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Contes du millénaire : Les Aventuriers oubliés (Chapitre 11)

2010

 

SIDEN BERTLAM, EXPLORATEUR DU BOUT DU MONDE

 

Siden Bertlam naquit le 2 février 2010 dans une clinique privée de Palo Alto sur la baie de San Francisco. Son curieux prénom était d’origine finlandaise ; il avait été choisi par son père d’origine hongroise par référence aux légendes scandinaves attribuant au Prince Siden la découverte d’un continent inconnu. Sa mère l’avait allaité pendant les premiers mois ; puis il avait été nourri au biberon. Dès qu’il commença à parler, il demanda pourquoi il ne voyait jamais ses grands parents, ses oncles et ses tantes, toute cette famille qui se rassemble autour des enfants. Il apprit très tôt l’histoire de sa famille : il n’avait pas d’autres parents que son père et sa mère.

 

Le destin tragique d’une famille d’émigrés.

 

Le couple Bertlam était arrivé en Amérique en 1970 ; ils avaient débarqué au Canada et demandé l’asile au consulat des Etats-Unis. Le consul avait alors écouté leur longue histoire.

Borislav Bertlam était de nationalité hongroise. Ses parents étaient deux mathématiciens qui avaient choisi de s’établir en 1960 à la cité des Sciences d’Akademdorodok ; ils vivaient confortablement dans un petit immeuble. C’étaient de bons communistes ; ils étaient conscients des problèmes de sécurité et de la hantise d’espionnage du chef local du Politbureau. A cette époque, chaque immeuble avait un concierge qui surveillait les visites reçues par les savants. Un soir le concierge, l’oreille contre la porte, comprit que les Bertlam écoutaient Radio-Free-Europe ; il fit son rapport. Le couple et leur fils furent arrêtés le lendemain et jugés pour subversion, condamnés aux travaux forcés au camp de Sobieski dans le Kamtchatka. C’était en 1968, la révolte hongroise avait été réprimée dans le sang, ils l’avaient su par la radio américaine. Quand Siden eut l’âge de raison, son père Borislav lui fit connaître également l’histoire de ses grands-parents. Ils avaient subi les mêmes persécutions à l’époque où les nazis avaient occupé la Hongrie et étaient morts dans un camp de concentration. Ils n’avaient plus de famille.

Par moins 30 degrés, les conditions de travail des mines d’or étaient épouvantables au camp Sobieski ; son père, dont la santé était fragile ne résista pas. Sa mère survécut quelques mois. Elle lui avait raconté son histoire qui était similaire. Elle n’avait plus de famille. Son professeur lui avait obtenu une bourse ; elle réussit à l’école d’ingénieurs où elle rencontra son mari.

Sa mère, Nurul Sujatha, était asiatique ; elle avait les yeux bridés, une tête ronde et d’épais cheveux noirs. Elle était originaire de Java et sa famille était engagée dans l’opposition communiste : après la répression de Soekarno, elle avait fuit l’île pour s’établir à Singapour. Des études très brillantes lui avaient permis de postuler une chaire de physique des particules. Elle était en poste à Kwala Lumpur. Un séisme avait alors détruit une partie de Java et tué des milliers de victimes. Toute sa famille en faisait partie. C’est alors qu’elle était partie à Harbin dans le nord de la Chine.

En 1969, la méfiance à l’égard des étrangers l’exposait aux risques de dénonciation et d’arrestation. Elle décida de quitter l’université pour un laboratoire proche de la frontière de l’Oussouri, une région livrée à la guerre sino-soviètique. Elle y rencontra Borislav épuisé, presque mourant, évadé du camp Sobieski. Ils décidèrent de tout faire pour rejoindre l’Amérique, la terre de la liberté. Ils en avaient trop vu pour croire encore au communisme. Ils rejoignirent les îles Sakkalines où un chalutier canadien accepta de les mener à Vancouver.

 

L’école des surdoués

 

En pleine guerre froide, deux demandeurs d’asile provenant de l’URSS ne pouvaient être admis sur le sol américain sans méfiance. Cependant leur exil et leur errance avait été confirmés par les services secrets. Les Bertlam avaient rapidement reçu leur carte verte d’immigrants en raison de leur formation scientifique. Dès qu’ils obtinrent la nationalité américaine, ils s’intégrèrent sans difficultés dans le milieu universitaire. Nurul était au laboratoire de physique des particules, Borislav au département de chimie moléculaire. Ils avaient poursuivi des études très brillantes à l’Université où ils enseignaient tous deux et différé longtemps la conception d’un enfant. Leurs amis furent surpris quand à 40 ans Nurul tomba enceinte et accoucha en 2010 d’un petit garçon prénommé Siden. Ils entendaient donner la meilleure éducation possible à leur enfant unique.

Comme plusieurs de leurs collègues scientifiques, ils envoyèrent leur enfant dès l’âge de 4 ans à l’école des surdoués de La Jollia. Siden apprit vite l’américain et s’avéra très doué. Une anecdote : un jour son professeur les avait conduit à l’aquarium et leur avait fait entendre les enregistrements des « conversations » des baleines ; le jeune enfant fit la remarque suivante : « c’est curieux les signaux que nous entendons sont similaires à ceux des quasars que mon père m’a fait écouter à l’observatoire du Mont Palomar, et si le chant des baleines était similaire au chant des étoiles, elles communiqueraient avec les lointaines galaxies ! ». Cette école ne recrutait que des enfants de scientifiques révélant un quotient d’intelligence de plus de 150. Les enfants ne passaient aucun examen officiel avant la maîtrise des grandes universités. Ils sautaient toutes les étapes du système scolaire ; et entraient dans l’université pour le doctorat à 18 ans. Il n’y avait pratiquement pas d’échec. Les frais de scolarité étaient très élevés. Pour se prémunir contre les aléas du destin, les Bertlam avaient souscrit une assurance, garantissant la scolarité de leur fils jusqu’au doctorat. En cas de décès des parents, le doyen de l’Université des sciences serait le tuteur de Siden.

