Mondes nord-américains

Le rôle de l’éducation dans le développement économique des États-Unis : le cas du GI Bill

« L’éducation des enfants est une chose à quoi il faut s’attacher fortement. » (Géronte)
Molière, Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 1

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Bénéficiaires du GI Bill, Indiana University

 

Introduction

L’éducation joue un rôle essentiel dans le développement économique, et un des facteurs explicatifs importants des écarts de niveaux de vie entre pays est la plus ou moins grande précocité historique des progrès éducatifs. Si on considère des pays continents de taille et de poids comparables comme les États-Unis, la Russie, l’Inde ou la Chine, le fait que le premier soit devenu de loin la première puissance économique mondiale est lié à la mise en place d’un système éducatif primaire généralisé dès le XIXe siècle, puis secondaire et tertiaire dans la première partie du XXe. La démocratisation précoce de l’enseignement aux États-Unis est une des raisons de leur développement rapide, comme cela a été aussi le cas pour les pays européens et leurs rejetons outre-mer : pays scandinaves, pays germaniques (Allemagne, Hollande, Belgique, Autriche, Suisse), pays anglo-saxons (Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) ou latins (France, Belgique, Suisse).

On examinera tout d’abord les liens historiques éducation/développement, puis l’évolution aux États-Unis avant la Deuxième Guerre mondiale, avant de considérer le cas particulier de la démocratisation de l’enseignement supérieur à travers le GI Bill de 1944.

I  Éducation et développement : quelques repères

“Upon the education of the people of this country the fate of this country depends.” Benjamin Disraeli, Chambre des Communes, 15 juin 1874

Les travaux pionniers de Mincer (1958), Schultz (1963) et Becker (1964) ont montré le rôle et la spécificité du capital humain (1), l’importance de la formation pour expliquer les revenus des individus (2), tandis que l’éducation comme moteur de la croissance économique a été plus récemment analysée par Romer, Lucas (3), Mankiw ou Barro (4). D’autres auteurs comme Lindert (1994) insistent sur une causalité inverse, la hausse des revenus ayant favorisé les progrès de l’éducation, même si on peut considérer que les effets et les causes sont ici entremêlés, les seconds étant à la fois cause et conséquences de la première.

Le développement de l’éducation de masse est lié à la croissance par le biais essentiellement de l’aptitude à maîtriser et à adopter les processus techniques, même si l’éducation, par exemple des Humanités (Lettre, histoire, philosophie, etc.) a peu de rapport avec la technique, le lien est indirect, car l’enseignement des techniques est en quelque sorte un sous-produit d’une éducation de masse, par l’intermédiaire de tous les enseignements logiques (physique, chimie, mathématiques, sciences de la vie, etc.) et des établissements d’enseignement professionnel ou spécialisé. On peut établir ainsi un schéma simple, mais solide, vérifié par l’expérience historique :

Éducation de masse précoce -> Maîtrise technique répandue -> Croissance économique sur le long terme -> Niveaux de vie élevés

 


Facteurs des progrès éducatifs

Mais si le rôle de l’éducation n’est guère contesté dans la croissance, d’où vient que certains pays l’ont développée avant les autres ? Pendant longtemps l’éducation a été du seul ressort des parents, dans les sociétés grecques et romaines par exemple, où les autorités requéraient d’eux cette contribution, et bien sûr à leurs frais. L’injonction biblique d’enseigner aux enfants à lire et à comprendre la Torah (5), et donc à l’observer, se traduit chez les Hébreux par une des premières formes d’éducation pour tous. Les cursus, l’emploi du temps des enseignants, la taille des classes, les mesures disciplinaires, tout cela est discuté dans le Talmud (6). Des écoles administrées par les autorités publiques sont établies, mais non gratuites, non financées par celles-ci, sauf pour les orphelins et les pauvres.

En dehors de cette origine lointaine, l’éducation reste surtout confinée au foyer, jusqu’à l’avènement de la Réforme protestante, au XVIe siècle. Des lois imposant l’école obligatoire apparaissent ensuite dans les États allemands et en Autriche-Hongrie (7), ainsi que dans les colonies britanniques en Amérique, notamment chez les puritains du Massachusetts (8). La Révolution française, sous Robespierre et Saint Just, préconise, sans pouvoir la mettre en place, une éducation publique, qui serait déjà gratuite, laïque et obligatoire. Thomas Paine, alors actif révolutionnaire en France et citoyen français, délégué girondin à la Convention, écrit dans ce sens :

« L’ignorance sera bannie des générations à venir, et le nombre de pauvres se réduira, car leurs capacités, grâce à l’éducation, seront plus élevées. Une nation sous un bon gouvernement ne devrait permettre à personne de rester sans éducation. Ce sont les gouvernements monarchiques et aristocratiques seulement qui requièrent l’ignorance pour se conforter. » (9)

Pour les niveaux d’éducation au XIXe siècle, l’Allemagne vient en tête avec 77 % de taux de scolarisation dans le primaire en 1830, suivie par les pays scandinaves, 66 %, les États-Unis, 56 %, l’Angleterre, 41 %, la France, 39 %, le Japon, environ 30 %. Des pays comme la Russie, le Brésil, l’Inde tournaient autour de 4 % à cette époque (Easterlin, 2000). L’Angleterre rend l’école élémentaire obligatoire en 1870 et l’école secondaire gratuite pour tous en 1944.

Tableau 1  Taux de scolarisation à l’école primaire, nombre d’élèves pour 10 000 habitants

 

  1830 1882 1910 1939 1950 1975
États-Unis 1500 1908
Allemagne 1700 1547
Grande-Br. 900 1107
France 700 1382
Espagne 400 1049 1026 1535***
Italie 300 681 927 1313
Yougoslavie 303 512 888
Roumanie 261 839 1581
Russie 133 395 1873
Japon 722 1240 1695
Chine 115** 329 861
Corée 27 501 1151
Thaïlande 9 939 1490
Indonésie 57* 96 338 613 1345
Brésil 207 271 854 979 1866
Mexique 457 563 1314 1072 1905
Argentine 511 944 1417 1286 1399
Inde 94* 147 279 513 1082
Égypte 4 171 687 662 1107
Iran 6 213 457 1353
Turquie 201** 464 776 1376
Nigeria 12 103 399 820
Éthiopie 49 366

* 1890   ** 1920   *** 1930

NB Les pays ayant atteint un niveau d’éducation élevé sont en jaune, ceux n’ayant pas encore débuté un enseignement primaire sont en bleu. Source : Easterlin, 1981

Le tableau 1 ci-dessus montre la précocité des progrès éducatifs primaires dans les pays protestants, notamment aux États-Unis, mais aussi dans quelques pays latins comme la France, et également le rattrapage rapide des pays asiatiques au XXe siècle. White (1996) rappelle que seulement 3 % de la population était illettrée en 1948 aux États-Unis, ce qui n’était atteint par aucun autre pays de taille comparable. Le niveau d’éducation était en hausse, et l’éducation était portée à un plus grand nombre de jeunes gens que dans aucun autre pays. Le nombre d’étudiants dans des universités américaines égalait tous ceux de l’ensemble des autres pays du monde occidental.

Le protestantisme est ainsi considéré par des auteurs comme Easterlin (2000) comme une des premières causes des progrès éducatifs :

« Ces différences des niveaux éducatifs du XIXe sont le produit de tendances qui remontent au XVIe siècle, bien avant les débuts de la croissance économique moderne, des tendances liées en partie à la Réforme protestante et l’insistance sur la nécessité pour chaque individu d’être capable de lire la Bible lui-même (10) (Cipolla, 1969, Easterlin, 1981). Martin Luther préconisa en outre le premier la nécessité d’une intervention des autorités publiques dans l’éducation, et en particulier la promulgation de lois imposant la scolarisation. Parmi les pays d’Europe occidentale et leurs créations outre-mer, le rang relativement mauvais de l’Angleterre peut en partie refléter le fait que la doctrine protestante anglicane est restée comme la doctrine catholique romaine, sans l’accent sur la lecture de la Bible, caractéristique des autres sectes protestantes. … En Angleterre, c’est la minorité des non-conformistes qui sont à la pointe de la scolarisation, et aux États-Unis ce sont les États du nord, peuplés et largement dominés au départ par ces mêmes sectes dissidentes, qui se caractérisent par un haut niveau d’éducation. »

Ainsi, ce ne serait pas tant l’éthique protestante elle-même qui a favorisé le développement capitaliste, comme le décrivait Max Weber, mais une partie de cette éthique, l’accent sur la nécessaire alphabétisation, et donc l’éducation, qui aurait favorisé le développement économique dans les pays protestants.

Un deuxième facteur serait l’humanisme et l’influence des lumières. Les monarchies éclairées du XVIIIe tentent ainsi de réduire le crime et de promouvoir les vertus civiques en développant l’éducation. L’influence du juriste italien Cesare Beccaria, avec son Traité des délits et des peines (« Tratto dei delitti e delle pene », 1764), visant à prévenir le crime par l’éducation, a été considérable dans toute l’Europe. Les idées des lumières sont en France l’élément essentiel des progrès éducatifs :

« L’humanisme prêchait la possibilité d’un perfectionnement ultime de l’humanité, et poussa ainsi à une vision favorable à l’éducation de masse » (Easterlin) …

« En définitive, les Français se dédièrent aux idées dérivées de l’humanisme, plus qu’à celles du catholicisme romain ou des théologies protestantes, un développement qui eut de profondes conséquences éducatives » (Thut et Adams, 1964).

Enfin un troisième élément à l’origine des progrès éducatifs, également très fort en France, est le nationalisme, et la volonté de l’État central d’unifier le pays et de favoriser une appartenance commune. La création d’écoles sous Louis-Philippe par la loi Guizot (11), puis les fameux « hussards noirs de la République » de Ferry à la fin du siècle, les langues régionales réprimées, les fameux Nos ancêtres les Gaulois…, tout cela participe évidemment à cette entreprise. On peut citer aussi l’Allemagne de Bismarck pendant le Kulturkampf tentant de forcer les Polonais à s’intégrer à l’école et à l’empire (voir Lamberti, 1989). L’école a un but d’intégration et de socialisation qui justifie l’intervention publique.

Rôle de l’État

L’idée que l’éducation doive être gratuite et dispensée par l’État est exprimée par les courants les plus divers, y compris les plus libéraux. Car sans l’intervention publique, l’éducation ne serait pas dispensée du tout. Elle promeut la cohésion sociale entre groupes disparates et peut réduire les tensions ethniques en fournissant un noyau de normes communes, des normes qui consolident la confiance et favorisent les interactions entre les individus. C’est ce qu’expliquent par exemple Adam Smith, John Stuart Mill ou Milton Friedman, des sociologues comme Durkheim, ou des auteurs marxistes :

« L’homme dont la vie entière est consacrée à réaliser des opérations simples… devient en général aussi stupide et ignorant qu’il est possible de l’être à une créature humaine… Bien que l’État n’ait à retirer aucun avantage immédiat de l’instruction des rangs inférieurs de la population, il devrait néanmoins consacrer son attention à ce qu’ils ne soient pas laissés complètement sans éducation. » (12)

« Mais il y a d’autres choses pour lesquelles la demande du marché n’est en aucune façon un critère, des choses pour lesquelles l’utilité ne consiste pas à satisfaire des inclinations, ni à servir des usages quotidiens, et dont le besoin est le plus grand lorsqu’il est le moins ressenti. … Il arrivera continuellement, dans un système de marché, que, la fin n’étant pas désirée, les moyens ne soient pas mis en œuvre. … Il est donc tout à fait admissible en principe que l’éducation soit une de ces choses que le gouvernement devrait fournir à la population. » (13)

« Une société stable et démocratique est impossible sans un niveau minimum de connaissances et de maîtrise de la langue de la part du plus grand nombre et sans l’acceptation répandue d’un ensemble de valeurs communes. L’éducation peut contribuer aux deux. Ainsi, les bénéfices de l’éducation d’un enfant ne vont pas seulement à cet enfant ou ses parents, mais aussi aux autres membres de la société. L’éducation de mon enfant contribue à votre bien-être en favorisant une société stable et démocratique. Il n’est pas possible d’identifier les individus particuliers (ou les familles) qui en bénéficient et donc impossible de faire payer pour les services fournis. … Le problème majeur des États-Unis au XIXe et au début du XXe siècle n’était pas de promouvoir la diversité, mais de créer les valeurs communes essentielles à une société stable… Les immigrants affluaient dans le pays, parlant des langues différentes et suivant des coutumes différentes…L’école publique eut une fonction importante dans cette tâche, à commencer par le fait d’imposer l’anglais comme langue commune. » (14)

Ce n’est pas autre chose que ce que disait Rousseau dans l’Émile – livre d’éducation qui a eu un immense retentissement dans l’Europe du XVIIIe siècle -, à savoir que l’éducation doit réconcilier l’estime de soi naturelle et la nécessité de vivre au milieu des autres, dans une société civilisée, permettre d’être à la fois homme et citoyen.

Émile Durkheim a aussi insisté sur le rôle de socialisation de l’école dans toute société, l’inculcation de valeurs définies, d’attitudes souhaitées, qui permettent la vie en commun. C’est cela même qui est critiqué par des auteurs radicaux américains comme Bowles et Gintis (1976), pour qui l’école dans l’Amérique capitaliste ne fait que « reproduire dans ses relations sociales la division sociale du travail du système capitaliste. » Autrement dit, ainsi que le résume Blaug (1985) :

« Les écoles du bas de l’échelle inculquent la ponctualité, la concentration, la docilité, le travail de groupe, la persévérance, tandis que celles du sommet développent l’autonomie, l’estime de soi, la polyvalence, la capacité à diriger. L’école élémentaire et secondaire forme la piétaille, les établissements supérieurs les lieutenants et les capitaines de l’économie. Ce qui est requis en bas de la pyramide du travail, c’est la capacité à recevoir des ordres, ce qui est requis au sommet, c’est la capacité à en donner. Les écoles du système capitaliste sont des mini-usines qui promeuvent les mêmes valeurs que celles prisées par le marché. L’usine capitaliste requiert l’obéissance à une autorité centrale, comme l’école capitaliste ; les usines aliènent les travailleurs du produit de leur travail ; ils sont motivés non par la valeur propre de ce travail, mais bien par la promesse des salaires, et les étudiants de la même façon sont motivés par les diplômes du cursus. La compétition plus que la coopération, l’intérêt personnel plus que la camaraderie, gouvernent aussi bien les relations entre travailleurs qu’entre étudiants. Il y a une parfaite correspondance entre le système éducatif et le système économique capitaliste. »

La critique qu’on peut faire à cette analyse est que naturellement dans les pays socialistes l’école est également instrumentalisée. On n’imagine mal dans la Russie de Staline ou de Brejnev l’école ne pas être utilisée pour l’intégration des minorités et la défense du système et des institutions ; on voit mal aussi des enseignants y défendre la libre entreprise ou l’économie de marché… Elle l’était en fait beaucoup plus – du fait de l’absence de contre-pouvoirs – que dans les démocraties capitalistes où les maîtres sont souvent hostiles au système. Ainsi la controverse actuelle aux États-Unis où les conservateurs s’élèvent contre ce qu’ils appellent la mainmise des enseignants de gauche (liberals) dans les collèges et universités.

Dans tous les systèmes cependant, l’éducation devient une préoccupation centrale. Une nouvelle religion, celle de la connaissance, tend à se substituer aux anciennes :

« Les origines de la croissance économique moderne résident dans l’extension des sciences et la diffusion de l’éducation. Dans un sens plus fondamental cependant, la source de cette ère nouvelle se trouve dans la tendance séculière, rationaliste et matérialiste de la pensée intellectuelle, issue de la Renaissance et de la Réforme – c’est-à-dire qu’en rejetant l’autorité de l’Église médiévale, l’humanité a finalement adopté une nouvelle religion de la connaissance, dont les temples sont les écoles et les universités du monde, et les enseignants ses prêtres, et dont la foi est la croyance dans la science et le pouvoir de l’enquête rationnelle. » Richard Easterlin, 1981

II  Le développement de l’éducation aux États-Unis avant la guerre

Selon la célèbre étude de Denison (1985), sur la période 1929 à 1982, 28 % de la croissance américaine peut être expliquée par les progrès éducatifs, en quantité (durée de formation) et en qualité (meilleures formations), c’est-à-dire par l’amélioration du capital humain. Si on ajoute à cela les progrès technologiques, on tient là les deux éléments fondamentaux de la croissance du pays au XXe siècle :

« L’accumulation du capital humain et le progrès technique ont été pour le siècle, ce que l’accumulation du capital physique a été pour le XIXe, le moteur de la croissance » (Goldin, 1998).

Le premier jalon des progrès éducatifs est l’ordonnance du Nord-Ouest (Northwest Land Ordinance) en 1787. Il s’agit d’une loi conditionnant toute vente de terre de l’État à l’engagement par les acheteurs qu’une partie des terres serait utilisée à des fins éducatives. Le but était d’éviter une avancée vers les territoires de l’Ouest dans un cadre désordonné, et mettre en place, en même temps que cette avancée, des facilités éducatives. Les pères fondateurs, tel Jefferson, considèrent l’éducation comme nécessaire à la préservation de la démocratie :

“I think by far the most important bill is that for the diffusion of knowledge. … No other sure foundation can be devised for the preservation of freedom and happiness. … Preach, my dear sir, a crusade against ignorance; establish and improve the law for educating the common people. Let our countrymen know that the tax that will be paid for this purpose is not more than one part of what will be paid to kings, priests and nobles who will rise up among us if we keep our people ignorant.” Thomas Jefferson (15)

En1862, la même année que le Homestead Act (attribution de terres gratuites aux familles à l’Ouest), le Morrill Land Grant Act transfère des terres de l’État fédéral aux États locaux dans le but de créer des collèges (établissements d’enseignement supérieur, voir annexe I sur le système éducatif américain), afin d’enseigner les techniques et les arts.

