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« Les études littéraires francophones : état des lieux » par Lieven D’Hulst et Jean-Marc Moura

L’« état des lieux » que nous proposent ici Jean-Marc Moura, Lieven D’hulst et leurs collaborateurs se situe dans le droit fil de la réflexion amorcée par M. Beniamino dans son ouvrage sur La Francophonie littéraire (1), où l’auteur cherchait à fonder un modèle conceptuel commun à l’ensemble des études francophones. Bilan critique sur les outils disponibles, mais aussi évaluation prospective des possibilités de la recherche en littérature francophone, ces actes d’un colloque tenu en mai 2002 rassemblent quant à eux une bonne vingtaine de contributeurs issus des traditions universitaires les plus variées. Repartis en trois sections (« Orientations théoriques », « Méthodologie », « Orientations historiographiques »), les articles ici rassemblés entendent brasser l’ensemble de la problématique disciplinaire et donner au champ des études francophones une assise épistémologique solide et au chercheur, un « habitus disciplinaire » (p. 10) spécifique à son objet.

Le premier volet de l’ouvrage propose une suite de modèles théoriques tentant de rendre compte du littéraire francophone. M. Beniamino approfondit ainsi la notion de « francophonie littéraire » développée dans son volumineux ouvrage de 1999. Constatant un usage fréquent des métaphores spatiales dans l’étude de la francophonie littéraire, l’auteur en souligne les principales implications et les impasses méthodologiques auxquelles elles mènent : la notion d’« espace » induit nécessairement celle de « frontières », délimitant une série d’« aires culturelles » au sein de la francophonie. Dénonçant d’abord l’instrumentalisation idéologique inhérente à toute démarche « [qui fait] des littératures le reflet d’une culture territorialisée » (p. 20), M. Beniamino montre ensuite que l’autre perspective induite par la métaphore spatiale – l’étude de la « frontière » comme point de contact – se heurte à d’autres difficultés. D’ordre socio-symbolique (les ravages du discours francolâtre), socio-politique (le colonialisme), scientifique (la diversité des traditions universitaires), ces difficultés empêcheraient de penser l’« interculturalité » francophone sans privilégier abusivement les aspects d’unité ou, au contraire, de diversité. En conclusion, et comme alternative aux approches essentialiste ou interculturaliste, l’auteur propose de penser la francophonie littéraire comme « somme d'”expériences discordantes” » (p. 24), notion qu’il emprunte à Edward Saïd (2). La communauté de culture qui fonde les littératures francophones n’exclut pas une certaine conflictualité dans le partage des représentations et dans la négociation identitaire. C’est de ce double aspect (« communauté » et « discordance ») que doit, selon M. Beniamino, prendre compte l’analyse de la francophonie littéraire.

La proposition de Pierre Halen procède aussi, pourrait-on dire, à une liquidation des lectures culturalisantes, au profit d’une mise en avant des aspects institutionnels et historiques de la littérature. S’inspirant de la théorie bourdieusienne du « champ littéraire », il propose de réserver ce concept au seul centre franco-parisien et de parler de « système littéraire francophone » pour désigner « toutes les productions, non françaises, concernées par l’attractivité du centre » (p. 27). En une série de propositions théoriques très précises, P. Halen dessine une conception d’ensemble de la francophonie littéraire, devant permettre des comparaisons intra-francophones. Comparaisons des différentes formes de légitimation (locale, francophone, internationale) auxquelles peut accéder tel ou tel écrivain ; comparaison aussi des stratégies d’écriture déployées en fonction des contraintes spécifiques du contexte de création. L’auteur examine alors les différentes objections que peut susciter sa « topologie institutionnelle » (les cas des DOM-TOM, du Québec, des littératures migrantes) et conclut sur la nécessité de prendre en compte les mouvements d’« aller (vers le centre) et [de] retour (vers la périphérie) » (p. 35) dans l’étude du système littéraire francophone. Parmi les quelques prolongements qui clôturent sa contribution, l’auteur insiste sur les pistes ouvertes à la recherche francophone par le concept de « scénographie », emprunté à Dominique Maingueneau (3). Issue de l’analyse du discours, la notion renvoie à l’espace d’énonciation tel qu’il est institué par le discours lui-même. À la différence du « contexte d’énonciation », la « scénographie » permettrait de toucher plus précisément à la dimension pragmatique des énoncés : le recours à une scénographie particulière serait en effet induit par une volonté « [d’]agir sur le destinataire, [de] modifier ses convictions (4) ». Pour P. Halen, ce concept trouve son utilité pour les études francophones en ce qu’il « permet d’unir dans une même réflexion les données recueillies du côté des textes et du style, et du côté du parcours social et institutionnel » (p. 36). L’étude des scénographies impliquerait, en outre, d’importants développements dans l’analyse historico-philologique des processus de création, autant que dans l’examen du discours social.

