Scènes

Billet d’Avignon (2) – Le « off », le « in » et Molière

Cette année 2012 voit la 66ème édition du festival de théâtre d’Avignon en même temps que le centenaire de la naissance de son fondateur Jean Vilar. Avignon à l’époque du festival est devenue une véritable foire semblable à celle du Moyen-Âge, le lieu où l’on vient de toute la France et même au-delà pour vendre et acheter un seul et même produit sous des formes certes très différentes : le théâtre. Il y a même comme au Moyen-Âge musiciens, jongleurs et bateleurs dans les rues, qui espèrent tirer quelques sous des nombreux badauds. Ce marché ouvert à tous, dans lequel les troupes espèrent non seulement vendre leur produit sur place mais encore le faire programmer par la suite dans d’autres lieux, s’appelle le « off ». En 2012 mille cent soixante et quelque spectacles y sont présentés. On y trouve de tout, du meilleur et du pire.

A côté, le « in », institution officielle au départ confinée dans la cour d’honneur du château des papes, a progressivement grossi. 53 spectacles y sont présentés cette année. Le « in » est censé programmer des spectacles de prestige s’adressant à un vaste public « populaire ». Il continue à remplir cette mission dans la mesure où les salles sont pleines mais l’objectif de Jean Vilar – démocratiser véritablement le théâtre en l’ouvrant à toutes les classes de la population – n’est pas atteint pour autant. Le théâtre demeure en France une pratique culturelle élitiste. Pour l’élite de cette élite, le « in » programme certains spectacles expérimentaux plus ou moins déroutants, comme Conte d’amour qui faisait l’objet du premier billet consacré à ce 66ème festival.

A tout seigneur tout honneur. C’est donc à Monsieur Molière que ce billet s’intéresse.

Les fourberies de Scapin : Le Kronope toujours en forme

Boileau avait-il raison ou avait-il tort lorsqu’il écrivait : « Dans ce sac où Scapin s’enveloppe / Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope » ?
A la fois raison, sans doute, pour ceux qui ne supportent pas les grosses farces et les grosses ficelles et tort si l’on songe que les pièces comme celles-ci ont suscité des interprétations fort savantes, tout en étant particulièrement propres à transmettre aux enfants le goût ou – qui sait ? – la passion du théâtre.

On a souligné les multiples facettes du personnage de Scapin qui finit pour certains par incarner tout le théâtre. N’est-il pas en effet non seulement comédien mais encore inventeur d’histoires, scénographe et directeur d’acteur ? Alors Scapin vaut bien le détour, n’est-ce pas ? Surtout lorsque le spectacle est assuré par Guy Simon et sa troupe du Kronope qui avaient présenté en 2011 en Avignon un Malade imaginaire mémorable. De fait, on retrouve le même répertoire à base de costumes compliqués, de masques grotesques, de personnages (les plus « nobles », ici les deux couples d’amants) juchés sur des échasses et parés de vêtements élégants. Comme dans Le Malade encore, la pièce introduit un dispositif scénique spectaculaire (hier le lit du malade, aujourd’hui un monte-charge qui sert non seulement à manipuler le fameux sac mais encore à maintenir les comédiens en suspension au-dessus du sol à moins qu’il ne se transforme en échafaud à escalader).

Le livret prévoit douze rôles (figurants compris). Ils sont ici tenus par six comédiens dont on imagine les contorsions, en coulisse, pour se glisser d’une défroque dans l’autre, d’autant que Guy Simon a décidé de dédoubler le personnage de Scapin qui est tenu alternativement par un homme et une femme. Identiquement vêtus, déhanchés, ils se succèdent sur le plateau à un train d’enfer, histoire de donner encore plus le tournis à leurs interlocuteurs… et aux spectateurs. On en a plein les yeux et l’on est forcé d’admettre qu’un Scapin comme celui-ci, baroque, mêlant le raffinement et le grotesque sur un rythme endiablé, est une véritable création qui méritait bien d’être montée et qui a d’ailleurs tout de suite rencontré son public.

Selim Lander, Avignon 2012.