Les États-Unis ont connu lors des deux derniers siècles trois grandes transformations de leur système éducatif : la première concerne l’école primaire (common school ou grade school) et date du milieu du XIXe, l’équivalent des effets de la loi Guizot et des lois Ferry en France ; la seconde est la multiplication des écoles secondaires publiques (public high schools) dans l’entre-deux-guerres ; la troisième concerne l’enseignement supérieur après 1945 (colleges et universités), dans le cadre du GI Bill of Rights (cf. infra).

On peut ajouter le programme Head Start (Longueur d’avance), inspiré du GI Bill, sous l’administration Lyndon Johnson dans les années soixante : il s’agissait de donner une pré-éducation aux enfants des familles pauvres et défavorisées, afin de mieux les préparer à l’école primaire. Un programme qui a largement réussi, comme le note Peter Drucker, pour les mêmes raisons que le bill :

Head Start pays independent and locally managed organizations to teach disadvantaged preschool children. None of the programs government itself has run had results… In other words, we are beginning to apply to elementary education what we learned forty years ago from the GI Bill of Rights with respect to higher education. Government sets the rules, government sets the standards, government provides. But government does not do.”

Le High School Movement

La première école publique secondaire remonte en Amérique à 1635 (Boston Latin (16)) mais le mouvement du secondaire ne prend vraiment son essor qu’à la fin du XIXe siècle (voir graphique 1). La scolarisation dans le secondaire (high schools) est passée de 10 % de la population des 14-17 ans en 1910, à 45 % en 1930, 70 % en 1940 et 90 % en 1970 (Goldin, 1998). L’augmentation de la scolarisation est particulièrement forte dans les années 1910 à 1940, sauf dans les États du Sud, une évolution connue sous le nom de « High School Movement », unique au monde pour cette période :

« Un changement éducatif majeur et unique se répandit à travers la plus grande partie des États-Unis entre 1910 et 1940, un mouvement parti de la base, émanant de la population (grass-root movement), aidé par les législations locales et les associations éducatives. … Entre 1910 et 1940, les États-Unis prirent une avance considérable sur les autres nations industrialisées à la fois pour l’éducation et le Revenu : America had graduated from high school. Les gens dans pratiquement aucun autre pays ne l’avaient fait. » (Goldin, 1998).

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Graphique 1  Taux de scolarisation et de graduation* dans le secondaire, USA, 1890-1970

*Le terme graduation désigne l’obtention d’un diplôme de fin d’études, l’équivalent du baccalauréat dans le cas du secondaire.

Source : Goldin, 1998

Curieusement, ce sont les États agricoles et miniers qui connaissent les progrès les plus rapides, et non les États urbanisés et industriels du Nord-Est et du Midwest, bien que le mouvement démarre en Nouvelle Angleterre. Goldin trace une Educational Belt, allant du Maine et Massachusetts jusqu’au Far West (Californie, Washington, Oregon) en passant par la Prairie (Indiana, Iowa, Kansas, Nebraska). Les communautés rurales fortes, caractérisées par une grande homogénéité économique, ethnique, religieuse et culturelle sont à l’origine du mouvement. Les écoles sont gratuites et financées par les impôts locaux et les États (tableau 2), et leur expansion a peu à voir avec les autorités fédérales. Jusqu’à aujourd’hui les écoles élémentaires et les high schools ne sont financées qu’à 7 % par des fonds d’origine fédérale. Le ministère de l’Éducation ne date que de 1980 aux États-Unis. Les écoles sont administrées par des Boards élus au niveau des États, qui nomment les enseignants, déterminent les manuels, inspectent les établissements.

Tableau 2  Enseignement primaire et secondaire : part des fonds publics dans l’enseignement (1), part de l’enseignement public dans la scolarisation totale (2),  %

USA France Allemagne Italie Espagne Japon Canada Australie Suède
1 90,8 92,7 75,9 99 89,2 91,7 91,7 75 99,8
2 89 79 94 94 70 89 95 84,1 98

Source : Education at a Glance: OECD Indicators, Paris : OCDE, 2001

Ce mouvement massif de formation secondaire n’a été réalisé dans les autres pays que beaucoup plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale : « La Grande-Bretagne, la France, et même l’Allemagne présentent des taux de scolarisation des 14-19 ans considérablement plus faibles que ceux des États-Unis pour la plus grande partie du XXe siècle » (Goldin, 1998). Au début du XXe siècle, 6,4 % des Américains sortaient diplômés d’une école secondaire, puis 59 % en 1950 et 75 % en 1990 ; en France les proportions étaient de 1,5 % reçus au baccalauréat en 1913, 5 % en 1939, et 50 % en 1990, soit un chiffre proche de la proportion des États-Unis en 1950 (tableau 3). Le tableau 3bis montre les écarts avec la Grande-Bretagne.

Tableau 3  Pourcentages de diplômés du secondaire

France États-Unis
1900  1913    1,5 % 6,4 %
1939  1950 5 %    59 %
1990 50 % 75 %

Source : Zunz, 2000

Tableau 3bis  Taux de scolarisation secondaire

Taux de scolarisation Grande-Bretagne États-Unis
1936-38 : 14 ans                  17 ans 38 %  4 % 14-17 ans  68 %
1960-62 : 17 ans 15 % 85 %

Source : Ringer, 1979

L’enseignement supérieur

Alors que la France crée des grandes écoles dès le XVIIIe siècle (Ponts et chaussées, Mines), et surtout sous Napoléon (Centrale, Polytechnique), les États-Unis restent en retard pour l’enseignement supérieur avant 1860, à l’exception d’écoles militaires comme West Point et Annapolis et de quelques universités. La première est Harvard, fondée en 1636 sur le canevas d’Oxford et Cambridge, d’autres, devenues tout aussi prestigieuses au XXe siècle, datent aussi la période coloniale : Yale (1701), Princeton (1746), University of Pennsylvania (1753), Columbia (1754), Rutgers (1766), Dartmouth (1769) (17).

Après la guerre de Sécession cependant, les universités sont créées en plus grand nombre, avec notamment des départements techniques et scientifiques importants, en liaison avec la recherche des grandes firmes. Le nombre d’étudiants passe de 52 000 en 1870 à 240 000 en 1900, les doctorants de 50 à 6000. Le rôle de l’État fédéral est plus important dans le supérieur, depuis le Morrill Act de 1862.

Le grand tournant dans l’université s’est ainsi produit à la fin du XIXe siècle avec la deuxième révolution industrielle : la science rentre en force dans l’entreprise, la découverte se fait dans des laboratoires de recherche plus que par des artisans astucieux ou des génies isolés, l’équipe scientifique remplace l’entrepreneur-innovateur. Il faut donc former des physiciens, des chimistes, des ingénieurs, des mathématiciens, des biologistes, des agronomes, etc., et c’est l’université nouvelle qui va jouer ce rôle, en introduisant de nouveaux enseignements, en spécialisant davantage et en fragmentant les formations. Le nombre de chimistes employés dans l’industrie est ainsi multiplié par 6 aux États-Unis entre 1900 et 1940, le nombre d’ingénieurs par sept (Goldin et Katz, 1999). Les sciences sociales se développent également, avec la nécessité d’avoir recours à des urbanistes, des démographes, des psychologues, des gestionnaires, statisticiens et autres économistes et sociologues dans une société de plus en plus complexe.

Entre 1890 et 1910, l’université traditionnelle, où on enseigne surtout l’histoire, la théologie, la philosophie, les langues mortes, est totalement révolutionnée avec l’introduction d’une hyperspécialisation scientifique et technique. L’université, qui était seulement un lieu d’enseignement, devient également un centre de recherche. La première dans ce cas est la Johns Hopkins University, fondée en 1876. La scolarisation fait un bond énorme dans la même période, passant de moins de 5 % de la tranche d’âge pour les étudiants en 1890 à 25 % en 1950 et 60 % en 1970 (voir graphique 2).

graphique-2

Graphique 2  Étudiants dans le supérieur (cycles de 2 à 4 ans) aux États-Unis en proportion des 18-21 ans

Source : Goldin et Katz, 1999

La poussée du nombre de diplômés du secondaire dans la première partie du siècle favorise également le développement de l’enseignement supérieur, nombre des « gradués » du secondaire voudront en effet poursuivre leurs études. Si on ajoute à cela l’effet du GI Bill on comprend l’essor du système universitaire après la guerre. Le développement du secteur public, moins cher, facilite également les inscriptions. En 1934, il coûtait 61 dollars pour s’inscrire dans un collège public (753 dollars de 1997), contre $265 dans un établissement privé ($3272 de 1997, voir Goldin et Katz, 1999).

Au total, les résultats des progrès éducatifs, du primaire au supérieur, peuvent être illustrés à travers les données suivantes sur l’évolution du nombre d’illettrés dans la population totale et dans la population noire, et sur l’accroissement du taux de scolarisation depuis le XIXe siècle.

 

Tableau 4  Analphabétisme aux États-Unis (chez les plus de 14 ans) et taux de scolarisation des 5-19 ans

  1870 1900 1940 1990
Illettrés 20 % 11 % 3 % 0,5 %
Illettrés (Noirs) 80 % 44 % 11 % 1 %
Taux de scolar. 47 % (1850) 59 % (1910) 79 % (1950) 93 %

Source : White, 1996

 

 

 III Le GI Bill, “Magic carpet to the middle class”

Roosevelt disait que ceux qui avaient enduré la dépression et qui s’étaient ensuite battus dans la Deuxième Guerre mondiale, avaient un rendez-vous avec le destin. Leur guerre n’était pas une guerre à visées impériales, ni même pour sauver la démocratie dans le monde, mais plutôt, comme on le disait alors, « for Mom, apple pie, and the girl next door » :

« It was a war fought for the ordinary things of life, work, and family, which are, ultimately, the only thing worth dying for because they’re the only things worth living for. » (Bennett, 1996)

Mais ce rendez-vous avec le destin, FDR ne le voyait pas dans l’après-guerre, à travers une simple loi permettant d’aménager leur retour dans de bonnes conditions, c’est pourtant à ce moment crucial, à la fin des années quarante, que l’Amérique, puis le reste du monde, vont s’engager vers de nouvelles voies. Le GI Bill a facilité cette évolution. Pour de nombreux auteurs, il a été le moteur d’une révolution silencieuse, il a fait l’Amérique moderne, plus encore que le fordisme ou le New Deal, en permettant l’essor des classes moyennes, et il montre, selon Bennett, que « parfois la démocratie marche, que miraculeusement le pire des systèmes à l’exception de tous les autres peut produire les meilleurs résultats. »

Antécédents historiques

Dès la fin de la Première Guerre mondiale, des dispositifs comme le Rehabilitation Act de 1919 avaient tenu compte du fait que le conflit empêchait de jeunes hommes de se former, en établissant des facilités éducatives pour les soldats, mais rien de comparable à l’ampleur du GI Bill of Rights de 1944, qui fournissait la possibilité d’une éducation supérieure gratuite, en plus d’indemnités de chômage, de garanties étatiques pour l’acquisition de maisons, de fermes ou le lancement de petites entreprises. Cette législation a continué à se développer et à se perfectionner depuis, notamment lors des conflits de Corée et du Vietnam, de même qu’à l’occasion des guerres plus récentes et actuelles, en Somalie, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak (voir annexe VIII). Les bénéfices retirés du système constituent aujourd’hui un élément important dans la décision des jeunes recrues de s’engager dans l’armée américaine.

Mais jusqu’à ce bill de 1944, les États-Unis ont toujours eu du mal avec leurs anciens combattants, même si les pères pèlerins, arrivés avec le Mayfower, prévoient déjà en 1636 d’aider leurs soldats :

“If any person shall be sent forth as a soldier and shall return maimed he shall be maintained competently by the Colony during his life.”

Plus tard, ceux de la guerre contre l’Angleterre sont si mal traités, une fois l’indépendance obtenue, qu’une révolte, lancée par le capitaine Daniel Shays (Shays’ Rebellion), doit être écrasée par les troupes régulières, en 1787. Les demandes des vétérans ne seront satisfaites que trente ans plus tard, en 1817. Après la guerre civile de 1861-65, les anciens soldats nordistes s’organisent en un lobby puissant, the Grand Army of the Republic, et obtiennent des pensions qui vont grever le budget de l’État fédéral pour longtemps : vers 1883, un million de survivants sur les 2,2 qui ont servi reçoivent 150 millions de dollars par an sur un budget fédéral total de 386 millions… Le souvenir de ce poids énorme explique la faiblesse des mesures prises pour les vétérans du conflit suivant, la Première Guerre mondiale, ils ne reçoivent que 60 dollars à leur départ de l’armée, en tout et pour tout, plus la promesse d’un bonus de 700 dollars à payer dans 25 ans, en 1944… Quinze ans plus tard, pendant la crise de 29, sans ressources, les vétérans organisent une marche sur la capitale pour réclamer un paiement anticipé et campent pendant des semaines près du Congrès. Ils seront dispersés par l’armée en 1932, le président Herbert Hoover refusant toute négociation. C’est là qu’on entendra pour la première fois les noms de Douglas McArthur, le général chargé de la répression, et des majors Ike Eisenhower et George S. Patton, ses seconds. Le paiement sera finalement autorisé en 1936 par le Congrès, malgré le veto de Roosevelt.

Après leur engagement en 1917, les États-Unis avaient pris des mesures politiques très sévères : des centaines de manifestants opposés à la guerre sont jetés en prison, ainsi qu’Eugene Debs, le candidat marxiste à l’élection présidentielle de 1912, des journaux sont interdits, l’espionnage des voisins est encouragé. Des décisions plus étonnantes sont prises comme l’interdiction de jouer Mozart et Beethoven dans les écoles, le changement de nom de la choucroute (Sauerkraut) qui devient le liberty cabbage (chou de la liberté (18)), le chef d’orchestre du Boston Symphony est arrêté pour avoir refusé de jouer le Star-Spangled Banner (une chanson qui n’est devenue l’hymne national qu’en 1931 !)… Le pays, en proie à une immigration massive depuis vingt ans (19), avec une population énorme ne parlant même pas l’anglais, subit une véritable dépression nerveuse (« national nervous breakdown »), à laquelle s’ajoute la Red Scare (peur des rouges) liée à la révolution de 1917, qui va durer jusqu’en 1922 (38 personnes sont tuées à Wall Street par une bombe, en 1920, et des centaines blessées à l’apogée de cette agitation). Le syndicat marxiste IWW s’était opposé à la conscription (20) : “Capitalists of the World, we will fight against you, not for you. Conscription! There is not a power on earth that can make the working class fight if they refuse.” Le président Woodrow Wilson avait prévu tout cela dès la déclaration de guerre :

“Once lead this people into war and they’ll forget there ever was such a thing as tolerance. To fight, you must be brutal and ruthless, and the spirit of ruthless brutality will enter into the very fiber of your national life, infecting Congress, the courts, the policeman on the beat, the man in the street.” (cité par Bennett, 1996).

Cependant en 1920, un progrès démocratique essentiel est introduit, le vote des femmes, à travers le 19ème amendement à la Constitution. Le 20ème, prohibition de l’alcool, est voté la même année. Il s’agit de deux symboles du leadership des white upper-middle-class native born Americans and Anglo-Saxon Protestants, les WASP de la classe moyenne supérieure nés dans le pays, et pratiquement seule jusque-là représentée dans les universités.

Contexte économique

Si le GI Bill a facilité par la suite la mise en place d’une société de consommation, faite de classes moyennes vivant dans des banlieues agréables (suburbia), d’une société éduquée permettant l’essor de l’économie de la connaissance, d’un processus d’intégration des Noirs et de démocratisation de l’enseignement supérieur, ses objectifs n’étaient pas au départ ceux-là. Il s’agissait avant tout de parer à un problème économique majeur, le retour des soldats démobilisés, et en même temps d’éviter une injustice envers ceux qui s’étaient battus : le fait que leurs années au combat, leur absence de formation civile, ne soient un obstacle à l’emploi.

Les autorités étaient affolées avec le retour sur le marché du travail de ces millions de Gis (21). « They were scared stiff » (Elles étaient raides de peur), dit une journaliste, Edith Efron, à propos des hommes politiques, devant une telle perspective. La population active était de 65 millions de personnes en 1945, dont 20 millions de femmes. Seulement 2,5 millions d’entre elles abandonnèrent leur emploi entre 1945 et 1947.

Il y avait quatre millions de soldats américains dans la Première Guerre mondiale (22), mais seize millions dans la seconde, et douze millions encore sous les armes quand le Japon a capitulé, en août 1945. À la fin de l’année 1946, trois millions étaient encore sous les armes, en 1948, 545 000. En 1945-46, le contexte économique et social dans lequel vont revenir les soldats semble plutôt défavorable, les grèves longtemps retenues par l’enjeu de la guerre éclatent dans les mines, l’automobile (de décembre 1945 à mars 1946 à GM), la sidérurgie, les chemins de fer, les industries électriques, etc., d’autant que le partage travail/capital a surtout profité au second depuis l941 (« High profits for the few and poverty and insecurity for the many », selon les syndicats). La concentration du pouvoir économique a rarement été aussi forte : dix grandes corporations avaient reçu par exemple un tiers des contrats de l’État pour le matériel de l’effort de guerre.

