Scènes

Billet d’Avignon 2014-2. « Hypérion » ou l’antithéâtre

Pour les jeunes générations, Hypérion est une saga futuriste de Dan Simmons. Dans la mythologie grecque, c’est l’un des titans, assimilé au soleil. Mais c’est du roman épistolaire de Friedrich Hölderlin (Hypérion ou l’Ermite en Grèce) qu’est partie Marie-José Malis, nouvellement promue à la tête du Théâtre de la commune, à Aubervilliers, pour créer le spectacle présenté en Avignon dans le cadre du IN. Ce texte écrit tout à fait à la fin du XVIIIe siècle, empreint de romanisme, à vision messianique, ne correspond guère à notre sensibilité. M.-J. Malis s’est pourtant intéressée à lui en raison des questions qu’il pose, des questions qui, de fait, ne sont pas dépourvues de toute actualité dans notre époque troublée. Par exemple : Faut-il passer à l’action révolutionnaire ? Quelles leçons tirer des échecs du passé ? Hölderlin a commencé à écrire son roman en 1795, après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur, en France. Plutôt robespierriste, il conclut néanmoins que la Révolution sera poétique ou ne sera pas. Il y a donc, en effet, dans ce texte, de quoi donner à penser. Encore fallait-il trouver la forme adéquate pour nous faire entrer dans la poésie quelque peu grandiloquente, pour ne pas dire pontifiante de l’auteur. M.-J. Malis a présenté l’esprit de son travail dans une interview à Libération (4 juillet 2014).

Hypérion (Ch. Raynaud de Lage)

« Il y a très peu d’action dans l’espace. Je ne passe pas du tout par le personnage. Je cherche à faire apparaître les conséquences du texte quand l’acteur se met à penser tout de bon à ce qu’il dit. C’est de là que naissent les phénomènes d’émotion, non pas l’émotion des personnages, mais d’individus en situation d’énonciation. Cela demande beaucoup de lenteur. Il faut casser la machine expressive des acteurs, stopper la locomotive… »

Que dire de ce parti-pris radical sinon qu’il a conduit à un échec flagrant ? Les neuf comédiens, presque toujours statiques, essayent de prendre l’air intéressé chaque fois qu’un autre a la parole. Ce dernier, qui a pris souvent l’avant-scène pour mieux se faire entendre, profère son texte sur un rythme qui n’est pas seulement lent mais syncopé (à la manière de ces intervenantes, journalistes ou productrices, sur les radios publiques, qui ont pris l’habitude de couper leurs phrases n’importe où, sans tenir aucun compte de la ponctuation. Est-ce pour faire chic ?) Dans l’Hypérion de M.-J. Malis, ce tic imposé aux comédiens est poussé au paroxysme et l’on se prend à essayer de deviner la fin de la phrase avant qu’elle ne soit prononcée. Par exemple, à un moment, un comédien déclare qu’il nettoie. Quoi ? la terre. Comment ? il explique d’abord qu’il faut débarrasser le terrain de ses pierres, puis il ajoute qu’il faut « écraser avec la houe ». S’ouvre alors un de ces interminables silences chargés de favoriser l’émotion de « l’individu en situation d’énonciation » … et du même coup, peut-on supposer, celle du spectateur. Sauf que ce dernier est tout à son jeu de devinettes. Ici la réponse (la suite de la phrase) était, bien entendu : « les mottes trop dures ».

Le décor est égyptien, en référence aux printemps arabes. Cependant, comme l’action était située en Grèce par l’auteur, on remarque une enseigne en caractères grecs.

Le spectacle s’étire indéfiniment en raison de la règle de diction imposée. Les spectateurs, peu à peu, se découragent et quittent la salle. Dans les différents textes de présentation de la pièce, nous n’avons vu nulle part que M.-J. Malis s’interroge sur ce que doit être le théâtre politique aujourd’hui (1). A l’évidence, la forme qu’elle a choisie n’est pas la plus propice. Par ailleurs, alors qu’Avignon est secouée par la tempête des intermittents, comment peut-on présenter un spectacle sur la révolution sans y faire la moindre allusion, ne serait-ce qu’en affichant une solidarité minimale (voir notre précédent billet) ?

Crédit photo : Ch. Raynaud de Lage

(1)    Selim Lander, « Le théâtre et ses spectateurs », Esprit, mars-avril 2014.