Créations

L’automatique du crier et du créer (fragment)

David Hammons

                                                                          
                                                                      David Hammons

                                                          Close Your Eyes and See Black, c. 1970
                                                                     Body print on gold paper


L’urgence !

Le jus en instance

Mauvais

Sans l’alacrité d’un sang végétal  

Et  qui ne commande au flux

 

Epanchement en savane, enfuit,  infini

Ses fruits immenses

 

C’est l’esprit calé

 entre

la combinatoire des peines passagères

et Le cycle des évidences

Eructant de miasmes verts réguliers en stances

 

 


Avant dire 

 

A l’encan d’un rire rare cactacéen…

Quand sans alarme ni ambages

se trouve ainsi convoquée la poésie

Qu’elle le vit comme mise-au-pilori

La cangue y paraissant déshérence

où la pensée peine

Et peine si bien

que peiner semble faire projet

 

De n’être sollicitée pour elle-même

poupée de résine

Petite

une raideur rêche de cariatide boudeuse ne devant qu’à résignence

Attachée au service de ce qui

– somme-toute et elle le sait-

lui est bien inférieur

La poésie 

peut Reine se montrer jalouse

et se figer

 

On essaie le maximum de l’éviter

De lui faire sentir qu’elle participe pour pleinement

en ce qu’elle est

– c’est-à-dire presque tout –

de cette grande aventure de l’errance de la pensée

 

Mais d’abord

Il y a à dire

Que l’idée se tient au dessus de l’être

et parle plus haut que sa conscience même

Au travers l’esprit anonyme anus ânonnant

dont la grande affaire en l’espèce

est d’ânonner seulement

insolite on ne sait quelle mauvaise lexicologie

 

Donc,

Ce que je vais dire n’est pas vrai

(‘Vrai’ est un mot honteux !)

Ce que je vais dire

je ne le dis pas parce qu’il est vrai

je ne le dis pas pour qu’il soit vrai

Je ne dis même pas

 

Comme les volcans hurlent les îles

Et comme la musique rend des architectures de pierre

Comme effleurer l’âme peut répandre l’eau

Et comme pétrir l’eau

au chaud

lui fait une couleur puis lui tisse une chair et puis lui tire un cri…

Comme coi l’air n’en brasse pas moins d’effroyables tempêtes

Comme de rugir les lions gèrent l’espace

Je dis ! C’est tout !

 

Et cela blanc m’allaite l’âme

autant qu’il m’astreint à ce supplice où j’ai vu tantale

Mais ô lancinance

tout cela n’est pas mien !

 

Aussi,

Il faut à l’avance prévenir 

Qu’on ne pourra secouer rien de ce qui est ici avancé

Parce qu’il y a loin de l’allégeance et aucune génuflexion

Parce qu’il n’y a au confort et pas le souci de conformité

Parce qu’aucunement code ne commande à sa structure

Qu’aucun mur n’en fait le tour

Qu’aucun calcul ne l’a mis en route

Parce que son rebondir est libre…

 

De fait,

On ne peut ni aimer ni détester ce qui est dit ici

On ne peut que prendre acte

que cela est dit

Qu’une fois dit

cela, incontestablement, Est

Et applaudir des deux mains

que l’existant fusse grandi d’un nouveau dit

 

 

 

 

Flash #I

C’est tout sauf en vermeil

C’est le saut à pieds joints hors le sommeil

Où on se frotte le cœur à même la terre…

 

Il y a d’abord ceci

Cet objet que mes mains mentales cherchent à toucher. Vers lequel je les tends. Et dont elles me ramènent à peine l’odeur et la tremblance. Car il vrille, je le sens. Ou plutôt je le sais. (Mais cette certitude là même ne m’appartient pas).

Je déploie donc mes mains, en fluide, dans l’épaisseur des non-dits stables. En se frayant passage, elles racinent en la chair des espaces calmes. C’est ainsi que ce qui précède l’idée – je veux dire l’idée sans corruption de sa mise au monde – contamine les faits stables. Et leur donne à partager ses tressautements, son étonnement, son trop-pas-assuré.