La paix arrivée, le 8 mai 1945 en Allemagne, le 14 août dans le Pacifique, on s’attend à un taux de chômage de 20 à 25 % (12 à 15 millions de chômeurs) avec le retour des vétérans (est. Labor Dept.). Certains s’inquiètent de l’arrivée d’une autre dépression, après le tarissement des commandes de guerre. D’autres ironisent sur le fait « qu’on peut transformer un citoyen en soldat avec un manuel militaire et un adjudant, mais que le manuel pour transformer un soldat en citoyen n’a pas été écrit ». Les problèmes logistiques et le manque de transports pour rapatrier les millions de soldats donneront lieu à des cafouillages et des retards énormes. Certains GIs sont expédiés à Rio avec le corps expéditionnaire brésilien à partir de Naples, on leur assure qu’il ne s’agit que d’une escale avant New York, et finalement le bateau revient sur Marseille ! Selon un pasteur de l’armée en Allemagne, les soldats avaient seulement trois idées en tête : 1) Trouver une femme allemande pour coucher avec elle ; 2) acheter ou voler une bouteille de cognac et se saouler à mort, et 3) go home… Les protestations se font de plus en plus véhémentes devant les retards, allant jusqu’à des émeutes de GIs à Francfort, Yokohama, Tokyo, Manille, Paris ou le Havre (23)… Le moment le plus difficile dura de mai à août, quand le Japon était toujours en guerre, avec les craintes des soldats en Europe de ne faire que transiter aux États-Unis pour aller se battre dans le Pacifique :

« Pourquoi est-ce qu’on devrait servir sur deux fronts différents, disaient-ils, quand il y en a tellement qui n’ont jamais servi sur un seul ? »

Un soldat écrit à son représentant au Congrès :

“You put us in the military, and you cannot get us out. Either demobilize us or, when given the next shot at the ballot box, we will demobilize you.”

Cependant, à partir de mai 1945, 6000 soldats par jour sont démobilisés dans les ports américains, et à la mi-septembre, on en comptait 25 000 par jour. En dix mois, la plupart furent ainsi rapatriés. Jamais le pays n’avait été engagé aussi largement, des fronts de l’Afrique et de l’Europe à ceux du Pacifique, jamais une mutation économique d’une si grande ampleur n’avait dû être affrontée. La fin des vingt ans de guerre entre l’Angleterre et la France aux temps de la République et de l’Empire, en 1815, avait provoqué au Royaume Uni une crise majeure, coïncidant avec la fin de la première révolution industrielle, et on était encore en 1944 sur le souvenir de la grande dépression des années trente. Celle-ci avait duré douze ans, du 23 octobre 1929 (Jeudi noir) au 7 décembre 1941 (Pearl Harbor), mais depuis, la reprise avait été fabuleuse : en trois ans et demi, jusqu’à la reddition du Japon, le plein emploi avait été retrouvé. Le PIB de 1945 s’élevait à 213 milliards de dollars, contre 90 en 1939… Cependant peu de gens envisageaient alors que les décennies à venir seraient celles des trente glorieuses.

Avec le GI Bill, il s’agissait de créer une sorte de niche éducative où on pourrait mettre provisoirement des millions de personnes sans emploi, en attendant que l’économie se recycle du matériel militaire vers les biens courants, des sabres aux socs de charrue, des mitrailleuses aux machines à laver (from swords to ploughshares, from machine guns to Maytags…).

Les prévisions catastrophistes ont été démenties par les faits : le taux de chômage, de 1,9 % en 1945, le plus bas de toute l’histoire du pays (24) (contre 15 % encore en 1940), s’est élevé seulement à 4 % de 1946 à 1948, et 5,5 % en 1949, année de récession. En 1945 l’emploi civil s’élevait à 54 millions de personnes, il atteignait 57 en 1946 et 61 en 1947, au même moment où douze millions de soldats étaient démobilisés. Le GI Bill permit d’absorber en douceur tous ces vétérans dans l’économie, environ la moitié dans des programmes éducatifs, et l’autre moitié (et parfois les mêmes, mais à des moments différents) dans le cadre de l’aide au chômage prévue (20 dollars par semaine durant 4 ans et 4 mois).

Origine du bill

En mars 1943, l’organisme de planification fondé par le New Deal, le NRPB (National Resources Planning Board) avait proposé de mettre en place un système global de sécurité sociale, du berceau à la tombe, comparable à celui proposé par le rapport Beveridge en Angleterre. Mais à la différence de celle-ci, où le rapport conduisit à la victoire des travaillistes en 1945 et à son adoption, le projet du NRPB suscita une levée de boucliers au Congrès et conduisit à la disparition de cet organisme dès l’été 1943…

La même année, alors que la guerre semblait s’orienter vers une inéluctable victoire, Franklin Roosevelt avait nommé une commission pour étudier les conséquences de la démobilisation. Celle-ci, la PMC (Post-War Manpower Commission), dont l’importance était « second only to winning the war » estima à 64 millions la population active employée et établit une prévision de seulement 57 millions la paix revenue, et le chômage de 8 à 9 millions de vétérans.

Mais au printemps 1943 la Maison Blanche n’avait à proposer pour les vétérans qu’un plan de formation professionnelle d’un an pour tous, trois mois de prise en charge, et trois ans de collège pour un petit nombre de vétérans sévèrement sélectionnés. Les blessés et handicapés de guerre, déjà de retour par centaines de milliers, démobilisés sans aide et sans argent, n’avaient souvent d’autres ressources que la mendicité (« the legion of the disabled, who had come home in mid-war to delay, neglect and desillusion » Camelon). Un dirigeant de la Légion, Warren Atherton, prévient ainsi le Congrès : « Je ne voudrais pas affronter la colère de onze millions de vétérans après cette guerre, si notre façon de traiter leurs handicapés aura été aussi misérable, indifférente et laxiste que ce qui vient de se passer depuis deux ans ». Sous la pression des organisations de vétérans, l’opposition commençait à contester le gouvernement sur ce point, ainsi que les syndicats (25), et Roosevelt réagit lors de l’une de ses causeries au coin du feu (Fireside Chats) en juillet 1943, intitulée Premier craquement de l’Axe :

« Bien que nous soyons concentrés sur la victoire militaire, nous ne négligeons pas la préparation des événements à venir… Entre autres les plans pour le retour à la vie civile de nos vaillants (gallant) hommes et femmes dans les forces armées. Ils ne doivent pas être démobilisés dans un contexte d’inflation et de chômage, vers une place dans une queue de soupe populaire (bread line) ou à un carrefour à vendre des pommes. Nous devons, cette fois, avoir des mesures prêtes, au lieu d’attendre et mettre en place à la dernière minute une solution à la hâte, insuffisante et mal adaptée. »

La vente de pommes dans la rue était restée une image forte de la crise de 29 : nombre de cadres aisés s’étaient retrouvés du jour au lendemain dans cette situation, avec un taux de chômage d’un quart de la population en 1932-33.

Un premier pas est fait avec le Veteran’s Rehabilitation Bill (juillet 1943) qui prévoyait pour les soldats handicapés une formation spéciale, séparée des civils, avec une durée allant jusqu’à quatre ans et une bourse mensuelle. Beaucoup d’opposition au Congrès subsistait cependant, à droite et à gauche, devant l’idée de fournir des aides aux vétérans distinctes de celles des autres citoyens. Un représentant conservateur s’écrie par exemple :

“America’s boys didn’t go to war for money – for dollars. They went out of patriotism. And America is grateful. Why, when a boy dies, America gives him a flag to drape over his coffin.”

Le drapeau était donc pour ce député la seule récompense que les vétérans pouvaient attendre… À gauche au contraire, parmi les rooseveltiens, les acteurs du New Deal, il s’agissait d’étendre les avantages conférés aux vétérans à toute la population, mettre en place une éducation supérieure gratuite et une sécurité sociale universelle, comme la Grande-Bretagne et la France allaient le faire après la guerre. Le président ne les soutiendra pas cependant et les progressistes (liberals) regretteront toujours cette occasion manquée de mettre en place aux États-Unis un système éducatif et un État-providence universel à l’européenne (voir annexe V, sur les positions de gauche). C’est finalement une voie moyenne entre ces deux-là qui fut votée, le GI Bill (26).

La bataille politique (le rôle des groupes de pression, des Partis, de la presse, de l’opinion publique, les propositions contradictoires (27), etc.) pour faire passer le bill au Congrès et le faire signer par le Président dura environ six mois, de janvier à juin 1944, et elle est relatée par Bennett dans toute sa complexité (ch. 5 et 6) : « The fight over the bill was becoming Balkan in complexity » (p. 144). Certains s’y opposent farouchement, préférant consacrer l’argent de l’État aux seuls blessés et handicapés, refusant de prendre une décision précipitée pouvant grever pour longtemps le budget, comme cela avait été le cas des décennies après la guerre de Sécession, un autre exemple de « Act in haste and repent in leisure »… Finalement le bil

l passe à la Chambre des représentants 6 jours après le débarquement de Normandie, puis le lendemain au Sénat, et il est ratifié par le Président Roosevelt le 22 juin 1944. La formation de l’American Legion en 1919 par un autre Roosevelt avait en fin de compte porté ses fruits.

Les acteurs du GI Bill

William Randolph Hearst (1863-1955)

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Magnat de la presse (Chicago Examiner, SF Examiner, NY Journal, Wash. Times, Harper’s Bazaar, Boston American, Cosmopolitan, International News Service, etc.), une des plus flamboyantes figures de l’Amérique du XXe siècle, isolationniste acharné, opposé à la SDN, à la Cour internationale de Justice et à l’UNRRA (origine des NU), politicien faiseur de présidents (Th. Roosevelt, FDR), à l’origine de la guerre de 1898 contre l’Espagne, modèle du célèbre film d’Orson Welles, Citizen Kane (1941), Hearst s’oppose à l’autre tycoon de la presse, Henry Luce (Time-Life) qui lance pendant la guerre l’idée de Siècle américain, où les États-Unis ne devraient pas avoir honte de prendre le leadership mondial après la guerre et défendre la démocratie.

Walter Howey et David Camelon, journalistes vedettes de l’empire Hearst, qui menèrent une campagne acharnée en faveur des vétérans. Ils sont menacés par un Représentant hostile au bill de façon violente, ce qui provoque un scandale dans la presse. Hearst prend l’affaire à cœur et s’engage à fond dans la campagne.


Joel Bennett ‘Champ’ Clark
(1890-1954)

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Sénateur démocrate du Missouri, concurrent politique de Truman, vétéran de la Grande Guerre, un des fondateurs de l’American Legion, opposé à l’entrée en guerre en 1940-41 (il demande un référendum), un des plus habiles politicien de son temps, notamment pour faire avancer un projet de loi, ce qu’il fera pour le GI Bill. Il l’introduit devant le Sénat le 10 janvier 1944, il faudra six mois pour qu’il soit voté et ratifié.

John Elliott Rankin (1882-1960), un autre brillant tacticien politique, Représentant à la Chambre, démocrate ultraconservateur, ségrégationniste du Sud, bigot et démagogue, persuadé d’un complot judéo-communiste contre les États-Unis… Mais aussi participant actif au New Deal et à la TVA, acteur de l’électrification du Sud, défenseur des vétérans et promoteur efficace du GI Bill. Rankin venait d’un État désespérément pauvre à l’époque, le Mississipi, où moins d’un tiers des enfants allaient à l’école, où la syphilis faisait encore des ravages, de même que les parasitoses, chez les Noirs comme chez les Blancs. Avant la guerre le Sud souffre encore des séquelles de la guerre de Sécession, et il reste pauvre longtemps après, comme s’en plaignent ses politiciens : « Nous n’avons jamais eu de Plan Marshall. »

Pour résoudre le « problème » noir, Rankin voyait quatre solutions : « l’extermination, la déportation, l’intégration et la ségrégation… Il écartait les deux premières comme impraticables, avec une réconfortante magnanimité, l’intégration était exclue aussi, car elle « abâtardirait » la race blanche… Restait comme seule voie la ségrégation, de préférence en Arizona ou au Nouveau Mexique avec un passeport nécessaire pour circuler dans le reste des États-Unis »… (Bennett).

Edith Nourse Rogers (1881-1960), une grande dame aristocratique et progressiste de Nouvelle Angleterre, descendante des pères pèlerins du Mayflower, ardente suffragette avant 1920, l’opposée complète de Rankin, membre de la Chambre des Représentants comme républicaine depuis 1925, réélue constamment à Lowell (Mass.) avec plus de 70 % des voix jusqu’en 1960. Elle prend la défense les juifs contre les persécutions nazies dès 1933, s’oppose à Roosevelt sur leur immigration, soutient l’entrée en guerre des États-Unis. Architecte de la coalition derrière le GI Bill of Rights, elle est aussi une des meilleures manœuvrières au Congrès.

Henry – « Harry » – W. Colmery (1890-1979), juriste républicain du Midwest, vétéran de la Grande Guerre, il est élu National Commander de l’American Legion en 1936. C’est lui qui rédige le texte qui deviendra le GI Bill, dans une chambre d’hôtel à Washington, entre Noël et le jour de l’an, à la fin 1943, six mois avant le débarquement. En présentant au Congrès le contenu du projet, le 6 janvier 1944, Colmery défend l’idée que “the burden of war falls on the citizen soldier who has gone forth, overnight, to become the armored hope of humanity. Never again, do we want to see the honor and glory of our nation fade to the extent that her men of arms, with despondent heart and palsied limb, totter from door to door, bowing their souls to the frozen bosom of reluctant charity. … The American Legion proposed this bill first because we believed it to be the duty, the responsibility and the desire of our grateful people to see to it that those who served actively in the armed forces in this war should not be penalized as a result of war service, but also that upon their return, they should be aided in reaching that position which they might normally have expected had the war not interrupted their careers.” Et il rappelle aux Représentants les risques d’un coup d’État militaire : “After the last war, except for England, this is the only country where men who wore uniforms did not overthrow the government on either side of that conflict.”

L’American Legion est une association d’anciens combattants fondée en février 1919 à Paris, par Theodore Roosevelt Jr, le fils de l’ancien président, colonel à l’époque, qui s’était illustré sur le front. Elle devient dans les années vingt et trente une immense organisation, implantée partout aux États-Unis, agissant dans les domaines politiques et sociaux, avec la philosophie simple : « The community takes care of its own ». Certains la considèrent comme “the most powerful lobby in America“. Ses offices également les rares endroits, pendant la Prohibition, où la bière et le bourbon pouvaient être consommés sans problème… Un incident sanglant lors d’une manifestation et d’une grève des Wobblies (membres de l’IWW) fait cinq morts à Centralia (État de Washington, sur la côte pacifique) en novembre 1919, dont quatre membres de la Légion, ce qui la marquera d’une image conservatrice, « unprogressive » et « antilabor ». Thorstein Veblen en parle comme d’un organisme voué à perpétuer dans le pays « une mentalité puérile de Boy Scouts » (article dans The Freeman, 21 juin 1922). L’agitation sociale est extrême dans le pays à cette époque, certains ouvriers et soldats se constituant même en conseils, sur le modèle des soviets russes à la même époque : Soldiers’ and Sailors’ Councils.

Pendant la 2ème guerre, FDR demande s’il peut en faire partie, on lui répond que non : « being commander in chief didn’t qualify him as a veteran ». Les vétérans de la Première Guerre mondiale ont poussé le GI Bill, pour leurs enfants, neveux, nièces, etc., pour ne pas répéter les erreurs des années 1918-20 où la prise en charge avait été misérable, où les soldats démobilisés avaient été abandonnés à une charité réticente : « La légion savait qu’on ne pouvait manger les médailles ni les rubans ».

Ainsi les artisans et les partisans du bill n’étaient pas des rooseveltiens, des hommes du New Deal, ni les intellectuels ou les présidents d’universités, bon nombre y étaient d’ailleurs opposés, comme aussi les conservateurs. Robert Hutchins, le président de l’université de Chicago, annonce par exemple que les facultés vont se transformer en jungles pour déclassés, il avertit que l’éducation n’est pas un moyen de lutter contre le chômage de masse :

Colleges and Universities will find themselves converted into educational hobo jungles. And veterans, unable to get work and equally unable to resist pudding pressure on the colleges and universities, will find themselves educational hobos…. Education is not a device for coping with mass unemployment.” (décembre 1944)

Les préoccupations étaient générales : comment les collèges pouvaient accueillir des vétérans mariés, est-ce qu’on n’allait pas dégrader le niveau, avec une invasion des étudiants les moins capables, n’y avait-il pas un risque de professionnalisation des universités, transformées en agences pour l’emploi pour les entreprises, etc. La plupart des opposants au bill craignent aussi une emprise trop grande du gouvernement fédéral sur l’éducation, contraire aux traditions du pays (les libertariens continuent à défendre cette position, voir DiLorenzo, 1997, et annexe IV), comme le dit un représentant des universités :

This exension of bureaucratic control over any education within the realm of state activities is a principle which has been ruled out by tradition as well as court decisions since the establishment of this Nation.”

