Mondes européens

La Révolution française s’est suicidée: une déconstruction

 Sommaire:

Cette étude est en effet une évaluation critique de la Révolution française depuis sa brillante parturition, ses paradoxes, jusqu’ à sa présente décrépitude ; se contredisant elle-même à l’intérieur et en dehors de ses frontières naturelles hexagonales, face à la postulation agressive de la  liberté  exprimée par les peuples d’ailleurs

 

Comme dans la Révolution française de 1789, le pouvoir redoutable du peuple (et non des partis politiques) au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, est entré en action, contraignant les despotes en Tunisie et en Egypte à démissionner. Il y a eu aussi des répercussions au Yémen, en Syrie, au Maroc, en Algérie, dans l’État de Bahreïn et en Libye. Au vue de cette vague révolutionnaire qui rase presque tout au passage, l’on se pose déjà la question de savoir quel sera le sort  d’obscures démocraties disséminées à travers l’Afrique subsaharienne? Ces mouvements sont des «révolutions», en ce sens que le mot «révolution» se réfère généralement à un «changement fondamental plus ou moins violent qui touche le système de gouvernance et l’économie d’un pays». C’est la Révolution française qui avait renversé la monarchie et brisé les chaînes du féodalisme, de la tyrannie et de l’absolutisme. Avant la Révolution française, la France pratiquait le féodalisme : la noblesse, les seigneurs féodaux et l’élite dirigeante jouissaient de privilèges spéciaux. Les personnes affamées de Paris qui avaient souffert de mauvaises récoltes ont attaqué la prison de la Bastille afin de libérer les prisonniers politiques. Tout comme à la veille de la Révolution française, en Tunisie (2011), une foule de citoyens des faubourgs, des villes et des campagnes, des jeunes diplômés, sans emploi, affamés et frustrés, a battu le pavé armée uniquement de banderoles, de bâtons, de pierres ; mais bien déterminée à combattre jusqu’à la dernière goutte de leur sang, la vieille horde de tyrans  protégée par des sbires et des policiers lourdement armé. En Tunisie pour ainsi dire, ce soulèvement voulait mettre fin à la dictature du Général président Zine El Abidine Ben Ali.

Les événements de Tunisie, où plusieurs ouvriers ont manifesté contre le chômage et la dictature et chassé le président Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir,  commencèrent le 14 janvier 2011. En effet, le 17 décembre Mohamed Bouazizi, un diplômé d’université âgé de 26 ans, travaillant comme vendeur de rue, s’est immolé par le feu pour protester contre les conditions économiques âpres et la brutalité policière ;  il est décédé le 4 janvier 2011 de suite de ses blessures. Voila donc l’étincelle qui déclencha la révolte générale,  laquelle par la suite a traversé le monde arabe, d’une dictature à l’autre ; celle que les médias occidentaux baptisèrent,  « Révolution des jasmins » ou «printemps arabe» (à l’effigie du « printemps de Moscou » ?).  Les  manifestations ont débuté dans les régions pauvres de l’est et du sud de  Tunisie avant d’atteindre Tunis en se répandant dans tout le pays telle une trainée de poussière. Le régime du président Zine El-Abidine avait réagi par l’usage disproportionné de la force et cette répression policière aveugle contre les manifestants déterminés, fit des centaines de morts parmi les civils. Ne pouvant contenir la foule toujours menaçante, le dictateur du s’enfuir vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier 2011, chassé par celle-ci.  Ben Ali et sa femme, avaient  comparu le 22 juin 2011 « in absentia » devant la Cour suprême de Tunis qui les  condamna  à 35 ans de réclusion criminelle. Mais  ils échappèrent de justesse à la guillotine.

 

La Ministre Alliot-Marie: un anachronisme vivant

L’on aimerait bien comprendre comment diantre! un pays comme la France, considéré comme le berceau de la révolution,  soit restéindifférent (habituellement) aux cris révolutionnaires et aux combats des autres,  ceux qui tentaient (comme en 1789) de briser les chaînes de la tyrannie et de l’oppression ;  pire encore, comment la France ait pu proposer d’aider un dictateur  à réprimer son peuple qui se révoltait contre les abus d’un pouvoir absolu. Luder écrit : «Les événements tunisiens ont exposé la politique pro-impérialiste de la France». [1] Dès le début des manifestations en Tunisie, la Ministre française Michèle Alliot-Marie avait déclaré lors d’une interview: « la France pourrait partager son expertise en matière  de politique sécuritaire avec les forces tunisiennes… si l’Etat Tunisien le désire, …» [2]

