien sûr, qu’il ne s’interrompe pour une raison ou pour une autre.

Les Martiens sont divisés en deux sexes, comme les humains, bien que, à mes yeux de Terrien, ils paraissent fort semblables – et je me trompais une fois sur deux lorsque je cherchais à deviner si l’un d’eux était mâle ou femelle. D’après ce que l’on m’en a dit, il n’y a pas entre les deux sexes cette incompatibilité d’humeur qu’on remarque si souvent entre les deux partenaires d’un même couple sur terre. La vie en couple n’est d’ailleurs pas le modèle dominant sur Mars : ce serait plutôt le célibat, même si toutes les sortes de communauté de vie sont tolérées. Plus en avance que nous sur ce point, les Martiens des pays riches ne pratiquent plus la gestation in utero, ce qui doit jouer un rôle dans le fait que les deux sexes se ressemblent tant.

Bien que n’ayant moi-même visité qu’une petite partie de la planète, j’ai pu visionner des images des divers continents : les paysages martiens n’ont rien à envier à ceux dela Terre, à croire que les deux planètes sont vraiment sœurs. Par contre l’apparence des créatures martiennes a beau être très semblable à la nôtre, leur organe cérébral ne fonctionne pas de la même manière. On en voit la preuve dans l’organisation de leur société. Le contraste entre celle-là et la nôtre est d’ailleurs ce qui m’a fait entreprendre ce récit, malgré l’air d’invraisemblance qu’il ne manquera d’avoir aux yeux de la plupart de mes lecteurs. Je me garderai, au demeurant, d’affirmer que mon voyage a vraiment eu lieu, puisque je suis incapable de rien prouver. Tout ce que je puis dire, c’est que je l’ai vécu comme quelque chose de réel. Et ce que j’ai découvert à cette occasion a paru suffisamment étonnant aux amis auxquels j’en ai fait part pour qu’ils m’encouragent à le soumettre au public.

(À suivre)

(1) Parmi lesquels je veux saluer particulièrement Bruno, en le remerciant pour sa lecture attentive de mon récit avant publication.