Mais les partisans du bill, une coalition hétéroclite liée à une association active de vétérans de la Grande Guerre, ni de droite ni de gauche, ni démocrate ni républicaine, surent faire valoir leurs arguments. C’est cette « coalition middle-of-the-road, qui produisit une middle-class nation » (Bennett, 1996).

Dispositions et coût

Contrairement à toutes les organisations créées sous le New Deal, ou au système de sécurité sociale britannique de la même époque, le gouvernement américain se contente d’inciter, de réguler et de financer, mais il laisse faire les acteurs, selon la formule de Peter Drucker :

“The GI Bill would create a new – and largely unrecognized – mechanism through which the government would regulate and provide but not do.”

Le GI Bill fournissait quatre avantages principaux aux soldats démobilisés, les trois premiers gérés par l’État fédéral :

– L’éducation et la formation gratuites, à des conditions très larges, plus une bourse pour suivre les études de leur choix dans l’établissement de leur choix. Il concernait aussi bien les universités ou les collèges que les high schools.

– La garantie des emprunts par l’État pour l’achat de logements, de fermes ou d’affaires.

– Une indemnité de chômage de vingt dollars par semaine jusqu’à 52 semaines, dispositif connu sous le nom de « Club 52-20 ».

– Une aide dans la recherche de travail.

Environ 9 millions de vétérans reçurent près de 4 milliards de dollars en allocations de chômage entre 1944 et 1949, tandis que dix millions bénéfièrent de formations diverses jusqu’en 1956. Les prêts garantis s’étaient élevés à 50 milliards de dollars en 1962.

Les sommes sont attribuées aux individus et aux institutions d’enseignement, la gestion du système est assurée par l’Administration des vétérans (équivalent du ministère des Anciens Combattants). La majorité des ex-soldats suivront des formations professionnelles dans l’entreprise, stages, formations techniques, dans le cadre de la loi, plutôt que des études académiques dans les collèges, la répartition des formations du premier GI Bill a été la suivante :

– 2 230 000 de vétérans allèrent dans les collèges ;

– 3 480 000 dans des écoles techniques et commerciales ;

– 1 400 000 dans des stages de formation professionnelle ;

– 690 000 dans des formations agricoles.

Le système a été répété pour la guerre de Corée (juin 1950-janvier 53) et celle du Vietnam (1964-1975). Les deux premiers GI Bills, qui se suivent d’assez près, celui de la Deuxième Guerre mondiale et celui de la Corée, ont été qualifiés de « plan Marshall intérieur » : environ 70 % de tous les hommes qui atteignirent 21 ans entre 1940 et 1955 ont eu leurs études financées dans ce cadre. L’énorme majorité des vétérans rentrait dans les conditions pour obtenir au moins trois ans de formation supérieure (28). Comme le relate un soldat :

« Et, bon, le GI Bill vous donnait un mois de formation à l’université ou au collège pour chaque mois que vous aviez passé dans l’armée. J’avais donc jusqu’à quatre ans. Tel qu’il avait été passé en 1944, le bill s’appliquait d’office aux vétérans qui avaient servi plus de 90 jours et qui n’avaient pas plus de 25 ans au moment de leur mobilisation. La formation ne pouvait dépasser quatre ans. Pour les vétérans de plus de 25 ans, il fallait prouver que l’éducation qu’on avait reçue avait été interrompue ou empêchée par la guerre. » (cité par Bennett, 1996)

On estime à 75 % le nombre des jeunes hommes mobilisés entre 1941 et 1945 aux États-Unis (ceux qui ne l’avaient pas été souffraient d’un handicap quelconque). En 1960, sur le stock cumulé des hommes dotés aux États-Unis d’une formation supérieure, près de un sur cinq avait bénéficié du système.

Les versements allaient d’un minimum d’un an d’études à quatre ans, selon la durée du service armé et l’âge du bénéficiaire. Ils s’élevaient à 500 dollars par an pour les établissements et 65 dollars par mois pour les vétérans célibataires, 90 à 120 dollars pour ceux qui étaient mariés selon le nombre d’enfants. Ces allocations étaient généreuses, surtout en 1944 : Stanley (2003) estime à 60 % la prise en charge du coût total de la vie et des études universitaires pour un bénéficiaire dans le cas de la Deuxième Guerre mondiale, et 50 % pour le conflit coréen. Le salaire médian était aux États-Unis de 130 dollars en 1947 dans la tranche des 20-24 ans. Les étudiants pouvaient ainsi recevoir jusqu’à 1440 dollars par an, en plus des frais d’inscription. Cela représente en dollars 1994 une somme annuelle de 11 856, soit par mois l’équivalent de notre SMIC (environ 6000F).

Le GI Bill coréen a été passé en juin 1952, moins généreux (les bénéficiaires doivent payer les frais d’inscription avec le montant de leur bourse, ce qui favorisa les collèges publics (29)), il suscita néanmoins également une forte réaction positive : 2 millions de soldats sur 5,7 l’utilisèrent, dont la moitié dans le supérieur. Les paiements mensuels s’élevaient à 110-135 dollars. Ils seront de 205-230 dollars pour la guerre du Vietnam.

En plus des bourses individuelles, les coûts d’éducation pris en charge contenaient les frais d’inscription aux universités (tuition), les frais des labos (lab fees), les livres, les assurances sociales et les fournitures. Le gouvernement fédéral aura dépensé 7 milliards en 1952 pour financer le bill, soit 40 milliards en dollars de 1994, et 1,5 % des dépenses publiques de l’époque.

Des études coûts/bénéfices ont été réalisées sur le GI Bill, l’une d’elles, menée par une commission spéciale du Congrès, évalue la dépense totale pour l’État fédéral en 1952 à 14 milliards de dollars répartie sur 7,8 millions de vétérans, dont 7 milliards dans les collèges et universités. Le supplément de PIB résultant du GI Bill et des formations dispensées a été estimé à 35,6 milliards sur les 35 années suivant 1952, le gain en recettes fiscales à 12,8 milliards. Le tableau suivant montre que chaque dollar investi à la fin des années 1940 aurait rapporté sept fois plus au pays.

 

Tableau 5  Retour sur investissement du GI Bill of Rights

En dollars 1952 en dollars 1994
Coût total pour envoyer les GIs à l’université $7 milliards 38,7 milliards
Produit économique additionnel dû à une éducation élargie $35,6 milliards 196,7 milliards
Recettes fiscales fédérales supplémentaires $12,8 milliards 70,7 milliards
Gains totaux $48,4 milliards 267,4 milliards
Gain pour chaque dollar investi $ 7

Source : “A Cost-Benefit Analysis of Government Investment in Post-Secondary Education Under the World War II GI Bill”, Subcommittee on Education and Health of the Joint Economic Committee, December 14, 1988 and Labor Institute and Public Health Institute, Corporate Power and the American Dream: Toward an Economic Agenda for Working People. New York: The Apex Press, 1997

Inscriptions universitaires

Le GI Bill a entraîné, selon Burrell (1967), « la plus importante transformation éducative et sociale dans l’histoire des États-Unis ». Le nombre des inscriptions universitaires passe de 1,3 million en 1939 à 2 millions en 1946. Les inscriptions aux collèges doublent entre la rentrée 1945 et la rentrée 1946, et en 1947 elles sont 70 % plus élevées qu’avant la guerre. Dans les années trente, les collèges formaient 160 000 étudiants tous les ans (graduates), il y en avait 500 000 en 1950. Sur 16 millions de soldats engagés dans la Deuxième Guerre mondiale (30), près de la moitié recevront des bénéfices éducatifs, quoique une minorité seulement dans le supérieur : un vétéran sur sept, soit 2,2 millions, va étudier dans un collège sous le GI Bill. Un an après la victoire, les vétérans représentaient 70 % de la population masculine des collèges et universités (voir Olson, 1974 ; Kiester, 1994).

À la fin 1946, onze millions de vétérans avaient réintégré la vie civile, 70 % avaient un emploi, la plupart différent de celui qu’ils avaient avant-guerre, près d’un million étaient à l’école, un autre million étaient payés dans des emplois ou des formations rurales, 400 000 étaient en stage dans des entreprises et 300 000 avaient été aidés à lancer des affaires.

Le tableau 6 montre l’importance des vétérans après-guerre dans les universités. Les pourcentages continueront naturellement à baisser après 1948 : en 1949, on était passé à 34 %, 25 % en 1950 puis 19 % en 1951, 11 % en 1952, 6 % en 1953. Sur un total de 2,3 millions de vétérans qui allèrent au collège après la guerre, 65 000, soit 3 %, étaient des femmes. Cependant, en 1945, on comptait 55 % de filles dans les inscrits des collèges, du fait de la guerre, contre 33 % en 1939. En 1946, avec l’arrivée massive des soldats, ce chiffre tombait à 40 %, bien au-dessus cependant qu’avant-guerre. Dans les années cinquante et soixante, la proportion de filles passait à 45 %, dans les années 1990 à plus de cinquante pour cent.

Tableau 6  Inscriptions aux collèges et universités

1945 1946 1947 1948
Inscriptions totales 1 676 856 2 078 095 2 338 226 2 403 396
dont vétérans 88 000 1 013 000 1 150 000 975 000
Proportion de vétérans 5 % 48,7 % 49,2 % 40,5 %

Source : Bennett (1996)

Les inscriptions augmenteront encore de 21 % entre 1950 et 1960, puis de 167 % dans les années soixante. En 1950, 1,7 % de la population totale est étudiante, en 1975 les étudiants en représentaient 5,2 %. Une telle hausse est allée de pair avec l’accroissement de la taille des universités existantes, et la création de nombreux établissements nouveaux (voir tableau 7 et graphiques suivants, et cartes en annexe). Cette expansion a évidemment entraîné un boom de la construction et de multiples créations d’emploi, dans le personnel des universités et tout l’environnement commercial des campus. Un des cas les plus connus de la création de nouvelles universités à la suite du GI Bill est celui de la State University of New York (SUNY), qui va devenir, avec 64 campus, la plus grande université publique du pays. Elle pratiquait la gratuité des inscriptions jusqu’aux années soixante-dix, prolongeant ainsi l’effet de démocratisation du supérieur pour des milliers de gens, jusque-là exclus.

Le mouvement accéléré de création d’universités dans le pays entraîne une meilleure répartition spatiale, comme le montrent les données fournies en annexe, ce qui a favorisé à son tour un élargissement des inscriptions (Hyman, 1986, Kiester, 1994, Adams, 2000) :

« L’offre accrue en institutions d’enseignement universitaire à travers le pays donna naissance à un nombre croissant d’inscrits non-vétérans dans les années cinquante et soixante. En élargissant l’accès des vétérans aux services d’éducation supérieure grâce à des fonds fédéraux, l’accès à l’université a été élargi pour tous les citoyens américains. Ainsi, le GI Bill a facilité une plus grande égalité dans les études aux collèges et conduit à une démocratisation de l’enseignement supérieur. » (Adams, 2000)

Stanley (2003) montre que les GI Bills du milieu du siècle (1945 et Corée) ont accru le nombre total d’années d’éducation supérieure parmi tous les hommes nés entre 1921 et 1933 d’environ 20 %, et que le GI Bill de 1944 a eu un effet plus important pour ceux nés au milieu des années vingt : de 20 à 50 % d’accroissement de l’éducation post-secondaire. Contrairement à la légende du GI Bill, ses effets ressortissent davantage au rattrapage du retard de scolarisation supérieure dû à la guerre – une sorte d’effet de compensation – qu’à une véritable révolution. La tendance générale du siècle est à une croissance de l’éducation supérieure, le GI Bill ne ferait qu’accompagner et favoriser cette évolution :

« Les GI Bills relèvent davantage de l’évolution que de la révolution, les progrès de l’enseignement étaient rapides avant-guerre. Si la forte augmentation des diplômes supérieurs attribués entre 1936 et 1940 s’était poursuivie, ses effets auraient probablement été très semblables aux effets combinés de la guerre et du GI Bill. La voie avait été préparée pour cette législation par les progrès de l’enseignement supérieur dans la première partie du siècle. Les GI Bills ont eu un impact substantiel, mais ils prirent le train d’un trend existant. » (Stanley)

De même pour Goldin et Katz (1999), le GI Bill ne fait qu’amplifier une ascension en cours, puisque le nombre d’étudiants avait déjà été multiplié par trois entre 1910 et 1940.

Tableau 7  Fondation de collèges, par période, 1636-1994

Période Dates Collèges fondés Nombre d’années Moyenne ann.
avant 1861 1636-1774  1775-18191820-1860 14  56319 139  4541 0,1  1,27,8
1861-1943 1861-1929  1930-1943 1281  209 69  14 18,6  14,9
1944-1994 1944-1959  1960-19791980-1994 407  994251 16  2015 25,4  49,716,7
Total 3531 359 9,8

Source : Adams, 2000

graphique-3

Graphique 3  Inscriptions aux collèges, par décennie, 1869-1999

Source : Adams, 2000

graphique-4

Graphique 4  Collèges fondés par année, 1900-1944

Source : Adams, 2000

Intégration raciale, démocratisation

Comme le dira un bénéficiaire du GI Bill, cinquante ans après : « le collège, c’était pour les enfants de profs ou de pasteurs, pour les autres, comme nous, avec des noms comme Tarantini ou Trkula, c’était un rêve éloigné. » (cité par Bennett). Jusqu’à la guerre

« l’Amérique était plus une société à deux classes qu’une société de classes moyennes, une société dominée par les capitalistes et les dirigeants qui possédaient et contrôlaient les moyens de productions, avec de l’autre côté les travailleurs qui les servaient, les prolétaires aliénés, exploités et dépendants, tels que Karl Marx les avait décrits. » (Bennett, 1996)

L’avènement d’une société plus égalitaire, caractérisée par l’omniprésence des classes moyennes, faite d’une masse de salariés en col blanc possédant leur maison dans les banlieues, date de l’après-guerre. Quelques jalons avaient été posés dans cette voie, bien avant le GI Bill, comme le Homestead Act de 1862, quelques facteurs également prédisposaient la société américaine à cette situation, comme l’absence d’aristocratie et de paysannerie au sens européen, le rôle des hommes du commun (décrits par Tocqueville par exemple à la Chambre des Représentants : « des individus obscurs y figurent, même des personnes issues des plus basses couches de la société »), ou encore l’adoption des idées des Lumières, une espèce de « Irrational Lockianism », c’est-à-dire, comme le dit le sociologue Louis Hartz (1955), le fait de se sentir le droit d’être un propriétaire, au milieu des autres, en dépit de toutes les chances allant en sens contraire : « To be American is to be a disciple of John Locke ».

Cette société de classes moyennes trouve en Harry Truman son représentant idéal, à la mort de Franklin Roosevelt, patricien démocrate issu des élites de la côte Est, le 12 avril 1945. Truman est au contraire un ancien fermier, célèbre pour son bon sens et sa confiance en lui, sans formation universitaire, envoyé sur le front en 1917, monté par la suite dans l’appareil du parti et au Congrès, « unsophisticated, tactless, totally lacking in charisma, but also completely confident in his own judgment » (Bennett).

C’est lui, un démocrate social, qui va affronter la recrudescence des grèves et s’opposer directement à John Lewis, le charismatique président du syndicat des mineurs, adoré comme une idole dans le monde ouvrier. Le duel entre les deux hommes se termine à l’avantage du premier, qualifié de « fasciste » et de « labor-hater » par la gauche (31). Truman prend tout le pays à témoin en 1946, et force le syndicaliste à reculer (32). Il était pourtant un liberal, au sens américain, inspirateur du Fair Deal après la guerre, poursuite du New Deal, et opposant à la loi Taft-Hartey de 1948, restreignant les syndicats.

Le GI Bill, qui ne contenait aucune considération de race ou de classe, a permis l’entrée des enfants de la classe ouvrière, des Noirs et d’autres minorités à l’université. Il a entraîné ainsi une démocratisation de l’enseignement supérieur et il a été à l’origine de la campagne pour les droits civiques dans les années soixante, en formant des élites noires qui ont été à la pointe de ces combats. Ainsi, Edward Brooke, premier Noir au Sénat, a suivi des études de Droit dans le cadre du GI Bill. Les luttes des femmes dans les années soixante-dix, celles des handicapés dans les années quatre-vingt lui doivent également. En 1940, seulement 5 % de la population étaient diplômés d’un collège, en 1990 c’est 30 %.

Il s’agit de la première législation sociale color-blind, les bourses et les indemnités de chômage étaient les mêmes pour tous, alors que la pratique de salaires différents selon la race était bien ancrée dans le Sud, maintenue par la coutume et la loi (la NRA – National Recovery Administration -, créée par Roosevelt, la reconnaissait). De même, d’autres mesures du New Deal, comme la Sécurité sociale (retraite), ne concernaient pas les travailleurs ruraux ni la main d’œuvre domestique, là où les Noirs étaient concentrés.

En fait le bill sera une première brèche dans l’apartheid américain, remettant finalement en cause tout l’édifice ségrégationniste. Un tiers des vétérans inscrits dans des collèges entre 1946 et 1950 étaient noirs. D’ailleurs Rankin, le sénateur raciste pourtant en faveur du bill (cf. supra) est bien conscient de ces effets potentiels, puisqu’il déclare en pleine séance : “This is the most far-reaching and most explosive bill ever to reach congress.”