Siden avait été stimulé par la compétition avec des camarades, souvent d’origine étrangère, qui tous voulaient être les premiers. Un jour le professeur Carter demanda à son père d’où venait son curieux nom de famille, slave, scandinave ou russe ; il ajouta : « On dirait un anagramme ! ». « Vous avez trop lu Maurice Leblanc, lui répondit Borislav, mes ancêtres étaient hongrois ! ».

A l’âge de 14 ans, un grand malheur frappa Siden. Son père et sa mère furent tués dans un accident d’avion. Désormais il n’avait plus aucune famille, plus de lien affectif. Sa seule raison de vivre était la réussite.

L’école des surdoués ne négligeait pas les activités sportives. Le jeune Siden devint un champion de plongée en apnée ; il était devenu à 15 ans un athlète confirmé. A l’âge de 26 ans, il était entré dans une société privée se consacrant à la construction de navettes spatiales et de télescopes. La société « Astrolink » était un groupement d’intérêt scientifique créé par la Nasa, l’Université de Palo Alto et la firme  Boeing : elle employait une centaine de savants, dont Siden Bertlam. En 2036 la NASA avait retrouvé des budgets croissants. La Présidente des Etats-Unis, Nora Morelos, était hispano-américaine et scientifique. Elle avait proposé un programme ambitieux de station spatiale et d’exploration des galaxies lointaines, en collaboration avec la Chine. Les principales installations d’Astrolink étaient sur les plateaux de Mongolie à Jiuquan et dans les Andes au Chili. Jusqu’à ce jour, Siden n’avait jamais pris de vacances. Avant d’entreprendre dans deux ans son premier vol spatial, il se décida à partir une semaine. C’était un voyage en Polynésie dans un club de vacances luxueux, le « Pacific Leisure Club », où il pensait nager et surfer toute la journée. Ce qui n’avait pas été prévu était d’y rencontrer l’amour !

 

La rencontre de Moorea, un homme et une femme aux aspirations communes

 

Galina Sverdlov avait une grande beauté : un corps splendide, une peau dorée, des yeux noirs fascinants et de longs cheveux bouclés et roux. C’était une nageuse hors pair ; elle couvrait sans difficultés plusieurs kilomètres, dans ces eaux opalescentes, sans projeter une goutte d’eau. On aurait dit un dauphin. Un jour à Moorea, sur le ponton de l’hôtel, ils avaient fait connaissance et s’étaient lancé le défi de parvenir à une petite île qui se perdait à l’horizon. Ils crawlaient avec la rapidité d’une compétition en piscine ; leur rythme resta soutenu pendant les premiers kilomètres ; l’île convoitée se rapprochait. Siden fut le premier à repérer le requin ; il avertit Galina. Le squale faisait des ronds de plus en plus rapprochés ; il allait attaquer. Galina avait attaché à son maillot une arme qui les sauva ; c’était une mini bombe à fragmentation, qui dispersait un nuage de clous empoisonnées. Le requin s’enfuit ; et ils arrivèrent sur une plage déserte. C’est là qu’ils découvriront combien ils étaient faits l’un pour l’autre : ils étaient beaux et séduisants, sans partenaire et sans parents, avides d’aventures lointaines.

A 26 ans, les jeunes gens avaient le même attrait physique que ceux de la génération antérieure à 18 ans. Tous deux mesuraient 1,90 mètre ; ils ne buvaient pas et ne fumaient pas ; ils n’avaient jamais consommé de drogue.

Ils n’avaient pas de partenaire, et ne vivaient pas en concubinage. En fait, tous deux étaient des chercheurs, tellement absorbés par le travail, que jamais ils n’avaient eu le temps d’une aventure. Sur la plage de Moorea, ils firent l’amour pour la première fois de leur vie ; ce fut un instant merveilleux. Leurs collègues de travail étaient souvent d’un autre sexe ; mais la multiplication des procès en harcèlement sexuel avait chassé de l’université et des laboratoires les obsédés du sexe. Point commun, plus inattendu : ils n’avaient plus aucun parent. Siden lui conta le destin tragique de sa famille. L’histoire de Galina était presque identique. Les grands parents de Galina étaient morts au goulag soviétique. Ses deux parents étaient morts à Tchernobyl. Sa famille maternelle avait également disparu ; ils étaient partis en famille au Japon au moment du Tsunami de 2011.

Enfin, tous deux pensaient que la vie pouvait parfaitement exister sur une autre planète : ils avaient adoré les récits d’anticipation de Bradbury, ceux d’Arthur Clarke et le film « Odyssée de l’espace ». Leur profession pourrait-elle leur faire partager l’aventure spatiale ? C’était le cas. Siden ne l’avait jamais rencontrée ; mais elle travaillait également à Palo Alto pour l’Astrolink. Sa spécialité était l’observation des galaxies lointaines et l’analyse spectrographique de leur composition. La spécialité de Siden serait désormais celle des modes de propulsion électromagnétiques et des réacteurs à fission nucléaire.

Formons un projet commun : « Le consul des Etats-Unis nous mariera demain ; nous vivrons ensemble à San Francisco. Les dix prochaines années seront consacrées à l’entraînement pour les vols spatiaux et à nos deux recherches. Bien plus, nous ne ferons pas d’enfant aussitôt. Nous le concevrons dans l’espace, donc quand nous aurons 36 ans. Un long voyage dans l’espace ne nous permettra pas de retrouver ceux que nous avons connus ; car ils seront tous morts. N’ayant pas de famille nous ne manquerons à aucun proche, sauf à nos descendants si nous en avons ».

