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Deux nouveaux opus de Faubert Bolivar, poète et dramaturge

« Le vieux nom que je porte
est un charme d’oiseau à charge »,
Une pierre est tombée…, p. 16.

faubert_bolivar-360Faubert Bolivar, né en 1979 à Port-au-Prince, enseigne la philosophie à Fort-de-France. Son œuvre, irriguée par les racines caribéennes qu’il n’a jamais coupées, se caractérise tant par un lyrisme souvent cru que par le regard acéré sur l’île natale. Les lecteurs de mondesfrancophones connaissent déjà le poète de Mémoires des maisons closes (2012), de Lettre à tu et à toi et de Sainte Dérivée des trottoirs (2014)[i]. Il nous revient avec un nouveau recueil, Une pierre est tombée, un homme est passé par là et une pièce de théâtre, Mon ami Pierrot.

Dans Une pierre est tombée…, Bolivar renoue avec la forme brève qui était déjà celle de Mémoires des maisons closes. Les poèmes de quelques vers égrenés au fil des pages du recueil sont autant de petites histoires évoquant l’amour avec des mots qui nous prennent au dépourvu.

Il y va dans ce poème de cet amour chaud
Non comme le pain du matin
Mais comme une patate chaude
Non comme le soleil au lever du jour
Mais comme une marmite de pois secs
(p. 32)

Bolivar qui vit au pays de Césaire chante lui aussi la négritude mais avec une autre musique.

Car amie, noire, ma bête de bouche et de hanche
Le carrefour est à nous, pour nos deux
Pour nos deux eaux noires
(p. 65)

Le point de vue de la femme aimée est également présent, qui se mêle mystérieusement à celui de l’amant.

Je t’ai vue me voyant
Un collier de nuits nouées
À ton rire d’os sec
Avec mon cœur de chienne
Et ton mot de voleur
(p. 36)

La forme se fait classique, parfois, avec des alexandrins qui surgissent.

C’est ainsi que le jour s’est installé chez nous
Avec son soleil blanc
Sa gaine et ses dentelles
(p. 14)

La passion, la violence ne sont jamais loin.

Car c’est d’un amour à foutre le feu que je t’aime (p. 33)

Il n’y a pas cependant que l’amour et la passion dans le cœur du poète, il renferme encore la tendresse pour Haïti, l’île martyre.

C’est un pus qu’est ma terre
Une puce où bout un peuple
battant très faible
(p. 39)

Bolivar est un poète surréaliste comme ce recueil ne cesse de le confirmer.

Je suis un chien et ma langue est à boire
C’est un aboiement ma bouche et ma hanche
Je viens de là où nul ne va
Je vais là d’où nul ne vient
(p. 61)

C’est un délice qu’est l’amour
Quand il souffle comme le vent
Dans mes feuilles
(p. 70)

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Mon ami Pyero fut d’abord une pièce en créole, couronnée par le prix Marius Gottin d’ETC Caraïbe[ii] en 2013. La version française, Mon ami Pierrot, publiée dans une collection consacrée à la création dramaturgique francophone, est le fruit d’une résidence d’écriture à Limoges en 2015. Si, à l’instar de La Flambeau, la pièce précédente de Bolivar[iii], celle-ci se situe en Haïti, la situation est différente. On n’est plus à une époque indéfinissable dans la demeure d’un politicien véreux, mais aujourd’hui dans un repère de truands qui vivent en rançonnent leurs otages. Ils sont quatre personnages, le chef des bandits et sa fille, son « employé », exécuteur de ses basses œuvres, et enfin un prisonnier. L’essentiel se noue entre les deux derniers, dont on apprendra vite qu’ils se connaissent depuis l’enfance, qu’ils furent amis. Jonas, le prisonnier, est un intellectuel qui tente de se battre contre les injustices à l’aide de sa seule plume ; Pierrot, le geôlier, qui n’a pas fait d’études, qui est bègue de surcroît, ne devrait pas faire le poids en face de lui. Il n’en est rien et leur dialogue, tendu, est au diapason d’une histoire où la mort menace constamment, avant de frapper, dans une fin digne de la tragédie antique, qui et par qui l’on n’attendait pas.

Particulièrement bienvenue dans cette pièce, la réflexion sur le rôle des intellectuels dans un pays comme Haïti. S’ils sont libres aujourd’hui de s’exprimer, il est légitime de s’interroger sur leur influence. Words, words, words ! (Hamlet) : à quoi sert d’avoir le magistère de la parole si l’on ne change jamais rien d’essentiel ?

L’écriture proprement dite de la pièce est non moins intéressante que sa construction. Chaque personnage a sa manière de s’exprimer, plate pour Jonas, hésitante pour Pierrot, délirante pour la fille et véhémente pour le chef comme on en jugera par ce bref extrait :

…Mon nom c’est l’argent, zobop !
Donne-moi de l’argent, zobop !
Crache-moi de l’argent, zobop !
Chie-moi de l’argent, zobop !…

 

Une pierre est tombée, un homme est passé par là, coll. « Poésie » (dirigée par Lyonel Trouillot), C3 Éditions, Port-au-Prince, 2016, 92 p.
Mon ami Pierrot, coll. « Libres courts au Tarmac », Éditions Passage(s), Caen, 2016, p. 95-160 [dans un recueil de trois textes pour le théâtre incluant Bob de Nassuf Djailani (Mayotte) et Des ombres et des lueurs de Criss Niangouna (Congo)].

 

[i] Cf. « Faubert Bolivar, un nouveau surréaliste », http://mondesfr.wpengine.com/espaces/pratiques-poetiques/faubert-bolivar-un-nouveau-surrealiste/

[ii] « ETC Caraïbe » : Ecriture Théâtrale Contemporaine en Caraïbe, association créée en 2003 dont l’objet est la découverte et l’accompagnement des nouveaux auteurs issus de la Caraïbe.

[iii] Cf. « Ecritures théâtrales en Martinique », Critical Stages, n° 11, june 2015. http://criticalstages.web.auth.gr/ecritures-theatrales-en-martinique/