La même année que le GI Bill, le fameux livre de Gunnar Myrdal (American Dilemma) est publié et retentit comme un coup de tonnerre dans les bonnes consciences américaines. En 1938, la fondation Carnegie cherchait un chercheur étranger, venant d’un pays non lié au colonialisme, pour faire une enquête sur la question noire, c’est un jeune économiste suédois qui sera choisi et qui sillonnera le Sud jusqu’en 1942, accumulant les données du livre. Il est aidé d’un chercheur noir américain, qui se fait passer pour son chauffeur… Le livre est rapidement un best-seller, en pleine guerre – le futur prix Nobel (33) dira que sa publication dans ces circonstances n’aurait été possible dans aucun autre pays -, il explique la contradiction entre les valeurs américaines et la condition des Noirs (dilemme) et présente la notion de causalité circulaire cumulative (plus tard appliquée au tiers monde) : les Noirs sont victimes de la ségrégation, ils sont donc maintenus dans des emplois subalternes, on les en méprise, ce qui justifie la ségrégation… Seul un choc extérieur peut briser ce cercle vicieux, ce sera la guerre. Bien que le sous-titre du livre soit The Negro Problem and Modern Democracy, Myrdal fait bien comprendre que le problème noir est en fait un problème blanc, le problème des Blancs de ne pas faire une juste place aux Noirs.

Un leader noir, du syndicat des porteurs, dans les trains, Philip Randolph, avait été le premier à obtenir du président en 1941, sous la menace d’une marche des Noirs à Washington, une déségrégation partielle (voir le dialogue FDR/Randolph en annexe VI). Il s’agit des industries de Défense qui, par l’ordre exécutif 8802, s’ouvrent à la main d’œuvre noire : “There shall be no discrimination in the employment of workers in defense industries or governement because of race, creed, color, or national origin“. Ce décret est, selon l’historien David Kennedy, « un pivot crucial dans l’histoire des Africains-Américains » (1999, p. 768). Le résultat, avec la guerre qui vient, se traduira par les flux migratoires massifs des travailleurs noirs du Sud, vers le Nord et l’Ouest, vers les grandes villes et leurs centres industriels, un changement radical dans la répartition de la population américaine.

D’autres minorités sont concernées par le GI Bill, comme les catholiques, qu’ils soient irlandais, italiens ou polonais, et les juifs, qui entrent alors en force dans les bastions universitaires de l’élite protestante qui a fait le pays. Des quotas étaient par exemple appliqués dans les années vingt et trente sur le nombre d’étudiants juifs dans les grandes universités du pays. Ils étaient aussi exclus des quartiers résidentiels, des clubs privés, de certains hôtels, ainsi que des fraternités étudiantes. Galbraith rapporte dans un de ses livres (34) qu’à l’époque, vers 1948, les responsables du Département d’État étaient hostiles à Israël, « pas seulement parce qu’ils étaient pro-arabes, mais aussi – il ne faut pas se le cacher – parce qu’ils étaient antisémites ». De même, en 1939, Edith Rogers et Robert Wagner proposent un bill visant à admettre aux États-Unis 20 000 enfants juifs allemands réfugiés, mais il est repoussé par la Chambre avec des arguments du type : « 20 000 charming children would all too soon grow into 20 000 ugly adults »… La vision raciste d’un monde où les Anglo-Saxons étaient au sommet, alors que les autres peuples occupaient des strates inférieures, avec les Noirs et les juifs tout en bas, imprégnait les mentalités wasp américaines. Le GI Bill marquera le début de la fin pour ces pratiques et ces préjugés.

Les vétérans avaient déjà été ébranlés par la camaraderie des combats : lorsqu’on tient son salut des autres, on est fatalement amené à ne pas trop s’intéresser à leur race ou à leur religion (35) … L’armée et la guerre firent en sorte que « the melting pot melt faster ». Avant la guerre, on comptait seulement 5 000 Noirs dans l’armée, à la victoire ils étaient 920 000, soit un pourcentage des GIs correspondant à l’importance des Noirs dans la population totale du pays, un peu plus de 10 %.

En fait les débats autour du GI Bill ont marqué un basculement, depuis les revendications sociales et la montée en puissance des syndicats pendant le New Deal, vers les revendications des droits civiques et l’égalité raciale. La loi Taft-Hartley (36) de 1947 limite le pouvoir syndical (interdiction du closed-shop où seuls les membres d’un syndicat pouvaient être embauchés). Peu après, le cas Brown vs the Topeka Board of Education (démarré en 1950, jugé en 1954) est la première grande victoire judiciaire des Noirs contre la ségrégation, qui permet l’ouverture des écoles. Le problème surgit lorsqu’un vétéran noir, Oliver Brown, dépose une plainte contre les services éducatifs de Topeka (Kansas) parce que sa fille Linda ne peut pas entrer dans une école près de chez elle, et est obligée d’aller beaucoup plus loin, dans une école noire, dans des conditions difficiles (37).

Naturellement, sans le GI Bill, beaucoup de vétérans auraient de toute façon fait des études supérieures. Une étude (cf. Olson, 1974) montre que c’est le cas d’environ 80 % d’entre eux, mais dans des conditions infiniment plus difficiles, avec une famille à entretenir, un emploi à trouver, des frais très lourds à payer.. Il reste qu’environ 450 000 vétérans, sur les 2,2 millions qui bénéficièrent de la loi, allèrent à l’université uniquement grâce à elle, surtout bien sûr ceux venant des milieux populaires ou des minorités. On estime qu’environ 250 000 Noirs purent accéder aux collèges pour la première fois dans ce cadre, grâce aux différents bills, même s’ils ont davantage profité aux Blancs (voir annexe VI).

Au total, le nombre de Noirs dans les collèges quadruple entre 1939 et 1950, de 27 000 à 113 000. Leurs revenus passent de 41 % du revenu médian en 1940 à 57 % en 1952, les indicateurs sociaux s’améliorent également, par exemple l’espérance de vie des Noirs passe de 53 ans en 1940 à 60 ans en 1953 (64 et 69 ans pour les Blancs).

Dans les collèges

La première année du bill, 1944, les collèges virent arriver 8 200 vétérans, à la rentrée 1945 ils étaient 58 000, en février 1946, en un mois seulement, 125 000 s’inscrivirent, en 1947 ils représentaient la moitié des étudiants (voir tableau 6 plus haut). Comme l’État payait pour n’importe quelle université où un vétéran était accepté, le choix allait vers les meilleures, comme dit un Time de l’époque, dans une formule célèbre :

“Why go to Podunk College (38), when the Government will send you to Yale?”

Harvard et les autres universités au sommet (Ivy league schools) faisaient payer 400 dollars de frais annuels aux étudiants, et les allocations du GI Bill s’élevaient à 500 dollars maximum par an, si bien que les vétérans s’y précipitèrent. En fait, ils allèrent surtout vers les meilleures universités privées, tandis que les universités publiques, meilleur marché, recevaient davantage de non-vétérans. Les inscriptions à Harvard quasiment doublèrent en 1946, de 2 750 en février à 5 000 en septembre. En fait, les « top universities » du pays, habituellement réservées à l’élite WASP, s’ouvraient pour la première fois à une masse d’étudiants-vétérans venus de tous les milieux. L’idée que l’enseignement supérieur était le monopole d’une élite bien née tend à disparaître.

Même les collèges réservés aux filles, comme Vassar, s’ouvraient aux vétérans hommes, de même que des collèges strictement masculins jusque-là, recevant des vétérans mariés, acceptaient leurs épouses sur les bancs des facs. Une nouvelle culture étudiante naît du GI Bill, avec des magasins, des garderies, des associations, des organisations féminines, des coopératives, etc. Les vétérans introduisent une autre mentalité, différente de celle de la jeunesse dorée d’avant guerre, venus là pour profiter de la vie d’étudiant, du sport et des soirées.

Il y eut cependant des oppositions multiples parmi les responsables des universités, qui voyaient le GI Bill comme un danger de professionnalisation des établissements, un empiétement de l’État (« un instrument politique menant à la destruction des collèges »), un programme mal adapté contre le chômage, un substitut erroné aux grands travaux, plus efficaces pour l’emploi, et parfois qui critiquaient l’idée même de l’éducation supérieure de masse, une anomalie dans les termes, selon beaucoup d’élites universitaires.

Les vétérans sont parfois plus axés vers les cours pratiques, beaucoup demandent une formation plus professionnelle, de la formation plus que de l’éducation, ce qui fait craindre aux universitaires une dégradation de l’enseignement. Comme le dit un professeur de Stanford :

« Ils veulent un diplôme, oui, comme quelqu’un qui achèterait un billet de train ou obtient un passeport… »…

“Never mind the theory; that takes too long and we don’t understand it anyway; all we want is the know-how.”

Le vétéran voyait l’éducation comme un moyen pour atteindre un but : trouver un travail qui lui permette de faire vivre sa famille issue du baby-boom :

« Il avait laissé son fusil M1 pour prendre un livre dans une main et un bébé dans l’autre, et il s’intéressait moins au diplôme en soi qu’à ce qu’il pouvait en faire » (Bennett).

Cependant, ces cas ne sont pas systématiques, les cours d’histoire, par exemple, sont aussi très recherchés : à George Washington University, les cours d’histoire de la civilisation occidentale sont les plus courus, comme dans beaucoup d’autres collèges : « I think the room held one thousand students, and it was packed », selon un vétéran.

En outre, la nouvelle population des universités allait bien au-delà de la fourchette habituelle des 18-22 ans, et la maturité des vétérans facilite les cours, elle déteint aussi sur le comportement général. En 1947, un professeur confie à la journaliste Edith Efron, du New York Times :

« Les vétérans semblent impressionnés par nos connaissances. Ils sont assez vieux pour réaliser qu’ils savent très peu de choses, et cela facilite beaucoup l’enseignement. Ce sont les étudiants les plus réceptifs et les plus réactifs que l’école ait jamais eus. »

Les universitaires apprécient vite ces étudiants motivés, comme s’en souvient avec nostalgie un professeur de Harvard :

“The mature student body which filled our colleges in 1946 and 1947 was a delight to all who were then teaching undergraduates.”

Ils font preuve d’une « passion à apprendre, après des années de combats meurtriers »… « Seriousness, perceptiveness, steadiness… the best in Harvard history ». Les réussites aux examens sont plus nombreuses : à l’université du Minnesota en 1947, on compte un taux d’échec de moins de 1 % parmi les vétérans contre 10 % habituellement. Le nombre total de diplômes du supérieur délivrés passe de 200 000 en 1942 à 500 000 en 1950. Finalement, contrairement à toutes les craintes que le GI Bill transformerait les collèges en « educational hobo jungles », on assiste à une amélioration générale du système, comme le constate une enquête du New York Times sur l’éducation en 1947 :

« The most astonishing fact in the history of American higher education… Far from being an educational problem, the veteran has become an asset to higher education. » (cité par Bennett, p. 245).

Suburbia

L’application du GI Bill a coïncidé avec le Baby Boom de l’après-guerre, le taux de natalité aux États-Unis passe par exemple de 2 315 naissances pour dix mille habitants en 1936 à 3 817 en 1947 et 4 308 en 1957. Il a favorisé une révolution dans le logement, permettant de faire face à cet afflux massif de population, en prévoyant des facilités de crédit immobilier pour les vétérans :

« Aussi sûrement que le Homestead Act de 1862 a rempli la prairie ou le Far West, le GI Bill a créé et rempli les banlieues. » (Bennett).

Un personnage ignoré, pourtant la clé de cette évolution, est l’entrepreneur William Jaird Levitt (1907-1994) qui a fourni à l’époque des maisons bon marché produites à une échelle industrielle, avec des normes standard, des techniques de marketing de masse, avec toutes les infrastructures nécessaires autour des logements, et un système de franchises pour fabriquer et distribuer ses produits : « Si la première grande figure des affaires au XXe siècle est Henry Ford, la seconde est William Levitt » (David Halberstam). Bennett surenchérit :

« Le GI Bill a produit une révolution sociale encore plus grande que celle de Ford : alors que Ford a mis des millions de voitures sur les routes et lancé une des plus grandes industries de la nation, Levitt a mis les gens dans leurs maisons et lancé des activités encore plus étendues, avec toutes les industries liées, de meubles, matériels, entretien, jardinage, supermarchés, restaurants, cinémas, écoles, etc. »

En 1950, les centres-villes avaient vu leur population diminuer, et les banlieues avaient gagné 60 millions de résidents. La distribution massive de fonds publics à travers le bill permet un élargissement des marchés et la création de l’American way of life moderne, lié à la banlieue semi-rurale, aux maisons individuelles fabriquées en série, à la voiture, aux supermarchés, aux parkings, aux chaînes de commerces identiques, aux écoles des faubourgs, etc. Dans ces banlieues, blanches au départ, l’intégration et le mélange des immigrants du début du siècle, polonais, italiens, allemands, juifs etc., va s’accélérer, alors qu’avant la guerre les communautés urbaines étaient bien séparées, selon les quartiers.

En 1939, l’habitat aux États-Unis était encore arriéré, la moitié des logements n’avaient pas de salle de bain, un cinquième ni gaz ni électricité, un tiers n’étaient pas équipés en réfrigérateurs ou machines à laver. Le New Deal avait commencé à s’attaquer au problème du logement, en permettant l’accès et la consolidation de la propriété par des prêts garantis par l’État, avec le HOLC (Home Loan Mortgage Corporation), mais ce sont les facilités du GI Bill qui vont favoriser le boom de la construction. Sur 325 000 maisons construites en 1945, seulement 43 000 furent vendues grâce à la garantie d’État et aux taux bon marché offerts par les banques aux GIs (7 %), mais en 1946 et 1947, il s’agissait de plus de 40 % des quelque 500 000 maisons construites par an. Levitt, un vétéran lui-même, voit immédiatement les besoins et le goût pour la maison individuelle, dotée d’un terrain, et les facilités qui doivent être aménagées. Ce sont de véritables villes, les Levittowns, qui vont être lancées dans ces années-là, avec un succès énorme.

L’autre option était celle préconisée par les grands architectes, issus du Bauhaus allemand (Walter Gropius, Mies van der Rohe, Le Corbusier), celle d’immeubles et d’appartements dans de grandes cités fonctionnelles, avec des parcs, des espaces communs, comme la Radiant City construite en Allemagne en 1927, Greenbelt, Greendale, Green Hills dans les années 1930, dans le cadre du New Deal aux États-Unis, ou la Cité radieuse à Marseille en 1952, option défendue par le grand historien et urbaniste Lewis Mumford (39). Ce dernier n’a pas de mots assez durs pour Levitt et ses maisons bon marché standardisées :

“A multitude of uniform, unidentifiable houses, at uniform distances on uniform roads, inhabited by people of the same class, the same incomes, the same age groups, witnessing the same television performances, eating the same tasteless prefabricated foods from the same freezers, conforming in every outward and inward respect to a common mold manufactured in the same central metropolis… A low-grade uniform environment from which escape was impossible.” (cité par Bennett).

Les critiques viennent de tous les milieux intellectuels, comme ce professeur de Yale, Charles Winslow : « The inferior type of small houses being provided to meet the veteran’s demands, doll houses that out-slum the slummiest of our pre-war slums (40) »…

Pourtant ce sont ces maisons standardisées que les gens veulent, pas les cités radieuses des architectes et des urbanistes, surtout dans un pays doté d’un espace énorme. Les mères des enfants du baby-boom, qui avaient grandi pour beaucoup d’entre elles en ville, préféraient des maisons donnant sur les jardins où les enfants pouvaient jouer, sous leur surveillance, et non traîner dans les quartiers :

« C’était une leçon que les architectes des cités radieuses n’avaient jamais apprise : les enfants des rues des villes qui devinrent des GIs, et leurs femmes, étaient déterminés à ce que leurs propres enfants aient des cours à eux. … Tous les intellectuels, les sociologues et les urbanistes comme Mumford se demandaient, à propos de cette extension des banlieues, des chaînes, des hypermarchés : qui avait besoin d’un choix aussi large ? Eh bien, la réponse a été vite donnée, ce sont les baby-boomers et leurs parents qui en avaient besoin, voilà qui c’était ! » (Bennett, 1996).

Et comme le dit encore l’auteur d’un livre sur le phénomène Suburbia (41) :

« Les gens aux États-Unis ne vont pas vivre comme les gens à Paris, ils ne vont pas vivre dans des appartements et y élever une famille en sortant acheter un litre de vin et une baguette de pain en bas de la rue, et passer toute leur vie dans une zone de quelques km2. Ce n’est pas la façon dont les Américains vivent. Ils ont pas mal de Daniel Boone (42) encore en eux. Je ne sais pas ce que veulent les gens à Paris. Ce qu’ils ont, c’est très peu d’espace à eux et plein de facilités publiques. Ce que nous avons, c’est plus d’espace à nous et que nous contrôlons, et très peu de facilités. Nous avons des modes de vie bien plus individualistes. Nous avons notre propre espace intérieur, nous avons notre propre parc. Il est là juste derrière. Le yard. »

Les grandes surfaces qui apparaissent après-guerre dans ces suburbs sont une application des techniques nées du conflit. L’armée américaine met en place de vastes centres de distribution à l’étranger, appelés Big PXs (pour Post eXchange), pour les soldats expatriés et leurs familles, dans les bases comme celles de l’OTAN, véritables oasis de prospérité au milieu de pays en reconstruction. L’organisation rationnelle, l’efficacité, la propreté, les discounts, les services après-vente, l’expédition à domicile, etc., tout cela tranche avec les coutumes locales, le petit commerce du coin. Ce sont ces techniques qui vont être adoptées aux États-Unis sur une grande échelle dans les années cinquante. Les infrastructures routières se multiplient, des milliards sont investis par l’État fédéral dans la construction d’un immense réseau, le Interstate Highway Program (7 milliards de dollars en moyenne par an entre 1956 et 1981, contre un dans les années trente). Les automobiles, les camions, les aéroports et les centres commerciaux remplacent les chemins de fer, les mines et les usines comme symboles de la modernité.