 

Le premier voyage et le séjour dans le laboratoire spatial

 

Dix années s’étaient écoulées ; en 2045 Siden et Galina s’envolèrent pour Baikonour au Kazakhstan, d’où partaient les navettes pour la station spatiale internationale. La nouvelle station internationale mise en orbite était beaucoup plus vaste que les précédentes, un véritable paquebot long de 500 mètres. La station abritait une centaine de savants et de techniciens pour des séjours de 1 à 5 ans. Siden et Galina avaient déjà accompli une vingtaine de vols spatiaux.

Au cours des années précédentes, Siden avait mis au point les caractéristiques de son engin spatial, qui avait été livré en pièces détachées à la station internationale. Conçu pour un vol de très longue durée, le vaisseau était bourré d’informatique et de robots. Les données du plus gros ordinateur rassemblaient les connaissances astronomiques et les découvertes scientifiques du demi-siècle écoulé. Si d’aventure cette expédition les confrontaient à des formes d’intelligence extraterrestre ; un traducteur universel les aideraient à communiquer.

Ce serait le plus gros engin envoyé dans la galaxie : une soucoupe dotée d’une sorte de mat repliable. Chaque fois que la soucoupe se positionnerait sur l’orbite d’une planète ; elle se satelliserait et profiterait, comme un autostoppeur, de sa vitesse, en économisant son énergie. La voile cosmique était destinée à capter la lumière dans les zones les plus éloignées du soleil. Ce vaisseau était propulsé par l’énergie électromagnétique. Un relai magnétique avait été placé sur Sirius.

Le vaisseau muni de boucliers thermiques et anticollision était conçu pour se diriger en pilotage automatique en évitant les météorites ; des écrans devaient repousser les poussières et les rayons cosmiques. La propulsion électromagnétique serait fondée sur un aimant rectangulaire leur assurant une autonomie permanente. Un réacteur à fission nucléaire de nouvelle génération leur fournirait une énergie de secours.

Tout avait été simplifié pour faciliter la tâche des deux astronautes. La cabine de pilotage ne comportait qu’une dizaine d’écrans. Deux navettes à moteurs atomiques en forme de sphère étaient destinées à l’exploration des planètes lointaines. Les équipements miniaturisés assureraient le renouvellement de l’air et de l’eau. Une salle d’opération, des scanographes et l‘assistance informatique des hôpitaux américains étaient prévus en cas de besoin. Enfin une petite salle comportait 4 cercueils vitrés : les cellules d’hibernation pour les très longs parcours.

La grossesse de Galina et la naissance se produiraient à bord. Cependant la conception fût mise en route dans la station spatiale, qui était protégée des rayons cosmiques. En effet, on avait remarqué que les cosmonautes avaient beaucoup plus de filles ; et ils voulaient un garçon. Ils s’étaient assurés de leur fertilité persistante et avaient fait des stages hospitaliers, pour prévenir tout incident lors de la grossesse et pour prendre soin du nouveau né.

Les premiers mois furent consacrés à l’assemblage du vaisseau et aux essais ; le vaisseau fut sorti à cinq reprises. Il fallait économiser l’énergie du décollage ; c’est pourquoi une catapulte électromagnétique était arrimée sur une aile de la station spatiale. Pour le jour du départ, ils avaient choisi le moment où la station spatiale était le plus éloignée de la Terre, de façon à couper l’orbite de Mars en son point le plus rapproché de la Terre. Dans les derniers jours, Siden et Galina avaient conçu un enfant ; l’échographie et l’analyse de sang montraient que c’était un garçon. Ils pouvaient enfin partir. Ils avaient le cœur serré ; ils s’étaient fait des amis, et savaient qu’ils ne les reverraient pas !

 

Aux confins de notre galaxie, aucun signe apparent de vie

 

Les cosmonautes n’ont jamais le temps de s’ennuyer. Galina supportait avec vaillance sa grossesse et veillait au bon fonctionnement de tous les équipements. Siden avait l’œil rivé sur les hublots et sur les écrans de l’ordinateur. Il était responsable de la trajectoire et pouvait la modifier. Au bout de deux ans, ils dépassèrent la planète Mars ; les analyses de l’atmosphère et du sol confirmèrent ce que l’on savait depuis les observations de Hubble. Cette planète était stérile, glaciale, sans vie, bref inhabitable !

Skyfit était né en mars 2046. L’accouchement en apesanteur se déroula sans complications. Le mari et la femme se partagèrent les tâches à bord : Galina nourrit Skyfit au sein pendant un an, sans pour autant délaisser le poste de contrôle ; Siden assurait le tour de garde le plus long. Ils s’éloignaient de plus en plus du soleil. Quand ils auraient dépassé Sirius, il faudrait se diriger vers  la périphérie de la galaxie, à la recherche d’une « exoplanète » ; puis mettre le cap sur une Planète à très fort magnétisme. Par exemple Glieze 581d pourrait être habitable ; mais pour y arriver il faudrait, à la vitesse de la lumière, un parcours de 20 ans. A moins que ? Franchir un trou noir pouvait être une alternative.

Mieux valait prendre une orbite qui les rapprocheraient de la constellation du Sagittaire encore très mal connue. L’astronef avait pris l’orbite de Neptune, une planète gazeuse et glaciale. De nombreuses années s’écouleraient avant d’approcher les limites de la galaxie. Pendant les  cinq premières années, leur fils Skyfit fut entouré de l’affection de son père et de sa mère. Ce préalable était nécessaire au plein développement de son intelligence. Plus tard, le gros ordinateur éduquerait Skyfit pendant son hibernation. Au cours de cette période, ils avaient approché les principales planètes telluriques, sans trouver trace de vie. Les planètes gazeuses étaient plus nombreuses en s’éloignant du soleil : elles n’étaient pas habitables.

