Films

Aki Kaurismäki, cinéaste des couleurs dans Le Havre.


Le Havre
a reçu l’année dernière le prix Louis Delluc qui couronne chaque année le meilleur film d’auteur français (ou de production française), après le prix de la critique internationale obtenu au festival de Cannes (toujours en 2011). Les cinéphiles français connaissaient et appréciaient déjà Kaurismäki pour les films qu’il a tournés auparavant chez lui, en Finlande, en particulier L’homme sans passé déjà récompensé à Cannes par un Grand Prix et le prix d’interprétation féminine (en 2002).

Jean-Pierre Darroussin et Évelyne Didi

Cette fois, c’est donc en France et au Havre que Kaurismäki à installé ses caméras. Il a fait appel pour la circonstance à quelques acteurs français de renom, en particulier à deux Jean-Pierre : Darroussin (célébrité d’aujourd’hui) dans le rôle du flic et Léaud (celui qui fut) dans le rôle du traître. On retrouve également Pierre Étaix en médecin compatissant. Mais le rôle principal est tenu avec talent par André Wilms, comédien de moindre renom. Il y a des femmes aussi dans le film, ô combien présentes, à commencer par Kati Outinen, la comédienne fétiche de Kaurismäki, celle-là même qui obtint le prix d’interprétation à Cannes en 2002. Célèbre ou pas, aucun de ces comédiens ou comédiennes n’a un physique de star. En dehors du jeune Miquel Blondin, ils portent le poids des années sur leurs visages comme dans leurs corps. Kaurismäki déteste tout le clinquant du cinéma et même l’ordinaire de l’humanité ne l’intéresse pas ; il préfère de loin les « trognes ». C’est un Daumier, dirait-on, qui ne se plaît que dans la caricature mais qui ne déprécie jamais ses sujets, lesquels sont plus chargés d’humanité que toutes les stars d’Hollywood.

André Wilms et Kati Outinen

Kaurismäki a d’autres signes distinctifs. Sa direction d’acteurs par exemple. Chez lui les comédiens ne sont pas livrés à eux-mêmes. Il leur impose un jeu totalement distancié qui rend impossible toute identification du spectateur avec les personnages qu’il voit sur l’écran. Gros plan sur les visages, mouvements suspendus, texte réduit au peu qu’il faut pour éclairer l’action, diction plate et atone. S’il faut chercher un cinéaste minimaliste, Kaurismäki est bien celui-là. Nous ne parlons ici, bien entendu que des « vrais » cinéastes, ceux qui acceptent de raconter une histoire. Car il y a bien une histoire dans ce film, une histoire (un peu trop) pétrie de bons sentiments, celle de l’enfant africain sur le chemin de l’Angleterre, qui échoue par hasard au Havre  où il sera pris en charge par le (très) petit peuple qui l’aidera à réaliser son rêve. Sans faire de mauvais esprit, on notera que le scénario ne prend pas de risque : car si tous ces gens de bonne volonté aident un clandestin, c’est pour l’aider à quitter la France : nuance !

André Wilms et Miquel Blondin

On pardonnera à Kaurismäki ce que l’anecdote a de convenu, car la puissance de son cinéma se trouve moins dans l’histoire (que les documents promotionnels préfèrent d’ailleurs appeler une fable) que dans la capacité qui est la sienne de créer un monde dans lequel il enferme littéralement ses spectateurs. Cela est certes dû en partie au « casting » – disons plutôt au choix des comédiens – et à la manière de les diriger. Néanmoins la couleur est un autre élément qui ne saurait être négligé, ce qui justifie le titre de cette chronique.

Couleur de la nostalgie d’abord. Nous sommes au Havre aujourd’hui mais, en dehors des bandes d’actualité montrant les immigrés  de Sangatte, rien ne permet de nous rattacher au présent. Les vêtements, les ustensiles de cuisine, les meubles, les voitures, tout nous ramène aux années 60.

Couleurs de la palette surtout. Kaurismäki attache un soin maniaque au décor. Les bleus, les camaïeux de bleu sont omniprésents, avec de temps en temps quelques taches de jaune ou de rouge vif.  Nous sommes immergés dans un monde organisé par une harmonie picturale. Et si nous ne nous identifions pas aux protagonistes du film – parce que l’histoire est trop évidemment une affabulation – nous participons par contre pleinement à leur univers. Pour nous, comme pour Kaurismäki, le monde est devenu bleu (qui se trouve être, soit dit en passant, d’après les psychologues, notre couleur préférée) et nous nous y trouvons bien.

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