Les pionniers et inventeurs de cette modernité n’ont pas laissé leur nom dans l’histoire, une histoire qui s’est étendue par la suite à la planète entière. C’est d’abord Charles Saunders qui crée le premier supermarché en 1916 à Memphis, Tennessee. La pénurie de main d’œuvre anticipée, du fait de la mobilisation, lui donne l’idée de laisser le client se servir avec un panier, au lieu de demander à un vendeur de lui chercher les articles un par un. Ses magasins self-serving, Piggy-Wiggly, sont une centaine en 1940. C’est ensuite Sylvan Goldman, à Oklahoma City en 1936, qui est le premier à mettre un panier sur des roues, le basket carrier, notre caddy. Les clients mettent du temps à accepter l’innovation et Goldman paye des employés à lui pour circuler toute la journée dans les allées avec ces chariots, afin de convaincre la clientèle… C’est Clarence Birdseye qui invente la nourriture surgelée, dans le Massachusetts, alors qu’il est dans une partie de pêche en hiver, sur un lac glacé. Les « Frigidinners » et « Strato Meals » sont lancés peu après, en 1946. Les chaînes de fast-food et les restaurants franchisés apparaissent à la même époque, comme ceux créés par Howard Johnson ou Harland Sanders (Kentucky Fried Chicken). C’est Royce Hailey qui crée le premier restaurant Drive in, dès 1921, le Pig Stand, au Texas. C’est Kemmon Wilson qui lance la première chaîne d’hôtels dans les périphéries urbaines, les Holiday Inns, en 1952. C’est enfin Victor Gruen, un émigré autrichien, chassé par les nazis et l’Anschluss, arrivé en Amérique en 1938 avec huit dollars en poche, qui a l’idée du shopping mall, le centre commercial, reproduisant en banlieue l’esprit des rues commerçantes animées des villes d’Europe centrale. Le premier est lancé à Edina, banlieue de Minneapolis, en 1956.

Le New Deal a créé l’État-providence aux États-Unis, avec la « sécurité sociale », les indemnités de chômage et le salaire minimum, il a mis en place la régulation des marchés, des banques et des bourses, il a commencé à intégrer les femmes et les minorités dans la vie politique. Le GI Bill, à la fin de cette ère de réformes, sans que ce soit clairement voulu par les hommes politiques, a démocratisé l’université, lancé l’économie du savoir et aidé à la formation de l’Amérique moderne, celle des classes moyennes, des banlieues, des supermarchés et des voitures. Bennett remarque que, comme l’avaient fait Benjamin Disraeli pour l’Angleterre et Otto von Bismarck pour l’Allemagne, c’est un aristocrate américain, FDR, qui a rapproché les classes sociales et les immigrants, et créé une véritable communauté nationale.

Comme le disait Stuart Chase, un des grands rooseveltiens, artisan du New Deal, « la guerre a permis un bien meilleur partage pour l’homme de la rue que tout ce dont les progressistes pouvaient espérer en 1938 pour une génération », « le New Deal avait de bonnes intentions, mais la guerre a donné de meilleurs résultats », renchérit Bennett. Les revenus réels des vingt pour cent les plus pauvres augmentent pendant la guerre de 68 %, ceux des vingt pour cent les plus riches de 21 %, si bien que la répartition du Revenu national devient moins inégalitaire. La fin d’une division tranchée riches et pauvres, la montée d’une classe moyenne, apparaissent dans les données du tableau 8, avant même les effets du GI Bill, mais celui-ci permettra de poursuivre la tendance.

Tableau 8  Aperçu de l’évolution de la répartition des revenus, États-Unis, de la crise à la paix

Familles gagnant moins de 2000 $ par an, part dans la pop. totale Familles gagnant plus de 5000 $ par an, part dans la pop. totale Part du RN des 5 % les plus riches de la population
1936 77,7 % 1,7 % 30 %
1946 26,4 % 21,1 % 18 %

Source : Bennett, 1996

Conclusion

Les effets de la loi pour les vétérans se diffusent par ricochets dans la société américaine : l’éducation supérieure devenant la norme, la propriété de sa maison un objectif général, une façon nouvelle de travailler et de vivre, celle des commuters de banlieue, les progrès de l’égalité raciale, l’intégration des minorités et le recul des préjugés entre communautés, la sortie de la classe ouvrière de son ghetto et son accession au statut des classes moyennes. Et, last but not least, l’extension de tous ces changements, pour le meilleur et pour le pire, bien au-delà des frontières des États-Unis, au Canada et en Australie-Nouvelle-Zélande, dès les années quarante, en Europe occidentale et au Japon, dans les années cinquante et soixante, puis en Amérique latine et en Asie, dans les années soixante et soixante-dix, dans le monde slave et l’Europe de l’Est dans les années quatre-vingt-dix, et enfin dans tous les pays émergents actuellement.

Le GI Bill, ce plan Marshall intérieur, cette middle-class alternative to class warfare (une alternative de classe moyenne à la lutte des classes) a aussi été un des facteurs qui a permis le véritable plan Marshall, en Europe, comme le soutient Bennett :

“The $14.5 billion cost of the WWII “G.I. Bill” was paid by additional taxes on the increased income of the GI Bill recipients by 1960. Without the prosperity – and the social peace – engendered by the GI Bill, America couldn’t have afforded the Marshall Plan’s $12.5 billion.”

Peter Drucker (1993) va encore plus loin qui compare 1945, l’année où les vétérans commencent à bénéficier du GI Bill à 1776, l’année du début de la révolution américaine, de la Richesse des nations de Smith, et de la diffusion de la machine à vapeur de James Watt :

« Le GI Bill of Rights – et la réaction enthousiaste qu’il entraîna de la part des vétérans américains – annonça l’entrée dans la société de la connaissance. Il se peut que les futurs historiens retiennent cette date comme la plus importante du XXe siècle. Nous sommes clairement en plein dans cette transformation. En vérité, si l’histoire peut servir de guide, elle ne sera pas achevée avant 2010 ou 2020. Mais déjà elle a changé le paysage politique, économique et moral du monde. »

*******************

(1) En ce sens qu’il est incorporé dans une personne et donc inappropriable par un autre – sauf en cas d’esclavage.

(2) Voir pour les États-Unis Carnoy et Marenbach, 1975. Pour deux surveys utiles sur l’économie de l’éducation, voir Blaug (1976 et 1985).

(3) « The main engine of growth is the accumulation of human capital – or knowledge – and the main source of differences in living standards among nations is a difference in human capital. Physical capital plays an essential but decidedly subsidiary role.” Robert Lucas, “Making a Miracle”, Econometrica, 61, 1993.

(4) Voir pour des synthèses sur la question : Barro (2004), Dahlin (2004), Stevens et Weale (2003).

(5) Pentateuque pour les juifs, ou loi de Moïse, soit les cinq premiers livres de la Bible (Genèse – Au commencement -, Exode – Les Noms -, Lévitique – Et il appela -, Nombres – Dans le désert -, Deutéronome – Paroles).

(6) Recueil des enseignements des grands rabbins.

(7) En Prusse, deux lois de 1717 et 1737 rendent l’enseignement primaire obligatoire, l’école publique élémentaire, le Volksschule, est établie comme institution de l’État en 1794, financée par des impôts locaux. Le Gymnasium, lycée d’État, y est créé en 1812 pour former des élites, l’université de Berlin est fondée en 1810, les universités indépendantes sont nationalisées en 1817, et la même année un ministère de l’Éducation est établi. Marie-Thérèse établit dans l’Empire austro-hongrois un système général d’enseignement primaire et secondaire dès 1774 (voir Finer, 1997).

(8) C’est d’ailleurs cette colonie, devenue État, qui fondera le premier département de l’éducation (Board of Education) en 1837 et rendra l’école obligatoire en 1852. En 1865, 89 % des enfants y sont inscrits dans une école publique (voir Gradstein et alii, 2005).

(9) The Rights of Man, 1792.

(10) « Le bien-être éternel de chaque individu dépend de l’application de sa propre raison à la révélation contenue dans les Écritures. » (Luther)

(11) Loi de 1833 imposant la création d’écoles primaires dans chaque commune et en organisant l’inspection par l’État.

(12) Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776.

(13) John Stuart Mill, Principles of Political Economy, 1848.

(14) Milton Friedman, Capitalism and Freedom, University of Chicago Press, 1962

(15) Dans une lettre du 13 août 1786 à James Madison, alors que le Congrès avait la Northwest Ordinance en préparation.

(16) voir Reese, 1995.

(17) Voir Boorstin, 1966.

(18) Les French Fries, on le sait, subiront le même sort en 2003.

(19) Un million d’immigrants par an depuis 1900, 1,2 million en 1913 et 1914. Sur 10 millions de mobilisés en 1914, un quart étaient illettrés. Douze millions des 27 millions d’enfants dans le pays n’allaient pas à l’école, seulement 14 % des jeunes de 17 ans étaient diplômés d’une high school. Des intellectuels se demandent si cette immigration massive ne va pas détruire le pays, comme l’historien David Saville : “Can we assimilate and mold into citizenship the millions who are coming to our shores, or will they remain an ever increasing body of aliens, an undigested and undigestible menace to our free institutions?” (cité par Bennett, 1996).

(20) Dans le journal des IWW (International Workers of the World) : The Industrial Worker.

(21) ‘G.I.’, le terme qui désigne tous les soldats enrôlés dans les forces américaines pendant

la Deuxième Guerre mondiale signife General Issue, c’est-à-dire au départ l’équipement standard fourni à chaque homme : armes, uniformes, matériel, etc. Le GI se différencie des soldats du vieux continent par son attitude moins disciplinée : “General Stilwell noted about the GIs in WWII that they were obedient but idiosyncratic, willing but not too enthusiastic. That attitude could be observed most closely in their marching. It was not that the men walked out of step, or that they could not move about in bodies with ease and dispatch. It was that each man stepped out or swung his arms in his own way, giving European observers an impression of incipient discordance in any body of marching GIs. No amount of close order drill could completely erase that impression, for the GI never made that ultimate, intimate surrender of the individual to the mass… A Czech villager remarked to an American officer as they both watched American soldiers swing by, ‘They walk like free men.'” Lee Kennett, GI: The American Soldier in World War II, NY: Ch. Scribners, Inc., 1987.

(22) Sur ces 4 millions, 1,4 virent le combat et 50 000 furent tués, contre 8 millions d’Européens dont 1,4 million de Français, 1 million d’Allemands, 950 000 Britanniques : « L’Europe perdit une génération, l’Amérique perdit son innocence. » (Bennett) Dans le second conflit mondial, les États-Unis perdent 292 000 hommes au combat et 115 000 dans des accidents militaires. On compte aussi 670 000 blessés dont un bon nombre de handicapés à vie, et à l’intérieur, du fait de normes de sécurité faibles et admises comme secondaires dans l’effort de guerre, 300 000 travailleurs perdirent la vie dans des accidents (66 000 par an, soit dix fois plus que le nombre annuel dans les années 1990) et un million restèrent handicapés.

(23) Les “Wanna go home riots”, tels que la presse les désigne. Des soldats défilent derrière des pancartes : “We want ships, we want to go home”… Un colonel les apostrophe : “You men forget you’re not working for General Motors. You’re still in the Army.” À Paris, les GIs descendent les Champs Élysées, écartés par les gendarmes de l’Arc de Triomphe, sous des panneaux : « Service yes, but serfdom never »… Aux États-Unis des hommes politiques accusent des militants de gauche de pousser ces émeutes et une démobilisation trop rapide qui favoriseraient l’expansionnisme soviétique. Les radicaux imaginent aussi un retour massif de soldats politisés aux États-Unis, capables de favoriser une révolution, comme cela avait été le cas en Allemagne en 1918 ou en Russie en 1917, avec quand même deux différences de taille entre les situations : 1) les États-Unis avaient gagné la guerre en 1945, alors que l’Allemagne et la Russie l’avaient perdue en 1917 ; 2) ces deux derniers pays n’avaient alors aucune expérience démocratique.

(24) Pendant la guerre, comme partout et toujours, les femmes remplacent les hommes, elles constituent un tiers de la main d’œuvre, c’est le célèbre tableau de Norman Rockwell de 1943, Rosie the riveter. La pénurie est telle qu’on embauche des handicapés à tour de bras, des sourds-muets là où le bruit assourdissant des machines est un obstacle pour les autres, des nains pour aller ramper dans les ailes d’avions, faire les soudures et connecter les câbles, ou bien dans les canalisations des navires ; dix pour cent des salariés de Ford, dans l’immense usine de tanks, de moteurs et de camions de Willow Run, sont aveugles, sourds, manchots ou souffrant d’une autre infirmité…

(25) « The nation has to avoid a future of roving bands seeking food where there is no food, seeking jobs where there is no job, seeking shelter where there is no shelter.” Discours du président du CIO.

(26) Sur l’origine du mot (GI Bill), le terme officiel était Servicemen’s Adjusment Act, mais ses promoteurs cherchaient une expression plus forte. Le président venait de lancer sans succès l’idée d’une Déclaration des droits économiques (Economic Bill of Rights), soit une extension de l’État-providence sur la ligne du New Deal (voir annexe V). Ainsi, de cette idée, a été lancée l’expression Bill of Rights for GI Joe and Jane, puis GI Bill of Rights, et enfin simplement GI Bill : “The name was something close to genius; it was short, punchy, easily grasped. It told the whole story – and it became a fighting slogan from coast to coast.” (Bennett) Le mot même évoque les précédents Bill of Rights, les déclarations des droits des révolutions anglaises (1689) et américaine (1776), bien que dans ce cas il soit tombé dans l’oubli hors des frontières américaines et que ses conséquences correspondent plutôt à une révolution silencieuse.

(27) Ainsi les diverses associations de vétérans proposent des projets opposés (cf. Bennett, p. 140 sq.).

(28) 97 %, trois ans ; 80 % quatre ans, soit l’obtention d’un Bachelor’s Degree, cf. Stanley, 2003.

(29) Deux fois plus de vétérans qu’en 1945, en pourcentage, choisissent ceux-ci, moins coûteux.

(30) À titre de comparaison, les autres conflits mobilisent 4,7 millions d’Américains (WWI), 5,7 millions dans la guerre de Corée) et 8,7 millions pendant la guerre du Vietnam. Les 16 millions de vétérans et leurs familles représentaient en 1950 un tiers de la population totale du pays.

(31) Un grand meeting à New York défend l’idée de “Save America from Truman’s Plan for Military Fascism”…

(32) Selon un article de l’époque : “It was the forgotten man, Harry S. Truman, who faced down John L. Lewis and made him call off his coal strike. It was Truman who had the guts to bring the porkiest of labor monopolists to heel. It was Truman who forced Lewis to admit the government was bigger than Lewis.” The Cleveland Plain Dealer, quotidien de Cleveland.

(33) En 1974, conjointement avec Friedrich von Hayek : http://nobelprize.org/economics/laureates/1974/

(34) Des amis bien placés, Seuil, 2001 (titre original : Name-dropping : from FDR on, Houghton Mifflin, 1999).

(35) C’est ce que dit un GI du Sud : “I found out after I did some fighting in this war that the colored boys fought just as good as the white boys. I’ve changed my ideas a lot about colored people since I’ve got into this war and so have a lot of other boys from the South.” (cité par Bennett, 1996)

(36) La loi passe au Congrès malgré le veto de Truman, qui la qualifie de « slave-labor bill ».

(37) La Cour suprême décide finalement en 1954 que les écoles séparées sont illégales, contraires aux 14ème amendement (droits égaux pour les Noirs, 1868), et demande la déségrégation des écoles à travers le pays. Thurgood Marshall, avocat de la NAACP, futur juge noir de la Cour (le premier, en 1967), défend le cas Brown devant elle en 1954 et obtient gain de cause : « We have just fought a war to stop Fascist racism abroad. We think the time has come to end racism at home. »

(38) Podunk college : l’école professionnelle de Trifouillis-les-Oies… Le mot Podunk vient des Podunks, une tribu indienne reculée, au XVIIIe siècle.

(39) Mumford avait refusé de prendre position pour Roosevelt en 1932, contre Hoover, un peu comme Ralph Nader entre Gore et Bush en 2000, ou entre Kerry et Bush en 2004 : « If I vote at all, it will be for the Communists. It is Communism which desires to save civilization ».

(40) « Des maisons de poupée qui dépassent en taudis les plus taudis de nos taudis d’avant-guerre. »

(41) Joel Garreau, Edge City: Life on the New Frontier, Doubleday, 1991.

(42) Trappeur et pionnier de la frontière (1734-1820), modèle du héros de Fenimore Cooper, Leather-stocking, dans Le dernier des mohicans (1826).