Comme l’étape la plus longue était la trajectoire vers Neptune et le Sagittaire, ils se préparèrent à la mise en hibernation qui durerait de 2050 à 2070. Il ne virent pas la comète de Hale-Bopp, détachée du Sagittaire, car elle était passée en vue de la terre en 1996 et se trouvait à l’opposé de leur galaxie, pas d’avantage que la comète de Halley qui serait visible de la terre en 2062. A leur réveil, ils auraient alors 60 ans et leur fils 25 ans. Après avoir programmé avec soin leur trajectoire et la surveillance des trois lits d’hibernation, ils se couchèrent et s’endormirent. Leur cerveau restait éveillé : l’enfant et ses parents enregistraient les connaissances accumulées dans l’ordinateur.

 

Le trou noir du Sagittaire.

 

Le réveil dans les trois cellules d’hibernation était un processus très lent, comme dans un caisson hyperbare. L’ordinateur central veillait à ce que la température du corps soit relevée degré par degré ; le respirateur artificiel insufflait un mélange plus riche en oxygène ; le circuit sanguin contrôlait l’équilibre des globules blancs et rouges ;  l’alimentation parentérale était plus riche en glucides et en protéines. Enfin un stimulateur cardiaque renforçait les battements du cœur. Le point le plus délicat, perfectionné par les neurologues de la station spatiale, avait été la continuité de l’irrigation du cerveau pendant la période léthargique et le processus du réveil. Cette étape avait pris deux semaines. La cabine spatiale avait un éclairage progressif, que les astronautes pouvaient réduire pour accoutumer le rétablissement de la vision. Une « convalescence » de deux semaines était également prévue. Après un mois, ils purent enfin faire le point de leur position spatiale au centre de la voie lactée. Ils avaient quitté l’orbite de Neptune et entraient dans la constellation du Sagittaire. Comme ils l’espéraient, une supernova énorme avait implosé ; elle se fragmentait en millions de fragments, qui se dirigeaient vers une partie obscure de la galaxie.

 

Le pari du non-retour

 

Ils étaient en présence d’un « trou noir ». Siden et Galina avaient expliqué le projet à leur fils : ils étaient persuadés de la validité de théories jamais vérifiées, suivant lesquelles les étoiles en fin de vie étaient attirées par des forces gravitationnelles inconnues vers un entonnoir, agissant comme un maelstrom et attirant en son centre la matière et la lumière. Cette matière et cette lumière ne pouvaient pas disparaître. Par effet de symétrie, les étoiles victimes de cette attraction étaient projetées dans une autre galaxie, où elles retrouvaient un « trou blanc » ou une fontaine de clarté ; puis elles formaient de nouvelles constellations et planètes.

La théorie de la relativité de l’espace-temps, postulait qu’une accélération de la vitesse, beaucoup plus rapide que celle de la lumière, changerait l’incidence du temps ; leurs montres ralentiraient : en une seconde ils franchiraient une distance infinie ; alors que sur terre il se serait écoulé un an, peut-être un siècle ou davantage. Et ce voyage serait presque instantané. Quand ils seraient de l’autre côté de la « porte de l’espace », leur Terre pourrait être plus vieille d’un million d’années ou même avoir disparu ! A l’échelle géologique, un million d’années n’était pas si considérable, la Terre avait 4,5 milliards d’années : ce n’était qu’un moment ! Ils étaient prêts à prendre le risque du non-retour.

La machine à voyager dans le temps ne permettait pas de revenir en arrière à l’âge de nos premiers ancêtres ou de Charlemagne ; elle vous projetait dans le futur.  Il n’y avait pas de retour ! Skyfit avait cependant envie de connaître la planète d’où il venait ; il rétorqua à son père : « A moins que l’on puisse faire le voyage inverse et revenir dans le présent, en retrouvant la station spatiale ? ».

Ce n’est pas sérieux : « On ne remonte pas un maelstrom du fond de l’océan : on reste plaqué dans les abysses. Supposons un trou noir inverse, qui t’aspire dans notre galaxie ; la Terre aurait un million d’années de plus » !

 

Les angoisses et émerveillements de l’infini

 

A présent, ils pouvaient se relayer à trois au poste de navigation. Ils étaient attirés vers le trou noir avec une force d‘attraction de plus en plus puissante. De nombreuses constellations se consumaient en explosant, beaucoup de comètes y achevaient leur périple. La chaleur de l’hydrogène en flamme risquait de griller aussitôt l’astronef ; il fallait donc les contourner. Comme Siden avait prévu ce risque, il avait mis en place le bouclier de protection, une sorte de catafalque autour de l’astronef. Il est évident que l’attraction magnétique et gravitationnelle de ces astres risquait de les briser ou de les coller à un astéroïde, une comète, voire une planète naine. C’est pourquoi le réacteur nucléaire avait été activé. En réfléchissant au mouvement circulaire de l’entonnoir, il décida de se diriger vers le centre du trou noir et de corriger en permanence sa trajectoire pour éviter d’être projeté à sa périphérie. Il avait ajusté deux horloges : celle qui indiquerait la distance parcourue et le temps écoulé depuis leur départ et l’heure sur Terre, et celle qui évaluerait l’écoulement du temps et de la distance à l’entrée dans le trou noir.

L’angoisse était de plus en plus forte. Les cosmonautes étaient secoués par des vibrations croissantes ; leurs oreilles et leurs narines saignaient. Au poste de commande, Siden naviguait en évitant des astéroïdes, qui se croisaient en zigzag dans tous les sens. Cette conduite sportive extrême lui rappelait une course de « stockcars » à la quelle il avait participé au Texas. Il y avait des automobiles accidentées, des tracteurs et des camions citernes, dont les moteurs avaient été dopés. Il avait muni son bolide d’une fusée d’avion et pouvait atteindre 400 kilomètres à l’heure. Le rythme était infernal ; 80% des concurrents se retrouvaient accidentés, blessés et parfois tués. Bien conseillé, il avait compris que pour vaincre il fallait aller plus vite que les autres, les éliminer sans être tamponné. C’est pourquoi, dans l’espace, il fit usage de son réacteur nucléaire pour aller plus vite que la force de gravitation, les entraînant au fond de l’entonnoir.

