Le 25 avril 2005, j’ai visité le Jet propulsion laboratory de la NASA. J’ai dû m’annoncer plus d’un mois à l’avance. A l’entrée d’une forêt de pins, mon passeport a été confisqué. Ce qui m’a le plus frappé dans ce campus californien à l’allure universitaire, ce n’est pas la salle de contrôle où des hommes et des femmes en bras de chemises, sans distinctions hiérarchiques apparentes, suivent une vingtaine de missions spatiales. Ni l’obsolescence des consoles informatiques, trahissant l’âge de la mission. Ni la salle où patauge dans le sable le double du robot explorant Mars. Ni les images qui arrivent d’une planète après avoir voyagé pendant plusieurs jours.
Non, ce qui m’a le plus frappé, c’est une série de dessins, de symboles et de photos le long d’un mur. J’ai demandé des explications. Il s’agit des 115 images emmenées dans l’espace par Voyager-2, parti il y a une trentaine d’années. Après avoir quitté le système solaire, cette sonde traversera un vide de 40.000 ans, avant d’être attirée par un autre système où pourraient se trouver des planètes. Et parmi celles-ci, des êtres vivants. C’est pour eux qu’on a préparé ces 115 images enfermées dans une capsule d’or et reproductible selon un mécanisme qui devrait rester inaltérable pendant tout le temps du voyage. Pas une phrase, mais une pédagogie complète à l’usage de la Voie lactée. Des bâtonnets pour retrouver notre système de chiffres, des peintures comme à Lascaux, des images de la dérive des continents et du développement d’un fœtus humain, le schéma de l’ADN, l’arrivée d’une course de 10.000 mètres où s’affrontent des athlètes blancs, noirs, jaunes. Tout un bréviaire muet pour reconstituer nos civilisations en 115 images. La dernière d’entre elles reproduit une partition, à côté de l’instrument censé l’interpréter.
Je suis resté sans voix, assailli par une espèce de vertige cosmique devant cette dernière image. Voilà donc ce que les ingénieurs de la NASA ont trouvé de plus permanent pour dire à d’autres le résultat de notre évolution sur Terre. Dans 40.000 ans, quelqu’un dans l’ailleurs absolu, devra reconnaître cette chose arrondie, tendue de cordes, un violon.
Le 25 avril de l’an 42.005, nos langues seront mortes, nos littératures éteintes, mais tout là-bas notre carte de visite en forme de violon caressera la musique des sphères infinies.