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Annexes

 

I  Le système éducatif américain

Les enfants reçoivent aux États-Unis au moins douze ans de formation, 6 à 8 ans dans l’école élémentaire, 4 à 6 ans à l’école secondaire, dont ils sortent diplômés à 17 ou 18 ans. Par la suite le choix est ouvert entre des établissements techniques, des collèges ou des universités (2 à 4 ans). Pour les deux premiers niveaux, ce sont les États qui ont la charge de l’administration, le plus souvent déléguée à des districts scolaires, au nombre d’environ 15 000. Le financement est assuré à hauteur de 50 % par les États, 40 % par des sources locales, 3 % par des fonds privés et le reste par l’État fédéral (chiffres de 2000). Les dépenses par élève du secondaire se montent à plus de 7000 dollars, au troisième rang dans le monde, après la Suisse (9000) et l’Autriche (8000), devant l’Allemagne, la France, le Japon et l’Italie (6000), l’Espagne (4000), le Mexique (1500). La part des écoles privées, la plupart catholiques, est d’un peu plus de 10 % (voir tableau 2 supra).

L’enseignement supérieur se caractérise par la coexistence de collèges de petite taille et de grandes universités de recherche, une part importante du secteur public, un secteur privé ancien et dynamique, des instituts professionnels inclus dans les universités, des financements importants locaux et du gouvernement fédéral.

Entre 1638 et 1819, 49 établissements d’enseignement supérieur sont fondés, dont 40 privés ; entre 1820 et 1859, 240 nouveaux sont ajoutés, dont 225 privés ; entre 1860 et 1899, on a la plus importante création d’universités et collèges aux États-Unis : 432, dont 348 privés ; entre 1900 et 1934 les chiffres sont de 200 et 165. Actuellement les plus grandes universités sont publiques, seulement 5 % des établissements supérieurs privés ont plus de 10 000 étudiants, alors que 42 % des établissements contrôlés par l’État sont dans ce cas ; les 20 plus grandes universités par l’effectif sont toutes dans le secteur public. Les grandes universités privées sont surtout concentrées dans le nord-est du pays, de la Nouvelle Angleterre à la capitale fédérale. La répartition des étudiants entre le public et le privé apparaît dans le graphique suivant qui montre la part croissante du premier (22 % en 1897 à 67 % en 1990) :

graphique-5

Graphique 5  Pourcentage des étudiants dans le secteur public, 1897 à 1990

Source : Goldin et Katz, 1999

La différence entre collèges et universités est souvent peu claire : normalement les universités se dédient à la formation spécialisée des diplômés de collèges (graduates), mais certaine universités sont en fait des collèges (ex. Taylor University), alors que nombre de collèges sont en fait des universités (ex. Boston College).

La liste suivante résume le système, de la garderie au doctorat :

Pre-school (nursery school) – âge 3-5 ans

Kindergarten – âge 5-6

Elementary school – 1st grade à 6th grade – âge 6-11

Middle school (“junior high school”) 7th -9th grades – âge 12-15

High school – 10th-12th grades – âge 16-18

College – 2 (Junior College) ou 4 ans de post-secondary (“undergraduate”) schoolingassociate’s degree or bachelor’s degree (Freshman, étudiant de 1ère année; Sophomore, étudiant de 2ème année)

Graduate School:

Master’s Degree – un à deux ans de post-graduate specialized programs, comme business, journalisme, sciences, humanités, mathématiques, etc.

Professional Degreepost-graduate doctoral degree, obtenu après une formation très spécialisée comme droit (J.D.), médecine (M.D.), psychologie (Ph. D.), business administration (M.B.A.), ou engineering (M.Eng.)

Voir www.usnews.com pour un classement des universités américaines.

II  Répartition géographique des établissements supérieurs selon les époques

Comtés avec au moins un collège ou université

1) avant 1861

1-avant-18611 

2) Avant 1944

2-avant-1944

 3) En 1994

3-en-1994

Source : Adams, 2000

III  Bénéficiaires célèbres

Harry Belafonte
Steve McQueen
Paul Newman
Clint Eastwood
Henry Kissinger
William Rehnquist (juge à la Cour suprême)
George H.W. Bush (président des États-Unis de 1989 à 1993)
Gerald Ford (président des États-Unis de 1974 à 1977)
Robert Dole (candidat républicain à la présidence en 1996 contre Bill Clinton)
John Glenn (premier cosmonaute américain en 1962, sénateur, personne la plus âgée dans l’espace en 1998, à 77 ans)
Art Buchwald, le célèbre journaliste du New York Herald Tribune a servi comme marine trois ans dans le Pacifique. Engagé à 17 ans en trichant sur son âge, il est démobilisé et entre à l’université de Californie du Sud au titre du GI Bill. Par la suite, il apprend que le dispositif permet des études à l’étranger, il traverse le continent en stop, puis l’Atlantique en cargo, et débarque à Paris où il s’inscrit à l’Alliance française, toujours financé par la loi et vivant du salaire payé par l’oncle Sam. Il passera quinze ans dans la capitale, et devient le plus connu des Américains à Paris avec ses articles Paris after dark, côtoyant à Montparnasse tout une série d’écrivains qui deviendront célèbres, comme William Styron, Mary McCarthy, James Baldwin, Irwin Shaw ou Peter Matthiessen, et pilotant des stars en visite comme Lauren Bacall, Humphrey Bogart, Audrey Hepburn ou Frank Sinatra (voir Brokaw, 1998).

Buchwald raconte son entrée à l’université :

My decision was to go down to the University of Southern California and find out what I would study at night to get into the place. There were at least 4000 ex-Gis waiting to register. I stood in line with them. Hours later, I arrived at the counter and said, “I would like to…” The clerk said: “Fill this out.”

“Yes, Ma’am”, I said.

“What do you want to take?”

“It doesn’t matter.”

“Math?”

“Sure.”

“English?”

“Why not?”

“History?”

“Of course.”

“Have it stamped over there.”

A man stamped it and I was in college.

It was a miracle.

Art Buchwald, Leaving home, G.P. Putnam’s Sons, 1993

art-buchwald

 

 

 

 

IV  Contre le GI Bill, le point de vue des libertariens

 

1) “Libertarian economist Thomas J. DiLorenzo argues that “In truth, the G.I. Bill was a budget-busting middle-class entitlement scheme that had destructive effects on higher education, and set the stage for virtually all our current educational problems.” According to DiLorenzo one of its most harmful effects was that “It served as a model for how politicians can grow the government without provoking public revolt, and caused an entire generation to regard government as a benefactor” and “It made the centralization of education possible for the first time in American history. That in turn opened the door to the ruinous politicization of higher education that has marked the past half century.”

There’s a myth that most veterans would not have attended college without federal government help. In fact, myriad programs existed at all levels of society. Virtually every major church, civic organization, and large corporation raised money to provide them, and most states established loan programs as well. These could have worked without negative effects on schools. But they were preempted by the feds and history’s largest infusion of public dollars to education.

In 1946, the program’s first year, the government dumped $1.3 billion on higher education. This may not seem like much today, but it was then the largest program giving direct payments to individuals, exceeding unemployment benefits, Social Security (by four times), military retirement (by one third), and even agricultural subsidies during the heyday of rural central planning. Two years later, it had exploded in cost by 250 percent.

After the second world war, the federal government used various college accrediting agencies to ostensibly guarantee a quality education for veterans. Only accredited schools could receive G.I. Bill funds, so the accrediting agencies quickly transformed themselves. They became the gatekeepers of the tax money and virtual adjuncts of federal power. This gatekeeper role expanded as federal funding of higher education escalated.

“Individual courses as well as whole curriculums” must be “attuned to the new tempo of society,” wrote J. Hillis Miller, the New York education commissioner. Traditionalists will fight “a losing battle” because “any postwar nostalgic yearning for a college curriculum as it used to be is unlikely to be realized.” “Higher education may have to lose its life in order to find it again,” he writes with glee, “and in its transformation it may well find that it has helped to create a new world of light and hope.”

This new world arrived almost immediately, as virtually every college and university in the country clamored for money and students, and willingly threw out traditional standards. This infusion of tax dollars created, notes Robert Nisbet, “the single most powerful agent of change that we can find in the university’s long history.” Had anyone objected at the time, he would have been put down as selfish and undemocratic.

Today, accreditation agencies, private in name only, have tremendous power over colleges and universities, and they are slavish to government’s agenda. Today, these agencies are the major source of political correctness and big-government ideology on college campuses.

As Patrick Riley, a professor of classical antiquity at Concordia College in Wisconsin, has argued, accrediting agencies now look beyond traditional criteria such as library resources, classroom space, and educational qualifications of faculty. They impose “diversity standards,” which attempt to tell colleges and universities what they should teach, who should teach it, and to whom it should be taught.

Colleges and universities are under relentless pressure to impose racial preferences for hiring, admissions, and even curricula, just as they gave affirmative action to veterans.

Joel Segall, former president of Baruch College in New York City, was told by the Middle States Association of Colleges and Schools that academic excellence must take a backseat to “social justice.” Accordingly, Baruch was forced to develop a “comprehensive plan” of racial preference before it could be reaccredited. The independence of religious schools is also threatened by politically-correct accreditors working on behalf of government goals. In 1989, Middle States announced that it intended to withhold reaccreditation from Westminster Theological Seminary, a school of very high standards and one of the few remaining Calvinist seminaries in the country. Why? Because the school’s all-clergy board was all male. It didn’t matter that the seminary regarded the ordination of women as contrary to Scripture.

Knowing that accreditation agencies frown on religious sectarianism, starting in the days of the G.I. Bill, many Catholic schools long ago jettisoned their doctrinal distinctiveness and fit themselves into the mainstream culture. That protects the school’s funding, and encourages government loans to its students, but it denies those same students and their parents an authentic choice in curriculum.

Government money has also politicized research. As Joseph Martino writes in Science Funding, “federal funding of science means federal control of the content of science.”

Whenever government has funded any type of education, that education has become politicized, academic standards have declined, and intellectual independence has been lost. The history of the G.I. Bill illustrates this truth.

This is also why school vouchers would turn what remains of America’s independent schools into pathetic, subsidy-seeking wards of the state, concerned more with indoctrinating their students in the latest political fads than with educating them.”

2) Do We Need a New G.I. Bill – Or Even the Original One?

by George C. Leef, Posted December 10, 2004

“The G.I. Bill turns 60 this year. That legislation, of ficially known as the Servicemen’s Readjustment Act, guaranteed, among other things, that returning soldiers could attend college at the expense of the federal government, or to be more accurate, the expense of federal taxpayers. It was the first of Washington’s many forays into higher education. Before the G.I. Bill was passed, federal politicians paid no attention to colleges and universities, an omission that is explained by the complete absence in the Constitution of any authority for Congress to subsidize or regulate education at all. Since the enactment of that bill, Congress has passed many laws and regulations covering higher education. The G.I. Bill, we could say, served as the icebreaker for federal intervention in waters that had previously been closed.

To almost everyone in the education establishment, it is a given that the G.I. Bill and its subsequent extensions were a wonderful thing. Without the massive assistance that the federal government has given students so they could afford a college education, no doubt America would be lagging far behind other industrialized nations and could not have achieved the rate of economic growth that it has experienced since the end of World War II. That’s the conventional wisdom, anyway.

The reverential attitude typically adopted toward the G.I. Bill was displayed in an October 31, 2003, article in The Chronicle of Higher Education, by Paul Simon, the late U.S. senator from Illinois. He wrote, “The GI Bill’s education benefits made a huge difference in the lives of millions of veterans who otherwise would not have gone to college – and it enriched the nation immeasurably. We would not have our high standard of living in the United States if the GI Bill had not been enacted.”

Simon went on to list the benefits from the GI Bill: “It produced 450,000 engineers, 240,000 accountants, 238,000 teachers, 91,000 scientists, 60,000 physicians, 17,000 journalists, and untold numbers of dentists and members of the clergy.” Impressive. Who could possibly doubt that it was a good investment?

In short, the conventional wisdom is that more formal education is good and the federal government should further subsidize it. Like most of the conventional wisdom about government, it’s mistaken.
What is seen and unseen

When politicians point to favored programs and say, “Look at the wonderful results,” they are playing an intellectual trick. The trick (which they may not even realize is a trick) lies in the hidden assumption that in the absence of the program, people would have done nothing on their own. Consider all those engineers, accountants, teachers, and so on. Simon would have us believe that if it hadn’t been for the free college training under the bill, the nation would have had 450,000 fewer engineers, 240,000 fewer accountants, and 238,000 fewer teachers. Obviously, the country would have suffered under those shortages. Right?

Wrong. Before the federal government started subsidizing college attendance, did the United States have a shortage of engineers and accountants? Did lots of engineering work go undone and books go unbalanced because we just didn’t have enough of those professionals? No. You will look in vain for evidence that the labor market was failing to provide enough qualified people to perform those or any other tasks.

Through the operation of the free market, the United States had always been able to fulfill its manpower needs. The only difference that the G.I. Bill made was to shift away from direct training programs – apprenticeships, for example – and toward training provided in college classrooms. If the G.I. Bill hadn’t been passed, the United States would still have had enough engineers, accountants, teachers and so on, but many would have learned their trade without spending four years in college, learning many other things (some valuable, some not) in the process. We no more need government educational subsidies in order to produce the right number of accountants than we need agricultural subsidies in order to get farmers to grow the right kinds of crops.

Moreover, college is a very expensive way of “training” people. Students who major in marketing, for example, learn something about marketing, but most of their credits will be in other fields. Supposedly, it’s desirable to require students to have a “well-rounded” education and that’s why they have to take some fine arts courses, some humanities courses, some social science courses and so on. But if students want to learn such subjects, they can study Beethoven’s symphonies, Shakespeare’s plays, or almost anything else on their own. Bundling a few background courses on a given body of work with a smattering of courses in various other disciplines isn’t very effective training – employers still need to do their own training for most entry-level positions – and rarely produces that “well-rounded” student either.
The illusions of the G.I. Bill

Without the G.I. Bill, the free market would have determined the number of engineers and accountants. With it, taxpayers had to cover the costs of four-year college degrees, whereas previously individuals or employers would have borne the cost for the necessary training. With this subsidy program, the government both shifted and enormously increased the costs of occupational preparation and, at the same time, created a new source of funds for colleges and universities – the federal government. They have never stopped lobbying for more.

The point of Simon’s article was to argue for a new or at least expanded G.I. Bill. “We must build a more skilled work force,” he wrote. “Every economic study suggests that we must invest more in education or we will harm the nation.” He proposed “a massive program of reskilling and reeducating the bottom 60 percent of the work force.”

That sounds great. But how would more formal education, paid for mainly by taxpayers, do anything to raise the earnings of truck drivers, retail clerks, waitresses, construction workers, or anyone else? Workers naturally tend to find the ideal level of training to maximize their income without governmental educational subsidies. Much as the education establishment and politicians may want us to think so, we cannot raise people up by their bootstraps just by subsidizing their college degrees.

Don’t get me wrong. I’m certainly not against higher education. I just don’t think that it is the only or necessarily the best way for people to acquire the skills they need to succeed in life. By subsidizing it heavily for the last 60 years, the federal government has turned the college degree from a mark of important personal accomplishment into just a credential that doesn’t necessarily mean anything except that the student managed to accumulate enough credits.

It’s true that many employers now require a college degree as a job qualification, but rarely is that requirement based on any particular skills or knowledge that an applicant could have acquired only in college. The degree requirement is generally just a screening device to keep from having to interview applicants with only a high-school diploma or less. When you reflect upon the fact that it is now common for employers to require a college degree even for many mundane jobs such as purchasing specialist or loan officer, you can see that the requirement is not based on the need for any great degree of knowledge, but merely on the (largely accurate) perception that high schoolers are apt to be less reliable and trainable than people who have a college degree.

Despite all the talk about “the next economy,” and how vital it will be to have “knowledge workers,” in truth the labor market is changing slowly if at all. Most of the work that is done today involves tasks that are not fundamentally different from what they were before the great expansion of higher education began. People make or build things; they transport things; they sell things; they repair things. Many of those things are much more sophisticated than in the past and they are made with more sophisticated tools, but the abilities required are not much different from what they were in the past. Most work is still learned on the job with little if any essential preparation in school other than the basic abilities with language and numbers. We shouldn’t need college for that, although many institutions now try to fill that role with remedial courses.

Naturally, there are many students who do benefit from their college studies, particularly those who master difficult material in mathematics, engineering, and the hard sciences. It is beneficial for them to go to college and often graduate school to augment their knowledge. Those students know who they are and would enroll in college whether there were government subsidies or not.

What about students from poorer families? If government didn’t subsidize higher education, its cost would be substantially lower, and there would be more private scholarships for promising students who couldn’t afford to attend. Furthermore, there is now developing a form of equity investment in the education of students whereby investors can earn a return on funds they put into college assistance for students. The details are intriguing. Miguel Palacios has written a paper on this prospect (www.cato.org/pubs/pas/pa462es.html) and there is a firm called My Rich Uncle that has been in the business since 2001. (See www.MyRichUncle.com.)

Rather than a tremendous boon to the nation, economics professor Thomas DiLorenzo calls the G.I. Bill “a budget-busting middle-class entitlement scheme that had destructive effects on higher education, and set the stage for virtually all our current educational problems.” I think he’s right. Opening the floodgates to students and thereby changing the focus of colleges and universities from the life of the mind to mass marketing of job credentials was a blunder of the first magnitude.

A basic tenet of economics is that when you subsidize something, the result is overproduction. That’s just as true for college degrees as for any other product, and that is exactly what the G.I. Bill has done. It has massively overproduced college degrees, saturating the United States with so many BA-holders that many of them now deliver pizza or sell computer games in mall stores. Only such a wealthy nation as the United States could afford to spend so much on education for so little return. The G.I. Bill played a major role in this development.”