Le trou était de plus en plus obscur ; les étoiles s’éteignaient une à une. L’écoulement du temps était en effet ralenti : leurs montres avançaient très lentement. Combien de temps allait durer cette obscurité complète ? C’est alors que l’émerveillement succéda à l’angoisse. L’horizon s’ouvrit sur une sorte d’aurore boréale, déroulant toutes les nuances de l’arc en ciel. Mais au lieu d’un ciel immobile, ce kaléidoscope était agité d’un mouvement accéléré où se formaient des figures géométriques étranges, tantôt un tableau non figuratif, tantôt un tableau impressionniste … Chacun percevait des hallucinations. Siden et Galina revivaient leur enfance tragique, les crépuscules des plateaux de Mongolie et les éruptions volcaniques du Kamptchatka. Skyfit imaginait l’enfance qu’il n’avait pas eue en Californie et la contrée lointaine des extraterrestres.

Enfin leur périple s’acheva ; leur trajet n’avait duré que 10 minutes : 1 million d’années sur Terre ! Bien sûr leur âge de terrien n’était pas modifié ; ils avaient à leur disposition un calendrier perpétuel pour leur rappeler les années qui s’écouleraient ! A la sortie de l’entonnoir, ils observèrent un calme étrange, la musique des signaux astronomiques, un ciel étoilé, une autre voie lactée bleu pâle, des planètes … Le plus incroyable était, loin, très loin, une étoile brillante, un autre soleil ou plus étrange trois soleils. Restait à constater les dégâts ; ils n’étaient pas minces !

 

A la recherche d’une planète habitable.

 

Les dégâts matériels étaient considérables. Malgré sa carapace, l’astronef était percé de trous : une grande déchirure s’était formée au point d’ancrage de la plaque électromagnétique, leur moyen de propulsion. La voile cosmique était fissurée. A l’intérieur, des fuites d’étanchéité apparaissaient dans le sas de décompression des engins d’exploration. La cabine de pilotage révélait des connexions informatiques, qui semblaient impossible à rétablir. En particulier, la liaison avec la station internationale avait disparu ; la Terre avait peut être cessé d’exister.

Ce n’était pas le plus grave, Skyfit avait été gravement blessé ; une barre de fer lui avait sectionné l’artère fémorale. L’hémorragie allait-elle prendre la vie de leur fils ? Chacun des passagers avait au préalable accumulé des réserves de leur sang, pour procéder à des autotransfusions. Restait à suturer l’artère fémorale, avec l’assistance du logiciel chirurgical de l’université de Palo Alto. Il fut rapidement évident que Skyfit garderait un handicap important, qui serait une gêne dans l’exploration des planètes, ne serait-ce que pour le revêtement des combinaisons spatiales. Or il faudrait des centaines de sorties autour de l’astronef pour réparer les dégâts extérieurs.

Siden décida de se diriger vers le soleil principal de cette nouvelle galaxie, de façon à inventorier des planètes plus chaudes et moins éloignées du soleil. A première vue, il devait y avoir une dizaine de planètes telluriques susceptibles de favoriser l’apparition de la vie. La famille Beltram consacra cinq années à cette exploration. Ils parvinrent à réparer les avaries et à restituer à l’astronef ses performances. Cependant, loin du soleil, la lumière était très ténue et la voile cosmique assurait une propulsion beaucoup moins rapide. L’électroaimant avait perdu de son énergie. Il était nécessaire d’économiser le réacteur nucléaire. Ils suivirent la même stratégie que dans leur galaxie, profiter de la vitesse de déplacement des planètes en accompagnant leur orbite.

Quatre planètes se révélèrent aussi inhospitalière que dans leur galaxie. Il y avait beaucoup de conditions : la présence d’une atmosphère contenant suffisamment d’oxygène, celle du silicium et du carbone, une température moyenne supportable et surtout de l’eau et des mers ! Mais le principal était l’existence de la vie et, si possible, d’êtres extraterrestres, proches des humains.

Quand on est têtu, on finit par réussir !

 

La nouvelle planète SIL s’ouvre à la famille Bertlam

 

Le premier janvier 2075 l’astronef se mit en orbite autour d’une planète, qui semblait réunir les conditions idéales pour la vie extraterrestre. La température variait entre -10 et 40 degrés. L’atmosphère avait 200 kilomètres d’épaisseur. L’air contenait à peu près la même proportion d’hydrogène, d’azote et d’oxygène que sur Terre. La planète avait six satellites ; l’attraction principale était celle du soleil le plus proche. Le soleil le plus lointain avait satellisé d’autres planètes ; leurs orbites ne se recoupaient pas. La planète choisie par Siden tournait sur son axe en 48 heures et autour du soleil en trois ans ; mais la nuit durait peu, car la surface était éclairée par deux soleils, l’un à l’est et l’autre à l’ouest. Quant à l’eau, il n’y avait que cela, un océan très vaste et un continent. La superficie émergée était 100 fois plus faible que sur Terre.

En se dirigeant vers la planète, l’astronef fut immobilisé par un écran invisible, manifestement une barrière à toute invasion, donc le signe d’une vie intelligente. L’envoi d’un missile non armé sur l’écran ne produisit aucun impact, mais le projectile fut aussi renvoyé sur le bouclier de l’astronef ; s’il avait été armé leur astronef aurait été endommagé !