Les choses prennent conscience d’elles mêmes. Et elles s’ouvrent alors. Comme explose la belle du liseron de son trop plein de beauté. Pour aller à s’inonder de soleil…

Je dis que – comme tout ce qui jette l’innocence, fait hoquet ou spasme du spontané de la larve – le senti se meut dans l’invisible. Le si dense de tout ce qui nous entoure, nous serre… Et il fait des rues droites du sujet à l’objet de son étonnement. Il pousse alors et dans son sillage, comme des réseaux de chemins d’âmes. Des réseaux en fleurs…
Si donc je voulais que l’assurance calme des choses mûres, des choses qui acquiescent, passe en moi. Si j’entendais emprunter ces voies que le cœur en aveugle suit ; et qui ne se mettent pas en discussion. Si je me mettais en projet d’observer ces chemins dans l’invisible, il faudrait que je fasse silence. Que je m’éteigne. C’est aussi dire que je m’allume. C’est-à-dire encore que j’éteigne tout ce qui est mort en moi, c’est-à-dire tout moi.

 

*

Lettre #I

 

Pardon pour ce trop long silence. Je n’ai jamais été aussi près des mots mais c’est encore aujourd’hui que j’ai le plus de mal à leur faire une forme.

Je vais bien. Je répartis mon « exister » entre ‘Z’, les idées fugaces griffonnées dans le métro et mes heures d’ennui dont, sérieusement maintenant, j’entretiens le nourricier.

Vais bien.

Tu t’inquiètes tant pour moi, je le sais. Il ne faut pas. Ce pays n’avalera pas mes pas. Plus maintenant…

Vais bien. Me sens comme plein. Rempli à ras bord de choses conniventes. Tout ce que le cœur a de rouille et l’esprit de papillons se mélange et fait un beau boucan de cymbale. Se bouscule cette chose ! Et elle réalise une étrange ébullition, traversée de foudres violettes et vertes… Moi, pauvre hère, trop enclin à la rêverie, je tire la chaise. Blasé autant que subjugué, spectateur hors mœurs de ce  tintamarre coloré, au-dedans même de moi. Et… timbale, suis souvent bien tenté de m’abandonner là. Accueillant jusqu’à combustion ce qui me fait l’honneur de descendre par moi. Laisser l’esprit prendre feu ! Un doux suicide en somme ! Dont pourtant toujours – et bien souvent malgré moi – mon éducation africaine seule – je veux dire mon patrimoine de sauvagerie – me sauve. Dieu sait si j’ai déjà beaucoup concédé à la folie… Et puis, il y a ma mère là-bas. Qui prie tous les soirs. Dont respirer est prier. Ma mère, celle île dans la nuit, dont la vie entière est une prière pour que je manque à la folie.

Vois-tu, je lis Césaire. Je lis Artaud. Je pensais que l’un me préservait de l’autre… Mais tous deux me laissent. Désemparé. En proie à moi-même. Mais pire. L’étreinte que me font les choses ne me met qu’un trois fois rien dans la mine. Si bien que moi-même, mes heures d’éveil, j’arrive à me confectionner quelques doutes. Je ne suis pas crédible ! Ma face est une traîtrise. Elle ne me vend pas de dedans. Je passe des heures à chercher, devant un miroir, et cela me rend à moi, encore plus et de beaucoup trop éveillé.

Mais vais bien. Je communique enfin. Je touche. Oh, certaines choses doivent bien m’échapper. Je pense d’ailleurs qu’il serait plus juste de dire que j’échappe, moi, à certaines choses…

C’est de cela que je voulais te parler mais les mots m’abandonnent aujourd’hui.

Demain peut-être…

T’embrasse.

 

*

Flash #II

Et qu’il pousse des lèvres au cœur

Une bouche Deux excroissances de muscle

Qui cracheraient au rythme de son battement

La voix rouge

 

L’idée est comme l’enfant terrible du conte.

Elle te murmure : ‘Enfante-moi !’, ‘Enfante-moi !’ Constamment. Du ventre même elle murmure : ‘Enfante-moi ! Enfante-moi !’

Le poète est celui qui a le moins de patience. Il lui répond : ‘Une idée qui parle si haut du dedans même, s’enfante tout seul…’ Et le poète laisse à l’idée son parler propre. Son parler libre. Son parler brut. Son parler haut. Il libère l’idée crue. Qui vient au monde de sa seule force. Auquel il n’ajoute rien, il n’a à rien ajouter, il ne peut rien ajouter.

Le poète est celui qui laisse l’idée s’accoucher toute seule. En cela, on peut dire qu’il n’a pour lui que d’être un grand paresseux. Mais à sa décharge, il faut reconnaitre qu’il est cet être unique en qui l’idée ne murmure pas seulement… mais crie bien souvent. 

