Scènes

Billet d’Avignon 2014-7. « Mai, juin, juillet » de Denis Guénoun

Mai juin juilletLe festival d’Avignon a été bien plus perturbé en 1968 par les « révolutionnaires » de mai qu’il ne l’est aujourd’hui par les intermittents. Aussi cela donnait-il un curieux sentiment d’irréalité que d’entendre, en préambule à Mai, juin, juillet, la voix enregistrée qui délivre désormais un message de solidarité avec le mouvement des intermittents, avant chaque représentation, dans la plupart des théâtres, IN ou OFF. De quelle solidarité s’agit-il en effet ? Celle des comédiens, intermittents pour certains, dont la participation à la pièce affaiblit incontestablement le mouvement ? Celle des spectateurs qui applaudissent complaisamment le message mais ne voudraient surtout pas être privés de leur spectacle ?

Quoi qu’il en soit, la pièce écrite par Denis Guénoun et mise en scène par Christian Schiaretti, le directeur du TNP (Villeurbanne), est une réussite (1). Il n’était pourtant pas si aisé de faire d’un tel sujet un spectacle, même si « les événements de 68 » sont vus ici principalement à travers leurs répercussions dans le domaine théâtral.

La pièce est divisée en trois parties : la première (Mai) est consacrée à l’occupation de l’Odéon de Jean-Louis Barrault, à Paris ; la seconde (Juin) à la réaction des directeurs des théâtres publics et maisons de la culture ; la troisième (Juillet) aux événements qui se sont déroulés en Avignon, dus principalement à l’attitude du Living theatre, la troupe invitée, qui s’est rangée du côté des perturbateurs.

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Après le communiqué des artistes solidaires des intermittents, la pièce commence avec le comédien qui incarne Jean-Louis Barrault (Marcel Bozonnet, excellent). Il dit le texte d’une lettre que Barrault est censé avoir écrite à Vilar, un prétexte pour nous expliquer son amour du théâtre et pour nous raconter comment il vécut l’occupation de l’Odéon, avant que celle-ci ne nous soit montrée, immédiatement après. Tout d’un coup, les loges s’illuminent et nous les découvrons remplies sur les trois niveaux de l’opéra d’Avignon par les étudiants en train d’envahir l’Odéon. Ils se renvoient la parole d’un côté à l’autre comme une balle, sans aucune interruption. C’est un très beau moment de théâtre, peut-être le plus beau, mais les discours respectifs des deux maîtres (Barrault au début et Vilar à la fin de la pièce), très « écrits », dans une prose poétique, sont également fort beaux. L’Odéon occupé est lui-même très bien décrit, avec les discours (ou plutôt les prises de parole) révolutionnaires, l’affrontement entre les étudiants et les syndicats, les tentatives de Barrault pour libérer son théâtre (mais il n’a jamais été aussi libre !, lui rétorque-t-on). Sont évoquées également les discussions au sein du gouvernement – faut-il employer la force pour faire évacuer l’Odéon (et la Sorbonne) ? – avec un comédien qui incarne le général de Gaulle (Philippe Vincenot) et un autre les principaux ministres (Stéphane Bernard qui campera encore, au troisième acte, un Malraux très convaincant). Cet épisode se clôt sur la réponse célèbre de Barrault à Malraux qui lui demandait de couper l’électricité à l’Odéon : « serviteur oui, valet non ! »

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« Juin », qui est centré sur la réunion des responsables de lieux culturels est moins abouti, le sujet étant, il est vrai moins porteur. On sent bien, néanmoins, la volonté de ces responsables de faire quelque chose sans trop savoir quoi. Une belle scène lorsque tous ces messieurs encostumés montent sur la table et se mettent à danser.

« Juillet » déçoit également un peu, même si Jean Vilar (Robin Renucci) est lui aussi excellent. On attendait, on aurait voulu voir le Living sur scène puisqu’il fut le semeur de trouble principal du festival d’Avignon. Or cette histoire nous est racontée plutôt que jouée. Et l’on voit simplement Vilar commenter avec des jeunes manifestants ce qui s’est passé, contrairement au premier acte où l’occupation de l’Odéon était revécue sur le plateau.

 

Il ne faudrait pas, cependant, laisser de Mai, juin, juillet une impression négative. C’est au contraire, et de loin (à égalité avec Le Sorelle Macaluso) le meilleur spectacle qu’il nous a été donné de voir dans le IN cette année. Le texte retient constamment l’attention, qu’il s’agisse des monologues de Barrault et de Vilar ou des dialogues, et séduit souvent. De même que l’idée d’introduire l’auteur (Magali Bonnat) sur le plateau, pour commenter les événements et le spectacle lui-même avec des interlocutrices incarnant successivement Mai, Juin, et Juillet, puis, à la fin, Poésie et Révolution. Christian Schiaretti a dirigé de main de maître les cinquante (oui 50 !) comédiens de la distribution et nous offre une mise en scène impeccable. Les spectateurs d’un âge avancé, qui ont pris part, peu ou prou, aux événements de 68 retrouveront dans Mai, juin, juillet les emballements (et les errements) de leur jeunesse. Les autres y trouveront des raisons de réfléchir sur quelques questions essentielles, comme, par exemple, la nécessité et/ou l’impossibilité de la révolution. Du vrai théâtre politique.

Crédit photo : Ch. Raynaud de Lage.

 

(1)    C’est le même Christian Schiaretti qui a monté, en 2013, Une Saison au Congo à l’occasion du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire. La pièce a été représentée à Fort-de-France à l’automne de cette même année.