Les cosmonautes tentèrent d’envoyer des messages radio, puis d’utiliser le traducteur universel. Aucun signal de réponse. Pendant plusieurs jours, ils restèrent au point mort. Enfin l’écran de l’ordinateur fit apparaître un message en anglais : « Nos ancêtres ont dénommé notre planète Sil, ce qui signifiait mer, une prononciation assez proche de votre terme anglais Sea. Nous savons d’où vous venez. Jamais nous n’avons jamais autorisé un astronef à atterrir chez nous. Nous savons également que vous n’êtes point des envahisseurs. Nous allons vous autoriser à pénétrer. Vous suivrez nos instructions et serez mis en quarantaine pour prévenir toute contamination biologique. Ceci est notre dernier message écrit ou oral. Désormais, nous communiquerons par télépathie ».

Sur la carte éclairée de la planète, une croix rouge s’alluma. Des consignes suivirent, sans un mot, sans un écrit, par échange de pensée. Farfelu, Siden pensa aussitôt : « Si je pouvais communiquer ainsi avec Galina, nous serions plus entièrement l’un à l’autre ». Son interlocuteur lui fit savoir que c’était impossible, seule leur espèce en était capable ! Entrée dans l’atmosphère, moins résistante que sur terre ; la pesanteur était dix fois plus faible. Enfin la vue du continent, à 2000 mètres d’altitude, leur révéla une terre. On devinait une végétation assez maigre. Ce n’était pas Abu Dhabi ou Brasilia : très peu d’habitations, pas de routes, temples ou gratte-ciel, une montagne enneigée très haute … Le cosmodrome était au pied d’une ville aux constructions basses. Les scaphandres étaient inutiles ; l’atmosphère était respirable et la température agréable. L’astronef fut dirigé vers un hangar souterrain. Son interlocuteur le prévint : « Nous allons nous découvrir ; ce sera un choc, n’ayez pas peur » !

 

Pourquoi avoir accepté cette rencontre du troisième type ?

 

Rencontrer un extraterrestre est pour les uns une terreur, pour d’autres une illumination. Ce choc ne pouvait concerner que les Bertlam. L’extraterrestre avait vu l’image des terriens sur ses écrans de télévision, alors que les écrans de l’astronef étaient restés vides de toute image. La découverte n’avait rien de terrifiant : l’interlocuteur de Siden était très grand, près de 3 mètres ; ses bras, ses jambes et son torse étaient très minces. Sa tête et son visage étaient dolichocéphale, pas de chevelure. Le crâne allongé devait contenir un cerveau plus important que celui des terriens. Les lèvres étaient charnues, les yeux fendus de type asiatique et le nez aquilin. Deux particularités différaient de l’espèce humaine : des oreilles très longues, et sur le haut du crâne deux petites cornes couvertes de poils vibratiles, semblables à celles des girafes, et surmontées d’un œil tournant à 360 degrés. Peut-être ces protubérances étaient-elles les organes télépathiques ? Enfin la peau était étrange ; il n’avait pas d’habits, mais une mince carapace d’écailles bleuâtres, qui les protégeaient des rayons cosmiques.

 

Curieuse histoire de la planète SIL

 

Pourquoi ce nom de Sil ? Depuis l’apparition des premiers ancêtres (primates), 500 000 ans avant les terriens, leur planète avait été baptisée ainsi par référence à la mer (Sea), à une époque où les terres émergées formaient quelques ilots dispersés sur un océan recouvrant toute la planète. La vie était apparue de la même façon que sur terre, dans l’océan. La configuration des continents avait connu plusieurs phases : dispersion, rapprochement des îles, puis rassemblement par la formation d’un continent unique. La dérive des îles et les changements climatiques avaient suscité l’apparition d’espèces différentes ; les populations humanoïdes ne se mélangeaient pas.

Le regroupement des territoires avait favorisé les migrations et le métissage, de telle sorte que les habitants appartenaient à une espèce unique. Pendant des millénaires, la planète avait été ravagée par des guerres incessantes et par les catastrophes naturelles. L’espèce s’était cependant propagée ; ils vécurent une époque de surpeuplement. Ils étaient plus de 5 milliards à l’époque de leur « Grande guerre », correspondant à l’ère tertiaire sur Terre. Peu d’individus avaient survécu aux frappes nucléaires. La population était désormais réduite à 500 000 habitants, avec un problème démographique majeur : leur race risquait de disparaître faute de reproduction.

 

L’urgence démographique

 

L’extraterrestre leur dit : « Les Siliens ont besoin de vous pour renouveler leur stock génétique. Une trop forte consanguinité a provoqué chez nous une épidémie de stérilité, une mortalité infantile considérable et beaucoup de tares génétiques. C’est pourquoi nous vous avons accueilli, en raison de votre jeune fils. Pendant votre isolement qui a duré trois mois, nous avons vérifié que vous n’apportiez pas de virus dangereux pour notre espèce. Nous vous avons soigné. Votre fils était atteint de nécrose à la jambe gauche, nous l’avons opéré : tout est à présent normal. Galina avait un début de cancer de la gorge, elle est également guérie. Siden, n’avait aucune atteinte pathologique. Dans l’ensemble, la traversée de l’espace vous a rajeunis de 20 ans, à tel point que Galina a retrouvé sa fertilité. L’analyse de votre ADN a démontré une compatibilité génétique dans un cas sur 1000. Nous avons commencé par des expériences de cellules souches ».

Skyfit fut alors présenté à une jeune Silienne, Tolu Fandy, l’arrière-petite-fille du chef des Siliens. Tolu communiquait par télépathie et prit la main de Skyfit, manifestement sous le charme. Elle était jolie, élancée, taille de 2,5 mètres, de petites écailles bleu-vert et des yeux bleus.

Le chef, Blick Fandy, leur fit savoir qu’elle avait le même âge que Skyfit. Elle était spécialiste de la supraconductivité et des nanotechnologies. Skyfit avait orienté la formation proposée par l’ordinateur sur la génétique et la botanique. Le chef des Siliens ajouta : « Nous avons trouvé le cas idéal, celui des nos deux descendants ».