Le modèle convoqué dans les contributions de Jan Baetens et de Hans-Jürgen Lüsenbrink s’inspire quant à lui des récents développements des « études culturelles » (ou Cultural Studies, dans leur appellation originelle). Nettement moins spécifique à l’étude du littéraire francophone, et même à l’étude du littéraire tout court, cette perspective participe d’une refonte complète du champ du savoir en sciences humaines et entend bien secouer les habitudes universitaires françaises, par l’introduction de nouveaux objets et de nouvelles méthodes. Tandis que J. Baetens fait apparaître les clivages disciplinaires entre les traditions française et anglo-saxonne, H.-J. Lüsenbrink plaide ainsi pour l’intégration, par les francophonistes, des outils d’analyse des études culturelles. En particulier, l’auteur attire l’attention sur les théories des « standards culturels » et des « transferts culturels ». Censés traiter à nouveaux frais les problématiques de la construction identitaire ou de l’interculturalité, ces concepts intègrent aussi le littéraire dans l’ensemble plus vaste des phénomènes médiatiques d’une culture, au sens large.

Enfin, Jean-Marc Moura s’attache à montrer les apports de la théorie postcoloniale aux études littéraires francophones. Fondée sur une approche pragmatique des littératures, soucieuse « de rendre justice aux conditions de production et aux contextes socioculturels dans lesquels [elles] s’ancrent » (p. 51), la démarche de l’auteur vise ainsi à intégrer le sens politique à l’étude du littéraire. L’évidence du fait colonial doit, pour J.-M. Moura, déterminer l’appréhension des littératures francophones, aussi bien dans leurs configurations institutionnelles que dans leurs écritures. Tout comme P. Halen, J.-M. Moura aura recours à la notion de « scénographie » pour articuler les options formelles posées dans l’œuvre à la situation d’énonciation dans laquelle elles s’élaborent. Enfin, la contribution appelle également à une réflexion sur l’historiographie, la « topique postcoloniale » devant constituer pour l’auteur l’une des étapes vers une « histoire internationale des littératures » (p. 61).

Tandis que le premier volet confrontait plusieurs grands modèles théoriques, la section « méthodologie » rassemble des réflexions sur des concepts plus particuliers et des études de cas. Parmi les concepts évalués, le couple « centre/périphérie » est sans doute parmi les plus fréquemment utilisés dans les travaux sur les littératures francophones, de quelque nature qu’ils soient. Dans une perspective méta-critique, Lieven D’hulst s’attache ainsi à retracer les usages successifs de ces termes, pour montrer les implications de leur structure métaphorique et l’« appauvrissement » (p. 86) progressif de leur fonction d’intelligibilité du réel. Suit une double proposition méthodologique. S’appuyant sur les principes de l’épistémologie linguistique et anthropologique, l’auteur plaide d’abord pour la combinaison des points de vue étique et émique dans l’élaboration d’une théorie des littératures francophones. Celle-ci doit en effet pouvoir atteindre le niveau de généralité que vise toute théorie, sans négliger pour autant « la diversité spatio-temporelle des situations observées » (p. 92). C’est, dans un second temps, la perspective polysystémique qui permet, selon L. D’Hulst, de cerner au mieux l’éventail des relations, équivalences fonctionnelles, phénomènes d’ouverture ou de clôture, à l’œuvre dans et entre les différents ensembles littéraires, ainsi que les avatars de ces relations dans les stratégies textuelles privilégiées dans l’œuvre francophone.

Une semblable réévaluation critique est entreprise par Rainier Grutman sur les notions de « bilinguisme » et de « diglossie », dont il s’agit pour l’auteur de rétablir la vraie pertinence descriptive. Après avoir raffiné les catégories prenant en charge la diversité des cas de bilinguisme, il n’attribue finalement au concept qu’une validité pour la description de cas individuels ou l’élaboration de typologies a-temporelles. La diglossie trouve quant à elle beaucoup mieux sa place dans le bagage conceptuel de l’étude littéraire. Indexant des valeurs symboliques sur la variation linguistique, elle fait d’un soubassement institutionnel une possibilité d’effet d’écriture. La diglossie littéraire possède ainsi, selon l’auteur, une vraie dimension collective et historique, et les notions d’« auteur » ou de « texte diglossique(s) » sont des catégories particulièrement utiles à l’étude du littéraire francophone. Elles permettent de rendre compte, notamment pour les corpus québécois (Germaine Guèvremont, Roger Lemelin, Ringuet) créole ou belge (Charles De Coster, Émile Verhaeren, Camille Lemonnier), de ce que l’auteur nomme un « dédoublement toujours possible du destinataire implicite » (p. 121).