Ce discours de Mme Alliot-Marie  rapidement repris en choeur  par tous les magazines, les journaux, les télévisions…de par le monde,  fut perçu comme un appel de pied aux autorités tunisiennes, pour assister les cerbères du système  à manier adroitement la matraque. Un attitude condamnée par l’opposition tunisienne et étiquetée comme la preuve du soutien par la  France (« terre  des droits humains ») aux forces répressives de ces mêmes droits. Ces barbouses  firent au bas mot 78 morts, les premiers jours seulement et des centaines de morts, un mois plus tard. La rhétorique maladroite et l’audace d’Alliot-Marie furent également décriés dans le  cercle d’intellectuels français, lequel en direct, avait été  témoin de cette idylle complice et de contre-nature entre dictateur Ben Ali sans scrupules et Sarkozy le garant des droits  de l’homme et le boss d’ Alliot Marie. Après cette bévue  rhétorique, la France politique ainsi soupçonnée, trouva la panacée ; fit le geste de « Pierre l’apôtre », trahissant et reniant l’ami, en  prenant des distances par rapport à Ben Ali (l’ancien pote de l’Elysée et de Matignon) ; allant même jusqu’à lui refuser l’exil, à lui ainsi qu’à sa famille et sommant les banques françaises de geler tous ses avoirs en France. L’ incident du « Tunisian gate » eut pour conséquence le limogeage de la Ministre Alliot-Marie, le 28 février 2011, exit sans gloire. C’était inscrit dans l’histoire.

Les signifiés de cette panacée gouvernementale suggèrent  plutôt une sorte de réaction tardive. Alliot-Marie en tant que pivot de la politique extérieure française, avait été sur un faux pas, liquidée telle une brebis galeuse  sur l’autel des intérêts et de  l’impérialisme. Nous pensons qu’elle est donc un anachronisme vivant, en ce sens qu’en exprimant trop vite la vieille mentalité hégémonique et néocoloniale, dépassée désuète dans un présent grouillant de jeunes révolutionnaires au sang neuf et peu intimidables, décidés d’enrayer les engrenages de la mécaniques néocolonialiste; elle était bien en retard sur le temps, bref ringarde.

Par de tels actes, la France apparaissait comme une superpuissance qui n’a vraiment jamais lâché ses anciennes colonies,  ou pire encore, qui ne les a jamais traitées en partenaires égaux («Egalité»). La sémantique multiforme de « Liberté-Égalité Fraternité » ronflant dans l’hémicycle doré du Sénat Français n’a pas la même interprétation dans le giron de la coopération entre la France et plusieurs pays et peuples qui ressentent eux aussi en eux, les démangeaisons de la liberté et de la dignité. La tyrannie  en Tunisie et dans d’autres pays africains semble être des faits anodins aux yeux de la « mère patrie ». En effet la France pose très rarement des questions relatives aux pouvoirs oppressifs dans ses « pré-carrés », même relatives à ceux  des potentats qui, dans leurs pays dits « démocratiques » passent quarante années au pouvoirs, alors qu’en quarante années, la France a vu sept présidents se succéder à sa tête.

Au contraire, l’Hexagone terre des libertés par des talentueuses comme  Alliot Marie , excelle mieux à proposer de vendre aux dictateurs son expertise en matière de savoir-faire répressif,  pour écraser des manifestants qui revendiquent justice et respect des libertés, droits qui leur sont inaliénables. Selon quelques critiques,  la France toujours très calculeuse, aurait même entretenu des liens étroits avec la Tunisie, son ancienne colonie en soutenant le gouvernement laïc de Ben Ali, juste pour s’en servir  comme un bouclier contre les fondamentalistes et islamistes, appelés les «barbus» et « poseurs de bombes ».

 

La révolution « des autres » pour régler de vieux comptes ?