« Chers terriens, je dois à présent vous expliquer les règles de notre société : il n’y a pas d’aristocratie ; les privilèges ne sont pas héréditaires, mais au mérite ; il n’y a pas de démocratie, car les dirigeants ne sont pas élus (chez vous, les élus sont devenus puissants aussi honorés que les nobles de l’ancien régime !) ; enfin il n’y a plus de religions, elles ont disparu avec la fin des guerres ; nous sommes agnostiques et rationalistes.

 

1. Notre système politique et social est identique depuis 5 000 ans, nous sommes un gouvernement scientifique,  recruté par une sélection impitoyable.

2. Notre objectif est l’éradication de la violence, de la guerre, des armes et de la criminalité. Nous y sommes parvenus par l’eugénique ; les violents ont été éliminés.

3. Les scientifiques télépathes sont les dirigeants ; ils sont peu nombreux.  Ma descendante  Tolu dirige le département de l’énergie et des transports ».

 

Le programme proposé aux Bertlam leur convint parfaitement. Le père et la mère pourraient disposer dans la capitale d’un laboratoire où poursuivre leurs recherches. Ils disposeraient d’un territoire le long de la principale rivière, où ils pourraient construire une ferme et introduire l’agriculture, inconnue des Siliens. Tolu, en congé sabbatique, les accompagnerait et, si les deux jeunes gens se plaisaient, ils pourraient s’unir pour la vie.

Les Siliens n’avaient pas d’armée, d’avions de chasse ou sous-marins ; ils n’avaient jamais tenté d’exploration spatiale, car ils savaient que leur bouclier était à toute épreuve. Les transports terrestres étaient limités, car la population était dotée de petits véhicules aériens très mobiles et maniables et adaptés à la faible pesanteur. A  pied il suffisait d’ailleurs de quelques bonds pour franchir des dizaines de mètres !

Cependant leur programme comportait une troisième disposition : ils devraient accepter leur non-retour. Ceci impliquerait la destruction de l’astronef. Avec un comité de scientifiques, on choisirait les équipements qu’il serait souhaitable de conserver et d’utiliser dans un but pacifique, par exemple les banques de données, l’assistant médical, la propulsion électromagnétique, le bouclier anticollision, les cellules d’hibernation … Les trois Bertlam donnèrent leur assentiment.

 

Le don des Bertlam : le premier Siloterrien et l’agriculture

 

Dans cette planète, il manquait deux conditions de survie durable : la continuation de l’espèce et la diversification des ressources alimentaires.

C’est loin de la ville, le long de la rivière Zig, que s’établirent les Bertlam. Etant individualistes, ils décidèrent de construire deux habitations. Siden était bricoleur et bon charpentier, il se construisit une cabane en bois avec une longue véranda ; elle était peinte en bleu, comme les villas de Sausalito à côté de San Francisco. Il fit même un lit colonial à baldaquin, si beau, qu’ils y refirent l’amour comme à 20  ans. Et, miracle, à 65 ans, Galina fut enceinte et accoucha d’une fille, prénommée Hope.

De son côté, Skyfit construisit une villa californienne avec piscine et une suite de salons. Ses relations avec Tolu suivirent plusieurs étapes : d’abord les premiers échanges amoureux. Chez les Siliens, les préliminaires amoureux commençaient comme chez les Papous, en se frottant le nez ; puis se poursuivaient par la caresse des orteils. Chez les Terriens, on sait comment cela se passe ! Tolu fut déroutée par le « French kiss » de Skyfit ; rapidement elle se montra très habile dans l’art du baiser. Venait l’étape la plus délicate. Tolu avait parfaitement identifié la virilité de Skyfit. Cependant le jeune garçon cherchait en vain une ouverture. Il fallut qu’il soit guidé : au bas du nombril il y avait un repli d’écaille, s’ouvrant sur une fente étroite. Ils firent l’amour avec une fougue croissante ; Tolu révélait une sensualité insatiable. Siden et Galina comprirent aussitôt qu’ils s’étaient appariés. La grossesse des Siliens durait 14 mois. Elle, qui était si mince, se mit à grossir.

Comment appellerait-on cette race : les « Siloterriens » ! Comment nommerait-on ce garçon ? Le nouveau né, du fait du métissage, présentait beaucoup de caractéristiques humaines : des cheveux roux comme son père, mais une peau aux écailles très fines. Son crâne ovale incluait deux petites cornes frontales de couleur orange … L’ancêtre silien se mit d’accord avec les Bertlam pour le nommer « Premier : First Bertlam-Fandy».

Le second cadeau des Bertlam à leur nouvelle planète fut l’agriculture. Jusqu’à présent l’approvisionnement alimentaire du continent provenait de la mer. L’aquaculture suffisait amplement à alimenter une population comparable à celle d’une ville moyenne sur Terre. Les algues remplaçaient les légumes. Mais aucun fruit, aucun légume, pas de viande ! Les apports caloriques, lipidiques et protéiques étaient insuffisants. Le danger de cette spécialisation était l’absence de diversité des produits de la nature. Les espèces de poisson étaient moins nombreuses que sur terre, ils pouvaient être décimés par des maladies.

Le rôle de Skyfit et de Tolu fut fondamental dans le choix des cultures de la ferme. Pour la faune, ils entreprirent de domestiquer deux espèces : le Har, proche du cheval (pour la course), et le You, proche d’un bovin (pour la viande).

L’important était d’apprendre aux Siliens à cultiver le sol. Ils commencèrent par identifier la flore sauvage ; elle était riche. Tolu au pied d’un buisson trouva un très long tubercule ressemblant au manioc, mais au goût d’artichaut. Skyfit identifia des fruits ressemblant aux cerises, d’autres avaient le goût des abricots. Enfin la réserve de l’astronef contenait des semences de blé. Cette céréale se plût beaucoup sur leur terre.