 

*

Lettre #II

 

Je vais bien.

Voudrais m’expliquer. Parler des choses auxquelles je manque…

Car j’en ai bien conscience, je manque de trop aux choses de la vie : Appeler ma meilleure amie pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Remplir cette feuille de couleur qu’est ma déclaration d’impôts. Aller donner une fois l’an à leur mascarade, acquérir  le droit d’être où je suis. Etc. Je manque…  c’est qu’inconsciemment, je fuis mes contemporains… Et on me le reproche.

Mais si je manque tant aux choses de la vie, c’est surtout que j’ai choisi d’être présent aux choses de l’esprit. Aux choses de mon esprit. Je n’accepte pas de me distraire d’exister. Vivre ne me suffit plus. Je veux participer au cours des choses.

Veux m’utiliser à marquer. Comprends-tu ? Je ne me soucie pas plus que cela, du jugement. Je ne veux plus m’en inquiéter…  Je sens que je n’en ai pas le droit. Je suis maintenant hors le regret et les sous-rires. Hors l’unanimisme et son joug. Hors le carcan de l’opinion surtout.

Voilà ! Je sais ; c’est là une façon bien étrange d’expliquer la chose. Mais je refuse désormais de me dissocier de seulement un bout de moi-même. Veux me mettre entier dans les mots ! Et je ne le peux en sacrifiant à cette escroquerie qu’on nomme « sens » et dont les langues droites se font honteusement le masque.

Et puis, il y a que j’ai cette foi citadelle en toi. Qui me dit que tu auras saisi que, pour de vrai, je vais bien maintenant. Et que je suis à seulement deux coudées d’accoucher de moi.

Vais bien.

Au fait, joyeux anniversaire !

T’embrasse.

 

*

Flash #III

Je dis

Que Dieu a inventé la poésie pour donner aux hommes de lui en foutre plein la gueule

Et quand il tend l’autre joue, c’est seulement que la première n’en peut déjà plus…

 

Mais je n’écris pas en français.

Non je n’écris ni en français, ni en aucune autre des langues connues ou inconnues, pures ou impures. Savantes ou sauvages. Ce serait, n’est ce pas, m’aliéner à quelque d’inférieur. En poésie, il n’y a que l’ambassade souveraine des mots et leur étreinte. Aussi sûr que je sais maintenant que danser sera le dernier langage, je n’écris pas en français.

Mais même concédant autant à l’aller libre, on n’en reste pas moins homme et homme avec ce que cela est lâche, raisonnable (c’est tout un), et ce que cela est pathétique dans son attachement à cette vie.

Aussi, c’est par souci d’équilibre, il faut entendre d’équilibre mental, que j’écris des essais. La poésie est dangereuse. Elle pourrait me perdre. La réflexion me tient en éveil (ou plutôt m’aide à m’évader. M’endormir comme vous tous.)

Hé diseur, si tu n’as pas éprouvé que la poésie pouvait te perdre, c’est peut-être que tu n’es pas tout à fait poète encore …

Oui, la poésie se paie en sang. Pas puéril, l’instantané lympal du harakiri. Mais de sève verdâtre. L’eau de viol… L’esprit, un piètre anus livré au coït de quelque être supérieur, vertical, terroriste (et j’utilise ce mot en tout ce que mes contemporains ont pu le rendre autrement plus brutal), et qui le féconde de foutre et de foudres… Puis de partout infecté de sales papillons, cette parturition précédant l’épiphanie de karité. Blanc.

 

*

Lettre #III

 

Qu’avons-nous fait des mots ?

Peut être avons-nous compris que toutes les choses ne s’y laissaient pas enfermer !  Et si nous nous sommes habillés de silence, c’est pour dire les choses libres. Ou alors…

Mais je préfère le peut-être.

Sinon, je vais bien…

T’embrasse.

 

*

Flash #IV

« Ces arbres, saignent-elles leurs feuilles ? Les crachent -elles ?

 Les pleurent-elles ? Les rient-elles ? Les crient-elles ?

Les jettent -elles en sagaie contre l’inachèvement des heures ?

En tout cas, cette saignée verte. Pathétique.

Je ne peux comprendre qu’on puisse s’en émouvoir… »

Sergei Menàcei

 

Et il est par ailleurs heureux que ce qui nous fait créer, se dise « inspiration.» Il est heureux, dis-je, qu’on fasse de préférence sous ce terme, commerce de la mise en marche. J’entends par là que le mot est extrêmement adapté. Respiratoire ! Créer est une respiratoire !