Au lendemain de la bévue diplomatique française (Alliot-Marie) ou du « Tunisian gate », la contagion révolutionnaire chez le voisin libyen a brusquement révélé un gouvernement Sarkozy , très opportuniste et reprenant du poil de la bête, car miraculeusement métamorphosé en faisant tout pour  laver l’affront subie par sa politique bancale en direction de Tunis, à l’aube de la révolution tunisienne (mère de toutes les révolutions démocratique contemporaines dans le monde arabe). En effet l’Hexagone a soudain abandonné sa traditionnelle « neutralité » pour se  transfigurer comme Jésus-Christ sur la montagne. Curieuse surprise, pour une première fois, la France qui avait naguère fui pour des raisons de convenance et de moralité, la coalition du Président Bush contre Sadam Hussein d’Irak, incita ses alliés de l’OTAN à une campagne contre le leader Libyen Ghadaffi, prenant l’initiative (au lieu d’attendre le conseil de sécurité de l’ONU), de faire bombarder par l’aviation OTAN, des troupes du guide libyen qui usaient de leurs tanks contre des  manifestants non armés. Cela était étrange car la France est toujours fugace lorsqu’il faut entreprendre de telles initiatives. Certains sont d’avis que la métamorphose  surprise de la France a semblé être beaucoup plus  une mise en scène mécanique, qu’un sursaut désintéressé, spontané et naturel pour la défense de la « liberté » en danger. Mais Il faut tout de même reconnaître une vérité ; la coalition de l’OTAN n’aurait jamais aussi audacieusement affronté  le Leader libyen,  n’eut été  les soulèvements et divisions  interne dans son pays. Le dirigeant libyen était déjà  affaibli par des révoltes intestines lorsque cette coalition de l’OTAN sauta furtivement sur l’occasion pour régler au Guide libyen son compte ; c’est de l’opportunisme guerrier.

En effet en 1988, l’audace de Ghadaffi avec ses terroristes à son comble, avaient semé la panique en France et en Grande-Bretagne, en faisant exploser leurs avions commerciaux, respectivement dans le désert du Niger et au-dessus de Lockerbie. Par ailleurs,  la France en se joignant aux forces alliées (OTAN) sous le mandat de l’ONU pour combattre les troupes de Ghadaffi sur le sol libyen, avait tenté de se refaire un plumage de super puissance garante et protectrice de la liberté, la dignité et la démocratie chez les « peuples en danger » ; surtout qu’après le fiasco tunisien l’opinion internationale avait commencé  à douter des vraies intentions de la « Mère des Libertés », perçue paradoxalement plus par les critiques  comme le parrain des tyrans et des dictateurs africains de tous alois, qu’une véritable mère des libertés libératrices.

En vérité ce qui motivait  l’OTAN et  la France, qui ont rejoint la révolution libyenne de manière opportuniste, c’était tactiquement de faciliter une victoire rapide des rebelles sur les troupes du dictateur libyen, et dans la foulée, contrôler la reconstruction économique de la Libye, s’approprier et se partager entre eux tous les juteux contrats pétroliers, soit le prix de l’effort de guerre. Pour preuve tangible, on a constaté à peine la guerre terminée, que le Français Nicolas Sarkozy et le britannique David Cameron ont sauté à la hâte sur Tripoli, en visite de reconnaissance où ils furent triomphalement reçus par les rebelles du CNT comme parrains de la révolution, dans la capitale libérée, totalement en liesse, en Septembre 2011 ; étant donné que la  contribution stratégique des bombardements de l’OTAN, avait été un facteur déterminant pour la victoire. Ghadaffi fut  finalement capturé et assassiné par les rebelles CNT, aux abords d’une rigole où il s’était  terré, près de Misrata, le 20 octobre 2011. Sur les atermoiements  ou le cache-cache politique français  L’analyste français,  Bromberger déclare:
Est-ce qu’on est dans un pays qui a inventé les droits de l’Homme…La France était à la traine, muette, alors que Barak Obama et Angela Merkel, David Cameron entrent action… la frilosité de la France devant l’histoire s’explique par la peur de l’islamisme…[3]

 

Luder écrit:

La France et ses autres pays voisins européens parlent beaucoup des droits de l’homme, de liberté et de démocratie, mais le cas de la Tunisie (ancien État policier), sa préoccupation réelle et ses priorités sont la coopération pour réduire l’immigration à travers la Méditerranée, et lutter contre la nébuleuse Al Qaïda, (2011)


Il ajoute:
… l’Occident (France) tient une rhétorique assez rigide à l’encontre des arabes qui ne coopèrent pas … comme la Syrie, l’Iran … tandis que d’autres États sont tolérés ou soutenus (l’Arabie Saoudite)… qu’ils soient des États policiers répressifs ou non.