Notion beaucoup plus récente, la « scénographie postcoloniale » est quant à elle mise à l’épreuve par Charles Bonn, qui en évalue la pertinence dans l’analyse du roman maghrébin. Fondée sur une opposition idéologique entre l’écrivain et l’ancienne puissance coloniale, l’hypothèse postcoloniale utilise la notion de scénographie (cf. supra) pour mettre en évidence ce qui serait l’une des caractéristiques majeures des littératures postcoloniales, à savoir la « définition forte de l’espace d’énonciation (5) ». Opérant un renversement complet de cette hypothèse, C. Bonn démontre que la classe de textes maghrébins désignés communément comme des « romans à thèse » se caractérise plutôt par une vacuité énonciative et une forme d’engagement tout à fait officialisée et caricaturale. C’est surtout dans les romans des années septante, nous dit C. Bonn, qu’il faut chercher les modalités d’une littérature engagée, qui dès lors ne répondent plus du tout au schéma de lecture proposé par la théorie postcoloniale. L’opposition idéologique s’effectue ici contre le pouvoir maghrébin indépendant et les scénographies déployées s’apparentent à des « [e]spaces négatifs soulignant la faillite d’un discours d’affirmation identitaire confisqué par un pouvoir corrompu » (p. 134).

Aux côtés de ces réévaluations d’outils critiques, les contributions de Lise Gauvin et de Jean Derive exposent davantage les résultats de recherches déjà rôdées, prenant chacune pour cible un aspect particulier du texte littéraire francophone. Faisant de la notion de « surconscience » le pendant littéraire de celle d’« insécurité », la démarche de L. Gauvin examine le travail d’écriture en tant qu’il cristallise, d’une part, un questionnement sur les rapports entre langue et littérature, d’autre part, les tensions entre plusieurs usages linguistiques. L’écriture francophone impliquerait d’abord un « sentiment » de la langue, que L. Gauvin définit comme « déterritorialisation » et qui entraîne la nécessité d’une reconquête permanente (« langagement »). D’autre part, se développe également toute une « pensée » de la langue, déclinée, selon les zones et les auteurs, en différents concepts : irrégularité, variance, négritude, créolité, créolisation, bi-langue. Enfin, cette pensée se traduira nécessairement dans un « imaginaire » particulier (carnavalesque, baroque, errant), chargé de mettre en scène l’hétérogène au cœur du texte. Exemples à l’appui, le travail de L. Gauvin démontre que la réappropriation de la langue d’écriture est un processus central dans toute démarche d’écrivain, a fortiori d’écrivain francophone.

Il s’agit aussi de réappropriation, générique cette fois, dans la contribution de J. Derive, qui se propose d’« évaluer la gestion culturelle et idéologique » (p. 142) de l’oralité dans les textes littéraires francophones. La démarche est nettement moins balisée que celle de L. Gauvin et vise avant tout à se démarquer des lectures culturalistes, qui voyaient essentiellement dans l’oralité l’une des traces de l’origine ethnique de l’auteur. De telles démarches occultent, selon l’auteur, toute la dimension institutionnelle de l’œuvre francophone et l’interrogation de son créateur à l’égard de son lectorat potentiel. C’est donc en termes de « stratégie » et de « posture » (plutôt que « trace » ou « indice ») que J. Derive choisit d’envisager l’usage de l’oralité dans la littérature francophone. Il en propose une typologie, déclinée en plusieurs critères mêlant l’institutionnel, l’idéologique, le stylistique, le culturel. Il conclut en n’hésitant pas à voir dans cette dialectique entre l’oralité et le littéraire francophone « une des voies d’avenir de la francophonie » (p. 150).