N’est-il pas vrai qu’en poésie aussi inspirer est pur ? N’est-il pas vrai qu’elle précède et déclenche écrire qui est une expiration ? Mais si l’inspiré est propre, l’expiré est sale; et il en est ainsi des poumons comme en poésie. Ce qu’on reçoit, et je répète que je dis du poète comme de l’organe respiratoire, est toujours pur. Ce qu’on donne, ce que vomit le diseur est toujours sale. Non parfait, intotal, immanquablement mutilé de quelque chose de cet essentiel que charriait ce qu’il a reçu. La poésie est sale. Elle pèche de ne pas tout finir de dire…

Je dis que faire poésie est furieusement proche de travailler l’air ; en son automatique (ici aussi inspirer-expirer ne se commande pas) et en sa mécanique (ici aussi tout coule et tout écrou cale et tourne dans l’enclenchement-déclenchement ; et arrêter de respirer tue le poète comme l’homme). Reste la mathématique et que le poète n’est qu’un coefficient de création qui arbitre l’inspirer-expirer…

 

*

Lettre #IV

 

Je ne sais si tu me comprends quand je te dis que des fois, je me sens hors tout. Aussi bien le manger-chier que les calculations de l’eau, sa dictée en roulis, son ronflement qui mouille ou ses exercices en construction du corps…

Et quand je dis la dictée de l’eau, déjà je semble en dire beaucoup trop en pure perte. Et pourtant je n’ai pas encore exprimé le souffle-premier de ma pensée.

Et quand je dis la dictée de l’eau, je pense à l’esclave qui la regarde couler libre. Et qui l’écoute. Et qui en son cœur, d’une arithmétique sept fois reine et dont l’automatique ne se discute pas, en retranscrit, la Loi, les ordres.  

Et qui à son tour s’y met tout entier. Je veux dire l’esclave, tout entier dans l’aller libre même de l’eau. (Toute de lancinance ! Ce ‘se lancer’ souverain, qui n’est pas encore l’urgence et qui ne se rétribue en sang comme l’urgence se rétribue  en sang. Mais qui n’est que l’« être ‘homme » comme tout homme’ ».) C’est à tout cela que je manque !… pour m’être, d’un peu trop près, approché de moi.

T’embrasse.

 

*

Esthétique #I

 

Le long cri vert de la plante qui pousse et qui est l’expression lancée de sa souffrance. Sa plainte qui s’étire et qui accompagne son propre étirement. Cet interminable cri vert qui le mène jusqu’aux portes l’en-dormissement et qui l’y place et l’y fixe. Car le cri vert de la plante qui pousse est le guet élastique du créé aux abords du jour. Et toute plante est sentinelle à surveiller que le jour suit bien le jour et lui transmet fidèlement le mot de passe. Le bon code. Toute nuit baignant dans sa bave et cette mystique qu’on a nommé – parce qu’on ne pouvait atteindre son nom, parce que l’interpeller nous dépassait et parce que comme toujours quand les choses nous dépassent nous jetons un voile-  ‘Synthèse’. Avalement et vomissement. Circulation diuma de dioxyde. Moi je dis écholalie courageux du liseron soldat. Pour la plante, point de trahison, seulement le long cri vert… Mais pour nous, toute notre démission de chair et de sang. Et ces balivernes nos esprits enlacés qui nous rendent plus supportables la transition des saisons, le mystère couleur gecko.

 

*

Lettre #V

 

« Le poète doit ! » Quelle saleté !« La poésie doit ?…» Oui c’est bien du parnassianisme. Et comme tous les ‘ismes’ c’est une mutilation de la vie. Or le poète se veut entier.
Frank, Le poète n’a qu’un seul devoir. Celui de ne devoir à rien, ni au plan, ni aux abstractions de l’intellect. D’être hors les calculs… C’est-à-dire se taire et laisser être les choses. C’est en se taisant qu’il pourra espérer non pas atteindre le beau, mais que le beau vienne à lui, que le beau le choisisse. Le point le plus abouti du travail de technique chez le poète est de le mettre tout entier en sommeil, de l’éteindre, c’est-à-dire de le réveiller aux choses qui vont libres… Et parmi les choses qui vont libres, il y a, n’est ce pas, l’urgence. Et ne devoir à rien c’est devoir d’abord à l’urgence. Car l’urgence passe en ceux qui refusent de donner au brouhaha et de collaborer à la mascarade d”exister’. Ceux là font silence.
Je dis que le poète ne doit qu’à l’urgence. Mais l’urgence est placé au dessus du poète et lui est supérieur. Il ne lui apporte rien et ne peut se prévaloir d’aucune autorité sur elle. Il a à apprendre à faire silence pour que l’urgence passe en lui. Que l’urgence décide d’apparaitre ou beau ou vrai ou juste, le serein d’Apollon ou la face horrible du dieu Xakpata, cela lui appartient et le poète n’y peut rien.

