Après avoir évoqué les pérégrinations de ses parents dans un premier texte, « de Croix Daurade à Jolimont », qui m’a permis de retracer l’histoire de la maison familiale, mon père André Séguéla a décrit les « Occupations du Dimanche » au cours de son enfance, dans les années 30.
Rappelons au préalable que la radio en était à ses débuts, qu’il n’y avait pas de télé, peu de téléphones, pas d’internet, pas d’ordinateurs, peu de voitures, et même peu de jouets.
Mon père raconte :
OCCUPATIONS DU DIMANCHE par ANDRÉ SÉGUÉLA
Le dimanche matin, ma mère me faisait faire le ménage de la salle à manger.
Cette pièce était l’orgueil de la famille. On y entrait seulement pour la faire visiter aux amis ou pour les grands repas.
Les ambitions du couple étaient à cette époque l’achat d’une chambre à coucher et ensuite celui de la salle à manger. Le dimanche matin donc, muni d’un chiffon de laine, je devais frotter les meubles et les chaises, même les pieds, car l’après-midi, s’il y avait des visites, après le café, ma mère disait : « Vous voulez voir notre salle à manger ». C’était elle qui avait envie de la montrer et les amis s’extasiaient sur la beauté des meubles.
L’après-midi j’allais aux vêpres à l’Eglise St Sylve et sitôt la fin de l’office, il fallait se précipiter de l’autre côté de la rue (Impasse Calvet) où se trouvait la salle de cinéma paroissiale et là, pendant deux heures, c’était du délire. Le cinéma était à ses débuts et on nous passait les films de cow-boys : « Tom Mix », « Buffalo Bill ».
Tom Mix le cow-boy
Le soir à la Maison, on mangeait des frites avec un poulet (plat très recherché à l’époque).
Après le souper, et comme tous les autres jours de la semaine, j’allais dans la rue où j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse, et là m’attendaient Pierre Lafargue, Contrastin, Pinol, Gaspart, Radigalès, Espinasse et quelques autres. On jouait au football que l’on appelait l’Assoce, avec une petite balle, puis nous allions tirer les sonnettes ou jouer à la belote sur un trottoir à la lumière de l’éclairage axial, ainsi nommé parce que les lampes étaient placées dans l’axe de la rue).
André Séguéla et Pierrot Lafargue en 1933 (École St Sylve)
Texte écrit par André Séguéla en 1982
Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de ce texte, sur la manière dont était vécue l’enfance, dans une famille prolétarienne aisée, et comment l’équipement intérieur des maisons, à travers l’ameublement, servait de marqueur sociologique.
En premier lieu, on ne jouait pas à l’intérieur de la maison, mais dans la rue.
« j’allais dans la rue où j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse ».
Mon père m’a souvent raconté que la rue, c’était son terrain de jeu, un apprentissage de la vie sociale avec les jeunes de sa génération. Ils formaient une bande de quartier et restèrent amis toute leur vie. J’ai moi-même rencontré Pierrot Lafargue, son meilleur ami, et les Pinol ou autres Contrastin.
Le foot (l’Assoce), était le sport principal, joué avec une petite balle, un ballon était alors trop coûteux. Et on pouvait y jouer dans la rue ou les terrains vagues, qui ne manquaient pas dans les années de l’entre-deux-guerres.
Côté cartes, on jouait essentiellement à la belote, avec annonces, les anciens jouaient encore à la manille.
Le bridge était alors un sport de bourgeois.
Quant à tirer les sonnettes, c’est un dérivatif qui n’a pas d’âge. Tant qu’il y aura des sonnettes…
Tout aussi intéressantes sont les considérations sur l’intérieur des maisons dans les années 30.
La salle à manger n’avait rien de commun avec les salles de séjour d’aujourd’hui, qui sont des espaces de vie.
C’était un show-room muséal où la famille exposait aux étrangers son niveau de vie.
On se saignait alors pour acquérir des meubles en bois de qualité, qui ne servaient que dans les grandes occasions : « l’orgueil de la famille consistait à le faire visiter et démontrer ainsi son niveau de réussite sociale ».
Vu le prix élevé du mobilier, on empruntait la plupart du temps pour remplir de lourds meubles une pièce quasiment inutilisée.
Il me souvient que, dans les années cinquante, cette mode avait encore cours, et qu’il y avait des housses sur la table et les chaises.
Vu leur taille et leur faible utilisation, ces pièces n’étaient pas chauffées.
Dans la salle à manger de mes parents, où se trouvait un beau meuble bibliothèque rempli des livres achetés par mon père chez les bouquinistes, il fallait, en hiver, endurer un froid humide si l’on voulait consulter le Grand Larousse Illustré (en 4 volumes), choisir un livre ou lire en cachette l’un de ces ouvrages destinés aux grandes personnes, ce qui en décuplait l’attrait, malgré souvent une grosse déception finale.
Un mot sur le « poulet-frites, plat noble de l’époque, qui l’était toujours pendant mon enfance. Ce plat fabuleux était le sommet du déjeuner dominical, suivi par un sublime éclair au chocolat.
Cela suffisait amplement à notre bonheur !