D’un tout autre ton sont les contributions de Janos Riesz et de Senouvo A. Zinsou, centrées sur le roman du second, Le médicament. Cas très particulier de négociation linguistique et culturelle d’un romancier africain francophone exilé en Allemagne, la stratégie d’« adaptation » et d’« auto-affirmation » qu’illustre l’écriture de ce roman semble irréductible à toute tentative de théorisation. Les discours croisés de l’universitaire et de l’écrivain permettent d’isoler, parmi les différentes composantes du texte, le maintien du lien à la culture d’origine (africaine), la représentation de la réalité (allemande) du demandeur d’asile, sa traduction dans la langue d’écriture (française).

Enfin, ni étude de cas, ni exposé critique d’une méthodologie, la contribution de Daniel-Henri Pageaux s’inscrit dans la perspective postcoloniale, qu’il tente de faire coïncider avec un comparatisme élargi aux territoires hispanophones et lusophones. Pointant quelques « phases de regroupements possibles » (p. 176) entre trois corpus issus de processus de colonisation, il invite surtout à examiner les transferts de notions liées aux interrogations identitaires. L’espace américain ferait, à cet égard, figure d’étalon, ou de « catalyseur » (p. 175) et les perspectives inter- et intra-continentales formeraient les voies d’accès à une nouvelle forme de comparatisme, renonçant autant à l’approche culturelle totalisatrice qu’au francophonisme étroit.

Notons au passage que, curieusement – et contrairement aux deux autres sections -, ce volet « méthodologie » ne comporte pas de synthèse.

Le troisième volet de l’ouvrage se proposait de répondre à une interrogation qui traverse finalement, en filigrane, la grande majorité des articles : comment écrire l’histoire des littératures francophones ? Reine Meylaerts, Daniel Maggetti et Michel Biron évaluent ainsi, respectivement, le patrimoine critique belge, suisse et québécois. Tout en livrant un aperçu des différents modèles historiographiques qui furent (ou sont encore) en usage dans leurs traditions nationales, ils esquissent également de nouvelles formes d’écriture de l’histoire de ces littératures. Pour la Belgique, R. Meylaerts pointe d’abord la prégnance du modèle français fondé sur la triade « langue-littérature-nation », explique les causes de sa faillite rapide et expose les autres stratégies d’affirmation identitaire auxquelles cette faillite a donné lieu. Dans ce panorama, les années quatre-vingt constituent, nous dit l’auteur, un moment-clé de renouveau méthodologique : l’abandon de la perspective finaliste et la reconnaissance de l’histoire littéraire comme une construction modélisée. Tout en s’appuyant sur ces bases largement sociologiques, R. Meylaerts en appelle à leur dépassement, en dénonçant notamment la servitude de l’historiographie belge à l’égard du modèle bourdieusien. En promouvant le modèle de type sémiotique des systèmes littéraires (6), il s’agit pour l’auteur de sortir de l’axe franco-francophone, d’intégrer le multilinguisme et la dimension internationale, tellement capitaux dans la définition des littératures pratiquées en Belgique.

Nettement plus descriptif, l’exposé de D. Maggetti part du statut institutionnel précaire des lettres romandes pour retracer la percée progressive de la critique et de l’historiographie de cette littérature dans le champ des études littéraires, des années cinquante à nos jours. Caractérisé par des échanges de légitimité entre le corpus traité et le discours qui le traite, le panorama historiographique romand est aussi marqué, comme en Belgique, par l’abandon de l’approche identitaire collectiviste ; abandon qui intervient ici seulement dans les années nonante. Cette phase de « normalisation » privilégie l’approche sociologique, la critique idéologique et s’inscrit à rebours des options historiographiques précédentes. Malgré les progrès indéniables de la critique sur les lettres romandes, l’auteur pointe le danger d’un renfermement du champ d’étude sur lui-même. Il en appelle à un comparatisme pan-francophone, sans indiquer sur quelles bases méthodologiques il pourrait se développer.

Enfin, dans un développement original et élégant, M. Biron part du constat d’une « résistance » de l’historiographie des lettres québécoises à l’égard des catégories traditionnelles de l’histoire littéraire. Laissant là sa réflexion historiographique et son hypothèse de recherche, l’auteur entreprend plutôt d’expliquer cette résistance en y voyant une sorte de révélateur de la structure spécifique du champ littéraire québécois. L’inversion des rapports de légitimité – « la grandeur de l’écrivain retranché dans sa tour d’ivoire est immédiatement retournée en petitesse, en honte » (p. 214) -, l’absence d’écoles ou de programmes facilement identifiables, la figure du journaliste-écrivain éclipsant celle du « grantécrivain (7) », l’engendrement des maîtres par leurs disciples (à rebours donc de la logique traditionnelle de la filiation) : autant de contrepoints qui empêchent au récit des lettres québécoises de se formuler selon les principes traditionnels de l’historiographie française.

