Scènes

Hernani à la Comédie Française

Hernani

Hernani

La programmation de la Comédie Française permet d’assister en ce mois de juin à deux pièces de Victor Hugo : une occasion unique de (re)visiter le théâtre du Prince des poètes sous deux formes complètement différentes.

Contrairement à Lucrèce Borgia qui a fait l’objet d’une nouvelle production, Hernani est une reprise de la saison dernière. Les partis pris de la mise en scène sont à l’opposé : autant celle d’Éric Ruf, dans Lucrèce, déploie tous les fastes du théâtre sur la grande scène et dans les ors de la salle Richelieu (1), autant celle de Nicolas Lormeau adopte pour Hernani la carte minimaliste sur la scène aux dimensions réduites du Vieux Colombier. Grande « machine » d’un côté, dispositif scénique réduit à presque rien, de l’autre : qui peut le plus peut le moins, c’est aussi cela la magie du théâtre.

L’argument de la pièce est résumé ainsi au début de l’acte V :

Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. – L’assaut donné, qui l’a ?
C’est le bandit.

Victor Hugo enchaîne en virtuose les péripéties qui conduiront à ce dénouement pas tout-à-fait exact, d’ailleurs, puisque le mariage ne sera pas consommé. Si les invraisemblances ne manquent pas dans cette chronique des amours contrariées d’Hernani et de Doňa Sol, ce n’est pas ici un défaut, car le drame romantique – cette forme particulière de la guerre entre l’amour et l’honneur – peut se passer de la rigueur logique. Ainsi Hernani veut-il tuer le roi d’Espagne pour venger la mémoire de son père ; il l’a plusieurs fois à sa merci mais, le roi devant rester vivant pour que l’histoire avance, l’auteur trouve les subterfuges pour l’épargner. C’est pour la même raison que le roi épargnera ses deux rivaux lorsque l’occasion lui sera donnée de les condamner à mort pour trahison.

Le roi et la duègne

Le roi et la duègne

À l’acte IV, le roi Carlos d’Espagne est désigné pour devenir l’empereur Charles Quint. Devant le tombeau de Charlemagne, il s’interroge dans un magnifique monologue qui dit tout sur les difficultés du pouvoir. Or sa première décision en tant qu’empereur concerne justement le duc et Hernani qui se sont ligués contre lui. À la fin de l’acte, il s’adresse à nouveau à Charlemagne gisant dans son tombeau :

Je t’ai crié : — Par où faut-il que je commence ?
Et tu m’as répondu : — Mon fils, par la clémence !

Deux alexandrins superbes comme la pièce en contient tant, parmi lesquels certains des vers les plus connus de Victor Hugo. Par exemple, dans la bouche d’Hernani :

Je suis une force qui va!
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres!
Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.

Sans oublier, prononcé par Doňa Sol, le fameux : Vous êtes mon lion superbe et généreux! Un vers à propos duquel Alexandre Dumas, dans ses Mémoires, raconte que Mademoiselle Mars, qui jouait Doňa Sol lors de la création de la pièce, en 1830, avait contesté – en vain, évidemment – cette métaphore. Ce n’est pourtant pas ce qui fit le plus scandale… Aujourd’hui, bien que le vers ne puisse plus choquer personne, les esprits mal tournés y verront peut-être un certain comique involontaire dans la mesure où Félicien Juttner, l’interprète d’Hernani, mince et de petite taille, n’a en rien le physique d’un lion.

Le duc et Hernani

Le duc et Hernani

En dehors de cette interrogation sur le choix d’un comédien, le spectacle ne mérite que des éloges. Comme pour État de siège dont nous avons rendu compte récemment (2), le metteur en scène a choisi de resserrer l’action, ici autour des quatre personnages principaux et de six comédiens, les deux derniers interprétant respectivement quatre et trois personnages différents. Les costumes évoquent le XIXe siècle, celui de Hugo, plutôt que le XVIe siècle de Charles Quint. Le plateau est nu jusqu’au quatrième acte. Apparaît alors le sarcophage de Charlemagne, un simple parallélépipède rectangle, gris, qui deviendra au cinquième acte, agrémenté d’une couette et d’un oreiller blancs, le lit des noces d’Hernani et de Doňa Sol.

Pas d’autres accessoires, sinon les indispensables mousquets, dagues et rapières, et le cor qui sonnera la fin de la partie. La suppression des décors s’explique aussi par le dispositif bi-frontal retenu par Nicolas Lormeau, toute l’arrière scène étant occupée par des gradins montés pour l’occasion. Grâce à ce « décadrage » le metteur en scène entend « ouvrir un cadre émotionnel ». En même temps, la disparition du « premier mur », celui du fond de la scène, a pour premier résultat de faire davantage ressortir le côté artificiel du théâtre, puisqu’il suffit de lever les yeux pour voir, face à soi, d’autres spectateurs. Dès lors, les sentiments des personnages nous importent finalement assez peu, d’autant que ces derniers se trouvent plongés – comme on l’a dit – dans des situations souvent invraisemblables. L’attention peut alors se concentrer sur l’essentiel : le texte – les vers de Victor Hugo, qui sont une merveille de bout en bout – et le jeu des comédiens, d’un classicisme de bon aloi, très « Comédie Française ». Avec une mention spéciale à Bruno Raffaelli qui campe un duc de Silva particulièrement convaincant et qui se montre vraiment émouvant dans la tirade du vieillard amoureux.

Hernani et Dona Sol

Hernani et Dona Sol

Enfin, on n’omettra pas de signaler les contributions à ce spectacle de Bertrand Maillot et de Pierre Peyronet. Ils créent à eux deux une ambiance de sons et de lumières qui fait oublier l’absence de décors.

Les interprètes. Doňa Sol : Jennifer Decker ; Hernani : Félicien Juttner ; le duc : Bruno Raffaelli ; le roi : Jérôme Pouly. Avec également la Duègne, etc. : Catherine Sauval (en alternance avec Coraly Zahonero) ; Don Ricardo, etc. : Nicolas Lormeau.

Crédit photos : Brigitte Enguérand.

(1)   Voir « Lucrèce Borgia, somptueuse et perdue », http://mondesfr.wpengine.com/espaces/periples-des-arts/a-la-comedie-francaise-lucrece-borgia-somptueuse-et-perdue/

(2)   Voir « État de siège : une re-création », http://mondesfr.wpengine.com/espaces/periples-des-arts/etat-de-siege-une-re-creation/