 

*

Esthétique #II

 Je dis, cela m’arrache la langue me tombe toutes les dents,

 Cette plaie verte ! Et que la guerre est préférable à la paix !

 

Les morts portent -ils l’ombre ou est-ce réservé aux respirants ? Une ombre n’est ce pas mes yeux ouverts ? Quand je les ferme l’ombre n’est plus. Mon ombre qui me fait arbre, la seule partie de moi qui participe. Et mes mots qui le mènent plus loin encore. L’ombre portée hirsute ou glabre feuillue ou cossue. Mon ombre. N’est-ce pas moi dansant?

Non, les morts, n’ont pas cet invité. Cette infirmité. Cet intime privilège du compagnonnage libre qui vous tire la langue dans le dos.

Oui, mon ombre tout beau, labre, qui m’embrasse les pieds.

Mourir c’est être séparé au ciseau de son ombre. Et les riants de lune dont l’arbre a depuis longtemps casé, éructent un rire fêlé à son clair et rodent en attendant le jour où l’homme perd son ombre.

 

*

Lettre #VI

 

Je voudrais pouvoir exprimer l’état dans lequel je me trouve aujourd’hui. Je me touche !

Comprends-tu cela ? Je me touche et cela me bascule tout entier dans des effrois pas croyables. Mon plus grand désespoir était de ne pouvoir aller plus loin que moi. J’avais choisi d’habiter à ma périphérie mais cela même ne suffisait.  Et je continuais à me manquer.

Voilà que maintenant, je me touche !

Je me touche. Et si j’essayais de te l’expliquer physicalement  je te dirai que je suis dans un état autre que celui où, éprouvant que la main qui écrit, ne peut aller aussi vite que l’esprit,  je plongeais en un immense désespoir (cette infirmité – ma pierre – qui me restituait ma condition animale).  

Je me touche désormais. Non pas comme ce nègre qui sait de quoi il n’est pas malade ! Non ! Je me touche et je sais jusqu’à comme l’enchantement de mon premier souffle au monde…

T’embrasse.

 

*

Esthétique #III

 

Et il n’y a presque pas de crispation dans le raidissement de la sentinelle. Pas d’indécence dans son souffrir. Encore moins d’hautain dans son digne. Autant j’acquiesce au noble végétal, autant je trouve la douleur risible. Que de prétention chez la chair ! Que d’obscénité ! Quand apprendra t- elle à se taire et à manifester plus d’humilité devant le mystère. Plutôt que toujours nous jeter sa buée de plaies indécemment rouges à phagocyter le cri vert, la vraie valeur bavée brève aux abords du jour.

Les capsules écloses. Tous les bourgeons éclatés, les plantes au garde-à-vous à présenter leurs couleurs violettes et rouges, violettes et jaunes, violettes et vertes,  comme la poésie expose les entrailles du poète. Les fleurs explosant, leurs entrailles de couleurs organisent l’aller libre au monde, comme les feux rouges verts et jaunes des hommes, à un carrefour, y organisent la circulation.

LA-Verte ! Mes mains rêveuses, le nu grigri opérant au coi des chiens. La gerbe ? Un ramassis de cris verts et le fagot jeté, le silence vert où la fraternité végétale puzzle en amaranthe. De gombo-okra, de vanille bourbon, de poivre noir ou de gingembre.  Le karité roi ou le rocou. De cola lavé, ses fibres rouges, l’abomination du premier fils… Le mythe ! C’est de fruit-kapok. Le grains- gain de mon poing, les mains tues. D’adansonia, de citronnelle, de racine chiendent, de marrube ou de néré….

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David Hammons

A Cry From the Inside, 1969

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Marasme

De mer morte !

 Noir

Un ébène liquide

tarie

Voici où je voudrais qu’on s’arrête.