Malgré certains légers recoupements dans les démarches, les quatre autres contributions de cette section consacrée à l’historiographie se distinguent assez nettement des trois que nous venons d’évoquer en ce qu’elles n’adoptent pas aussi strictement la perspective méta-critique. Centré sur le corpus antillais, Romuald Fonkoua passe d’abord en revue les différents modèles dans lesquels s’est formulée l’histoire de la littérature des Antilles, ce qui le conduit à dégager les trois problèmes particuliers posés par ce corpus, sur les plans géographique, temporel et terminologique. Les pistes proposées alors par l’auteur ne concernent plus tant l’historiographie que le bagage notionnel utile au commentaire – fût-il historique – de ces littératures. On note le même glissement – de la réflexion historiographique au commentaire critique sur le corpus – chez François Bogliolo, qui envisage « la littérature néo-calédonienne au prisme postcolonial » (p. 273). Centré lui aussi sur l’étude de l’énonciation littéraire d’un corpus protéiforme, qui mettrait en exergue un « espace océanien » (p. 283), il tente de montrer les apports conceptuels que l’étude de ces littératures peut fournir à la notion de francophonie. « Déplacement », « attachement », « identité locale » : souvent puisées aux catégories du sens commun, les catégories mobilisées par F. Bogliolo pour cerner la « spécificité calédonienne » (p. 281) ne font l’objet d’aucune mise en système cohérente.

Les contributions de Xavier Garnier, sur la littérature africaine, et de Jean-Christophe Delmeule, sur trois littératures de l’océan Indien, aboutissent également à une certaine prolifération de notions difficilement maîtrisables. Centré sur une problématique d’ordre stylistique, le premier tente de définir ce qu’il nomme « l’opacité » du style africain francophone, opérant par une mise à l’écart « par rapport à l’axe de la langue » (p. 238). Les catégories de « Dedans », « Dehors », « entre-deux », « bordure », convoquées dans l’exposé, achèvent de le rendre obscur et peu convaincant. Quant à J.-C. Delmeule, il s’attache à trois écrivains tout à fait contemporains (Ananda Devi, Abdourahman A. Waberi, Jean-Luc Raharimanana). D’emblé écarté, par son objet, d’une réflexion historiographique, le propos du critique en vient rapidement à se calquer sur la parole des écrivains étudiés. Enfin, la contribution d’Ahmed Lanasri s’intègre tout aussi peu dans cette section historiographique. Ayant trait au problème du choix de la langue d’écriture et de son rapport aux idéologies ambiantes, son propos est avant tout de remettre en perspective les configurations culturelles et sociolinguistiques d’une Algérie traversée successivement par la colonisation, l’arabisation et les manœuvres obscurantistes du FLN. A. Lanasri montre ainsi clairement la nature de la violence – plus du tout symbolique – à laquelle sont soumis les écrivains du pays, dans ces contextes où sévissent d’autres sortes de conflits que ceux de la psychologie ou des institutions.

L’ouvrage de J.-M. Moura et L. D’hulst entendait répondre à un besoin central des études francophones : une mise au point sur les outils disponibles et l’ouverture de perspectives de recherche relativement homogènes dans leurs méthodologies. Au final, on dira qu’il n’a pu remplir que partiellement ce double objectif, au demeurant très ambitieux. Malgré des efforts non négligeables de rigueur et d’exhaustivité, le débat théorique aboutit à la mise en exergue de l’extrême difficulté à cerner la diversité des situations francophones à l’aide d’un modèle unique. D’autre part, les apports de théories annexes (postcolonialisme, études culturelles) tendent à orienter la recherche francophone sur un aspect seulement du fait littéraire : sa corrélation avec le fait colonial, ou son intégration dans les processus de transferts culturels. Quant à l’évaluation méthodologique, elle fait clairement apparaître de profondes disparités entre les démarches des différents chercheurs, les uns privilégiant la sociolinguistique, les autres, l’analyse idéologique, les autres encore le comparatisme le plus élargi. C’est sans doute chez ceux qui, dans la troisième section, ont entrepris une vraie réflexion historiographique qu’on trouvera la plus grande convergence de vues sur les objets et les méthodes. S’il pouvait constituer le premier jalon d’un programme cohérent de recherches dans cette voie, l’ouvrage de J.-M. Moura et L. D’hulst ferait mentir le jugement mitigé que nous exprimions au début de ce paragraphe.