 

Des nouvelles de la terre

 

Le temps s’écoula beaucoup plus vite qu’ils ne l’avaient pensé. 40 années après leur arrivée, nos aventuriers venus de l’espace s’étaient pleinement intégrés à la planète Sil. Les Bertlam, sans famille, avaient formé une nouvelle famille : Siden et Galina étaient arrière-grands-parents. Le chef silien, Fandy,  était mort et le conseil des anciens avait nommé Skyfit  pour lui succéder.

Un jour en 2125 Skyfit fut alerté par le chef de la sécurité : un objet non identifié était parvenu à la limite du bouclier de protection de la planète. Manifestement un satellite non habité et non un astronef : il diffusait un message. Toute la famille Bertlam était réunie : le satellite  venait de la terre : comment était-ce possible ?

Il faut rappeler que le dernier contact avec Siden s’était produit un demi-siècle auparavant en 2070 quand l’astronef avait pénétré la constellation du Sagittaire et son trou noir. L’Astrolink avait  considéré que le vaisseau spatial et ses passagers étaient désintégrés. Cependant le disciple le plus fidèle de Siden avait créé une fondation et s’était juré de suivre sa trace et de renouveler son exploit.

Vingt ans plus tard, un satellite inhabité avait été lancé dans l’espace, il avait incorporé  en communiquant avec la station spatiale toutes les informations de la Terre jusqu’en 2120. Puis il avait franchi le trou noir du Sagittaire et suivi le même parcours à la recherche d’une planète habitable : il était à la porte de la planète Sil et diffusait un message destiné aux Bertlam ! Cependant ces informations dataient de plus d’un million d’années !

Le message donnait des nouvelles de la terre et résumait les évènements que celle-ci avait subis depuis leur départ.

 

Une longue guerre avait opposé en 2080 l’Occident au monde musulman : l’univers islamique s’était fédéré autour de trois califats, au Soudan, en Iran et au Pakistan. Les pays riverains de la méditerranée avaient été envahis ; les destructions matérielles et humaines étaient considérables. Le chaos de la guerre civile et la paupérisation du monde arabe et du Moyen-Orient engendrèrent des migrations massives vers l’Europe.

La  population musulmane, solidaire des partisans de la guerre sainte, représentait souvent 30 à 40% des résidents de l’Europe et la démocratie était déstabilisée par la généralisation des attentats terroristes. L’extension de l’insécurité eut pour effet de tarir les courants de tourisme. Beaucoup d’Européens avaient déjà fui vers l’Amérique !

Une deuxième guerre se produisit en 2100, le potentiel militaire de l’Islam était reconstitué et renforcé, de nombreux stratèges l’estimaient inéluctable : elle opposera la Chine, première puissance mondiale, au monde musulman. Sans état d’âme, la Chine utilisa sa force de frappe nucléaire, pour anéantir le Pakistan, l’Iran, le Caucase, l’Irak, Israël, l’Arabie, l’Egypte, le Soudan, la fédération islamique du Sahara, le Nigeria … Plus de temples, d’Eglises, de Moquées, de Synagogues ou de tombeaux … le désert nucléaire. Le pétrole du golfe persique et de l’Arabie avait disparu, mais il provenait désormais du nord, de l’Artique et de la Sibérie.

 

Les Etats-Unis et la Russie, dotés des principales réserves d’énergie, n’étaient pas la cible de la Chine, ils se gardèrent d’intervenir et gagnèrent la guerre sans l’avoir faite.  L’ONU, trop impuissante, fut abolie. Le danger principal de la planète était toujours celui de la guerre sainte des califats.

 

L’objectif des Chinois était double :

 

1. Garantir les ressources naturelles de leur empire subsaharien et latino-américain et les ressources en hydrocarbures des Îles de la Sonde.  L’Afrique du nord était redevenue un désert aride, mais l’Afrique centrale et australe regorgeait de matières premières. Ces colonies ne suffisaient pas à assurer les besoins alimentaires des Chinois : une alliance privilégiée avec le Brésil et une immigration massive assurèrent la sécurité alimentaire de la Chine. L’Indonésie, musulmane, était une conquête beaucoup plus délicate : il fallait la détourner du terrorisme islamique. Heureusement l’administration de ce pays était corrompue jusqu’aux os et les militaires n’hésitaient pas à éliminer les opposants. Seule l’immigration sélective pouvait en venir à bout, celle d’ingénieurs et de techniciens chinois de l’exploration pétrolière et celle de fonds souverains captant les capitaux de sociétés pétrolières. Ce fut un succès : l’Indonésie devint un nouveau protectorat pétrolier !

 

2. Détruire tous les lieux de mémoire et d’affrontement des guerres de religion ; le proche et le moyen orient devinrent un désert inhabité pour des siècles.

La population de la terre fut décimée par ces guerres, il ne subsistait que trois milliards d’habitants ! Le niveau de vie de l’Occident fut réduit des trois quarts et la population du tiers-monde redevint misérable. Cependant les progrès scientifiques ne furent pas compromis par ces années sombres.

Les Etats-Unis, devenus isolationnistes, et l’Europe, impuissante et cible privilégiée du terrorisme arabe, ne bougèrent pas. La planète Terre allait-elle connaître, comme celle des Siliens, une ère de paix et de prospérité ? Un gouvernement de scientifiques avait assuré pendant 5 millénaires la paix de cette autre planète ; les terriens en comprendraient-ils la nécessité !

 

Siden et Galina Bertlam ont vécu très longtemps. Leurs descendants furent nombreux, pour la plupart télépathes. Au soir de sa vie, Siden, à 140 ans, rêvait de télé-transportation pour retrouver la Terre. Il aurait fallu éradiquer la violence, en  éliminant les armes, les politiciens et les conflits religieux !

 

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