 

George C. Leef is the director of the Pope Center for Higher Education Policy in Raleigh, North Carolina, and book review editor of The Freeman.

This article was originally published in the December 2004 edition of Freedom Daily.

 

V  Pour un GI Bill général, la gratuité de l’enseignement, le point de vue de l’extrême gauche
(Labor Party of America)

“Beginning in the 1970s and accelerating during the 1980s, costs of attending colleges and universities rose nationally, and sources of federal grant-in-aid support decreased relative to need. Aggregate tuition and fees at all kinds of institutions of higher education (private and public) rose from slightly more than $5 billion in 1970 to more than $55 billion in 1996. When adjusted for inflation, this amounts to a 170 percent increase, which was nearly two and a half times greater than the rate of growth in aggregate enrollments over that period (while real wages remained flat, or even declined, during that time). Meanwhile, in 1970 federal grants covered only 2.7 percent of total tuition and fees, but that was at a point when such costs, especially for in-state students at public institutions, were generally low and more easily manageable. By 1980, increasing concerns about rising costs had prompted increased government aid-covering more than 23 percent of tuition and fees nationally, though this increase hardly kept pace with increased costs. By 1996, such grants had declined and covered less than 12 percent of total tuition and fees. This retrenchment was partly the result of intentional rightist strategies to rein in what was perceived as a source of “adversarial culture” in universities and an expression of the corporate-led attack on social wage benefits of all sorts that might weaken labor discipline.

Increasingly, college attendance for all except the wealthy has become contingent on qualification for interest-carrying student loans. This filters out many potential students who either cannot afford the encumbrance of loan indebtedness or cannot qualify for loans. More students are prevented from completing degree programs because they exhaust the sums for which they qualify before satisfying the requirements. Still more take much longer to complete their courses of study than they otherwise would because they have to take off time to work. Still more are pressured by their debt burdens to pursue courses of study, or even subsequent lines of employment, outside their interests in hopes of earning enough to pay off their loans.

This state of affairs is inimical to a decent and just society. It imposes unacceptable, though typically unacknowledged, human costs in terms of social waste and unfulfilled potential, and it perverts the values of higher education. Moreover, it is unnecessary. A 1999 report from the US Department of Education’s National Center for Education Statistics indicates that in 1996 tuition and fee revenues at all two-year and four-year degree-awarding public educational institutions totaled just over $23 billion. This is a relatively small sum, equivalent to roughly 2 percent of current federal budgets. Even if increased access were to double the number of students attending colleges and universities and double the annual tuition demand to $46 billion, that would still be a sum easily absorbed within current budgets. Even potential increases in other forms of federal aid to students, such as Pell Grants for non-tuition expenses, would not prohibitively increase the total cost. The expenditure commitments could be absorbed easily by restoring minimal tax justice; for instance, simply closing corporate tax shelter loopholes introduced since 1990 would generate an estimated $60 billion annually.

One of the most regrettable and self-defeating developments within progressive policy circles during the last two decades has been an atrophy of practical, programmatic vision. This is especially true with respect to those policy areas that lie in the domain of social wage provision-for example, health care, education, affordable housing, income support, old-age security, civil rights, and labor rights. This has been one of Reaganism’s subtler, but more far-reaching victories. By seizing the political initiative and setting the terms of public debate, the right has so demoralized us and put us so completely on the defensive politically that we often seem capable of struggling only to minimize losses or, at best, to press for minimally incremental, often concessionary reforms. The result is that we have been unable effectively to counter the right wing’s fundamental proposition that government has little or no responsibility for securing the general welfare and providing access to opportunities for the enhancement of the lives of the general population. We seem to have lost the ability or the will to articulate policies for making the society as just and democratic as it should be; instead, we have become increasingly focused on trying to secure what we think might actually be attainable within a policy universe dominated by the right’s denial of the efficacy of public action.

This failure of progressive policy vision is understandable. Activist and advocacy groups that have faced the brunt of the endlessly escalating right-wing assault are necessarily forced into a defensive mode as their often already precariously situated constituencies have been its prime targets. However, the only way to turn the tide of the right’s war against the social gains won in the middle half of the twentieth century is to present clearly-and generate public discussion around-an affirmative policy agenda that addresses people’s most basic concerns and is a practical expression of a different view of public responsibility and governmental capacity. We need to shift the terms of public debate, to break the stranglehold of Margaret Thatcher’s right-wing mantra that the late Daniel Singer summed up pithily as TINA-There Is No Alternative-to the unrestrained action of market forces. This task does not contradict or override the more immediate struggles to preserve past gains that have been under concerted attack, such as commitments to racial and gender justice, social security for the elderly, and governmental provision of quality public services. Indeed, it is a necessary complement to them. The only way to preserve those gains is to challenge the arguments used in attacking them.

We need a clear voice that seeks to shift the terms of public debate by reasserting the principles of social solidarity and public responsibility that have become increasingly marginalized during the past two decades. This means focusing on objectives that speak to people’s immediate, everyday concerns-even if these lie beyond today’s political horizon and cannot reasonably be expected to bear fruit within less than several election cycles. Objectives such as universal health care and universal access to higher education are practically realizable if political will can be generated to implement them. How can we generate that will? We have to open a broad policy discussion that begins with the question, What would American public policy look like and how would our institutions operate if their first priority were to meet the most important concerns of the vast majority of the population?

This majority is not currently included among those that define the parameters of policy debate; they have not participated in calculating the supposed limits of feasibility and practicality that narrow the political horizon. Yet, as Michael Zweig has argued persuasively in The Working Class Majority: America’s Best Kept Secret, they are the American demos, the democratic base. The left’s most vital task, therefore, is to encourage a truly popular discussion about national priorities and the means to fulfill them. Not only do poll data indicate that education is already a broadly shared concern; in our own lives and in our interactions with others, we all recognize the strain that paying for higher education imposes throughout the population. So it makes sense to argue that significant potential exists for building grassroots support for realistic strategies that would make access to higher education available to all Americans, so far as interest and ability can take them.

In the comparably critical area of health care, the Maine legislature’s passage of a single-payer bill, signed into law by the governor, is the most dramatic recent indication of openness within the public to policy strategies that break sharply with neoliberal orthodoxy. In last year’s elections, single-payer ballot initiatives won by at least 60 percent majorities in non-binding referenda in six legislative districts across Massachusetts and in Alachua County, Florida (where the initiative received more votes than any presidential candidate). These are admittedly modest victories, but they at least reinforce a suspicion that popular sentiment can be cultivated in support of policies that address broadly shared needs in just and egalitarian ways, without subordinating them to market theology. The key ingredient missing from left politics at this juncture in the United States is a concerted strategy for building popular constituencies to pursue objectives that resonate with people’s concerns and harnessing those objectives to a social vision that lies outside the limits defined by current elite consensus.

That is in large measure how the right was able to change the terms of political debate in the first place, though the vision around which it articulates those concerns is largely a scam. After Barry Goldwater was swamped by Lyndon Johnson in 1964, militants of the right embarked on a strategic, long-term campaign that was largely grassroots-based. They realized that their push had been premature; the Johnson landslide showed them that it was necessary to take a step back and try to create a popular constituency for their political agenda. They pursued this objective by doing several things that we have consistently failed to do since the high period of civil rights and antiwar activism in the 1960s. They mobilized activists at the local level around issue-based campaigns that challenged the prevailing axes of incrementalist policy debate-for instance, for school prayer and tax cuts, against abortion, affirmative action, the Equal Rights Amendment, and school busing. They identified and cultivated bases of support around each of these issues and worked to knit them together into a coherent movement.

This is the stuff of social-movement building. For too long now progressives have operated as if we already have the mobilized constituencies that we need. The governing consensus in national politics indicates that we don’t. This is one of the strategic limitations of the domestic mobilization to challenge the World Trade Organization and other neoliberal globalization initiatives. While a focus on mounting highly visible international protests is understandable and perhaps necessary, by themselves those actions do little to deepen popular awareness of the dynamics and dangers that activists wish to combat. To that extent, these mobilizations may be self-limiting in scope and effectiveness.

Their continued success requires planting roots within the broader population. Most Americans, however, have at most inchoate and incoherent views of the stakes of economic globalization; the interpretation of this process for popular discourse remains-at least outside the ranks of already committed progressives and attentive union members-the province of corporate media and its sound-bite analyses. It is past time for us to learn the same lesson that the right learned after Goldwater’s defeat.

A common objection to this comparison is that the right succeeded because it plays to people’s fears, which are supposedly easier to mobilize around than more abstract, less emotionally charged political programs. But the concrete fears that most people experience most acutely connect much more immediately with the programs of the left: for example, fear of job loss and declining living standards, lack of access to adequate health care, affordable housing, and quality education. Another objection, largely a smear by smug neoliberals, is that the left proposes no new ideas and offers only opposition without clear, practical alternatives. But the right galvanizes its ranks largely around opposition to abortion, taxation, civil rights, immigration, and social spending. And what ideas are more shopworn in American politics than racism, nativism, and unrestrained property rights? Indeed, the right persists in presenting itself as an opposition movement even as it consolidates its dominance of the political landscape under the mantra of bipartisanship.

It is only by taking up the challenge of building a coherent movement, creating and cultivating popular support for a long-term struggle focused on everyday needs-what are sometimes described as “practical utopias”-that it will be possible to redefine the terms of national policy debate. Removal of financial constraint on access to higher education could be such an initiative. It could appeal immediately to students, parents, university faculty and staff, and the organizations that represent them. It also has a natural and historic base in the labor movement, and not only among unions that represent workers in the education sector. Free public education was one of the two main demands of the earliest American unions, along with the shorter work week.

Despite the right’s attempts to characterize public support for higher education as an upper-middle-class giveaway, this is an issue that has resonance throughout the population. The “Joe Sixpack” imagery that drives so much disingenuous right-wing populism is simply bogus. Interest in educating oneself and one’s children-for both instrumental reasons related to employment and noninstrumental reasons related to intellectual curiosity and self-fulfillment-is not by any means the exclusive property of the upper middle class. It is a condescending caricature that other working people do not have similar aspirations. Indeed, an element of this issue’s appeal is its broad resonance within the population; it has the potential to cut across the familiar lines of division by race, gender, age, inner city, and suburb that the right has successfully exploited and intensified over the past two decades.

The Debs-Jones-Douglass Institute, a nonprofit educational organization associated with the Labor Party, will put out a call this fall for a grassroots campaign to make higher education universally accessible to all academically qualifying potential students. (Accessibility also should require adequate remedial and developmental support for borderline admits and easy movement from community college through university on the basis of interest and demonstrated ability.)

This could be the beginning of a significant popular movement-on the order of earlier agitation for black Americans’ civil rights, for the eight-hour day, or for old-age assistance-that helps to redefine the terms of national political debate. As those earlier movements did, it could also achieve its own objectives and, in the process, expand the foundation of American democracy.”

Adolph Reed, Jr., is professor of political science on the Graduate Faculty of Social and Political Science at the New School for Social Research, a member of the Interim National Council of the Labor Party, and serves on the board of Public Citizen, Inc. His most recent book is Class Notes: Posing as Politics and Other Thoughts on the American Scene.

http://www.freehighered.org/h_dissen.html

http://www.thelaborparty.org/

Jim Hightower

“I point you to the Congress of 1944, which passed what became known as the GI Bill. It opened up higher education, previously the exclusive enclave of elites, to masses of Americans. Admittedly, Congress’s motive was not altruism — but panic. Some 14 million soldiers were about to return from World War II and there simply were no jobs for them. It could be quite explosive to have millions of mostly young and largely unskilled men milling around, most of whom had ambition and many of whom were coming home with lots of experience in how to use guns.

Better to channel this mass of energy, aspiration, and testosterone into…what? The answer was college, trade schools, and training programs. The GI Bill allowed veterans who could meet the academic qualifications to go to the school of their choice for up to four years — FREE! They received grants of up to $500, which in that day would cover all tuition, books, fees, etc. Plus, they got living stipends of up to $50 a month.

It was a major public investment in ordinary people — not a trickle-down approach, but percolate-up — and it worked.

The total cost was $14.5 billion — $1,860 per vet. There was a huge payoff for our nation from this investment — a 1988 congressional study of one group educated under the GI Bill found that every dollar invested produced a $7 increase in our nation’s output. Also, as happens after a good, soaking two-inch spring rain, many flowers bloomed across our country as a result of this showering of public funds on America’s grassroots:

The growth that the GI Bill stimulated in higher-educational enrollment fueled a broad expansion of colleges, trade schools, and other institutions, with many new institutions and campuses reaching for the first time into inner-city and rural communities, putting advanced education within physical and economic reach of people who otherwise might not have had the opportunity, or even considered the possibility of more schooling.

The boom in enrollment also meant a boom in construction jobs, and new educational facilities created other jobs — from teachers to janitors, administrators to cafeteria workers.

The college and university experience was dramatically democratized, broadened, and deepened as students from working-class and farm backgrounds were afforded the chance to go in large numbers to what had been havens for the elite.

The interesting mix of veterans and non-veteran students no doubt posed some problems for the professors but the experience was beneficial to both groups. Many of us were dismayed to discover how thoroughly one can forget the rudiments of high school education and more significantly, how to study. The ease with which “the kids” fell into the routine of college work was a very constructive, albeit competitive, influence on the mossbacks.”

An Economic Bill of Rights

FDR, State of the Union address, 11 Janvier 1944, A second Bill of Rights under which a new basis of security and prosperity can be established for all regardless of station, race or creed. Among these rights:

“The right to a useful and remunerative job in the industries or shops or farms or mines of the nation.

The right to earn enough to provide adequate food and clothing and recreation.

The right of every farmer to raise and sell his products at a return which will give him and his family a decent living.

The right of every businessman, large and small, to trade in an atmosphere of freedom from unfair competition and domination by monopolies at home or abroad.

The right of every family to a decent home.

The right to adequate medical care and the opportunity to achieve and enjoy good health.

The right to adequate protection from the economics fears of old age, sickness, accident and unemployment.

The right to a good education.”

VI  Sur les Noirs, une vision moins optimiste

The G.I. Bill and African Americans, Université de Columbia

“The G.I. bill is often considered democratizing agent because it removed economic barriers from higher education. But the highly visible and publicized effects that the bill had on higher learning can stand to overstate its achievements. While the numbers of veterans who took advantage of the bill’s education provision seems impressive, it becomes slightly less so when it is considered that approximately 80% of those veterans would have pursued higher education without the aid of a veteran’s benefit package. It is important also to note the context of the post-WWII era, and examine the bill’s effect on different populations in the country when considering just how successful the G.I. Bill was at democratizing access higher education. While the bill did offer veterans of the working and lower classes many new opportunities, it did not do so across race lines. Racism so prevalent in American society kept many African-American veterans from receiving their benefits. The legacy of institutional racism in the United States left most black families in poverty in the 1940s and 1950s, making the pursuit of education, even at a primary and secondary level, difficult as labor was needed at home. The 1946 and 1947 lynching of black veterans in Georgia and Louisiana served as a stark reminder that the threat of retaliatory violence for pursuing economic, political, or social equality was still very present. The playing field was far from level to begin with. African-Americans had fewer opportunities to earn college degrees with or without benefits because they could not enter college, either because of overcrowding at black colleges or inadequate preparation for college-level work.

There seemed to be little recourse for action. Many blacks veterans did not even receive their benefits. The Veteran’s Administration (VA), staffed almost exclusively by whites (7 African Americans out of 1,700 veterans were employed by the VA in one southern state in 1947), frequently denied black veterans from receiving their benefits. Historically black colleges and universities (HBCUs) were greatly impacted by the G.I. Bill. All but three HBCUs were located in the seventeen southern states, which contained 79% of the black population and where education was segregated. Less than five percent of these institutions were accredited. In theory, the bill granted all soldiers the same benefits, but most universities highly discouraged blacks from matriculating, and official or unofficial quotas existed at institutions which did admit blacks. With the economic barrier removed, some black veterans went to institutions of higher learning outside of the South. But the HBCUs absorbed a huge number of black veterans. In 1940 enrollment at HBCUs was about 43,003, a decade later it was 76,600. This growth in population placed pressure on these already struggling institutions, which, with limited facilities were forced to turn away an estimated 20,000 veterans in 1946 and 1947. The quality of education at HBCUs catered to a highly segregated workforce and was thus largely vocational. While other institutions of higher learning grew and expanded, at end of the era, HBCUs still held the lowest rank. The G.I. Bill certainly helped blacks go to college, but it helped whites more. In fact, it was a conduit for the rise of the white middle class. Barnard Professor Rosalind Rosenberg has lectured on the G.I. Bill as one of the first forms of affirmative action – for white middle class men. The humongous growth of institutions of higher learning and the shift in norms which considered college education important and valuable despite class as facilitated by the G.I. Bill was largely a phenomenon of the white male middle class. This idea is important in considering the debates on affirmative action today.”

Source : http://www.columbia.edu/~km635/GIBill/

Rencontre Roosevelt-Randolph (chef du syndicat des porteurs de Sleeping-Cars, et leader du mouvement noir), le 18 juin 1941 : “Roosevelt opened the session with his customary persiflage, irrelevantly inquiring which Harvard class Randolph was in. “I never went to Harvard, Mr President”, Randolph coolly replied. “Well, Phi