Scènes

Billet d’Avignon (5) – « Damas ! Fragments »

Un hommage décapant de la Guyane à son poète

La Guyane ne pouvait pas manquer le centenaire de Léon Gontran Damas (1912-1978), son grand poète et ancien député à l’Assemblée nationale française. Tandis que la mairie de Cayenne affiche sur ses murs des versets de « l’inventeur de la Négritude », une commande publique est à l’origine de la pièce présentée en Avignon.

La poésie de Damas n’est pas élégiaque, elle n’est pas non plus grandiloquente, elle bruisse, elle crie d’indignation et de révolte. Elle est syncopée comme un morceau de jazz ou sensuelle comme une mangue bien mûre.

« Qu’attendons-nous / les peu / les rien / les chiens / les maigres / les nègres / pour jouer aux fous / pisser un coup / tout à l’envi / contre la vie / stupide et bête / qui nous est faite » (Black Label).

Renonçant d’emblée à toute ambition pédagogique (le grand homme, sa vie, son œuvre…), ce spectacle s’attache principalement à évoquer le Damas dandy habitué des clubs de jazz parisiens. La musique joue un grand rôle, avec un pianiste sur scène et une chanteuse de blues (Régine Lapassion, petite bonne femme douée d’une voix et d’une présence envoutantes).  Le dispositif scénique est composite : d’un côté la boite de jazz avec les musiciens, un guéridon, une chaise de bar ; de l’autre, juchée en hauteur, avec une longue robe qui descend jusqu’au sol où elle devient tapis ou plutôt sol, la « terre-mère » incarnée par Valérie Whittington, hiératique et solennelle. Entre les deux, passant de l’un à l’autre, un Damas (Grégory Alexander, tout en muscles et en énergie) tourbillonnant, bondissant, qui – suivant son humeur – dit ou éructe des poèmes :

On sort de là saoulé de musique, de poésie, les yeux encore remplis par les images de corps qui se cherchent et se rejoignent parfois (une mention particulière pour l’éclairage). Si le théâtre est fait pour nous ravir dans un autre monde, où les sensations sont plus vraies, plus fortes que dans le monde réel, alors ce Damas mis en scène par Patrick Moreau (assisté de Raffaele Giuliani) s’avère une parfaite réussite théâtrale.

Selim Lander, Avignon 2012.