 

Et il conclut:

 

Je pense qu’en France, en Allemagne et bien d’autres pays, les politiciens ont tout simplement appris à comprendre qu’il n’y a pas de démocratie en Afrique du Nord… Nous, en Europe, nous, en Occident on s’en moque éperdument, tant que nous pouvons faire des affaires,

     

Plusieurs décennies après la Révolution française, la France a euphoriquement  mis en application l’héritage de sa révolution (le droit fondamental écrit en trois  caractères gras et dorés « Liberté, Egalité, Fraternité » dans sa constitution ;  en créant en amont une «société égalitariste». Mais qui est égal à qui ?  l’héritage universel à trois mots, liberté, fraternité, égalité, curieusement cessent de fonctionner lorsque les droits d’Africains ou d’autres peuples sont concernés. Ce patrimoine universel d’apparence,  semble être la propriété exclusive des fondateurs hellénistes. Les concepts liberté, fraternité, égalité  désormais très ambigus, avaient au départ été taillés sur mesure comme un manteau, pour satisfaire plus les goûts du tailleur que ceux de sa clientèle, et peut-être pour mettre fin à l’esclavage. Ils  sont polysémiques, car Il y a aujourd’hui une interprétation qui convient à certains types de politiciens et politicards français et une autre interprétation pour les autres (les  Africains par exemple) ;  voilà en quelque sorte un marché de dupes. Certains critiques iconoclastes français comme François Furet (18ème -19ème) siècles, pressentant le malaise à venir, avaient déjà opté, il y a quelques siècles et pour des raisons évidentes, de fermer les pages de la nébuleuse Révolution française et cela  fut un grand choc à l’époque. Mais aujourd’hui, ce n’est qu’une grandissime désillusion. On découvre en Afrique une  France soutenant un horde de potentats, de dictateurs (Tunisie) et autres monarques absolus qui  confisquent le processus démocratique  pour leurs usages personnels et asservissent leurs peuples. Paradoxalement une France libre et anti-libertaire qui conserve « manu militari »  ses bases militaires sur des territoires indépendants de par le monde, pour poser constamment le regard d’aigle sur ses intérêts économiques et puis riposter  immédiatement en cas de soulèvement de nationaliste, en lutte pour leur liberté totale contre la présence contraignante des forces impérialistes (exemple, la Côte d’ Ivoire). La France qui entrave parfois la liberté des autres, en restant indifférente aux violations des droits de l’homme ; un silence qui cautionne les fraudes constitutionnelles et électorales, pour préserver le statu quo tyrannique ; abandonnant  quelque part  à leur sort des peuples épris de liberté et en même temps frustrés. Compte tenu de la complexité du trio des concepts, François Furet (1990:31) en se « lavant les mains » à la façon de Ponce Pilate, avait déclaré : « La Révolution française est terminée ». S’appuyant sur l’ aphorisme de Furet et gardant  à l’esprit la dure expérience africaine de la « liberté », confrontée chaque jour aux paradoxes crées par cette même révolution trois fois sainte (liberté, fraternité, égalité);  contemplant avec vif intérêt des révolutions de type nouveau qui dans les faits viennent déconstruire une philosophie branlante qui sous tend des doctrines révolutionnaires occidentales aux multiples contradictions, ne devrions-nous pas nous risquer  d’affirmer bien plus pire que le premier, que «la Révolution française s’est suicidée… Vive le « Printemps arabe », et qui sait demain peut être …le « Printemps africain » ?

 

 

 

 

Bibliographie:

 

Bertell, Ollman, Alienation: Marx’s Concept of Man in Capitalist Society. Cambridge University Press, (1971).

Eugene Kamenka, “The concept of a political Revolution” in Georges A. Kelly and Clifford W. Brown (Eds), struggle in the state. Sources and pattern of World Revolutions. New York: John Willey and sons (1970):111.

Fauchois, Yann, “Debate on the Bicentenary: closing the revolution” in Emeka Nwokedi et J.D., French Revolution: a Nigerian perspective, Ibadan: Macmillan Nigerian Limited (1990): 31.

France, “Ministère des Affaires Etrangères”, Ed. La Documentation Française, 1996.

François Xavier Vershave, La Françafrique: le plus gros scandale de la République.  Edition Stock, 1999.

James Davies et Gr. Why Men Rebel. New Jersey: Princeton University Press, 1970.

Kaye Whiterman, “The Man Who ran Françafrique”,The National Interest, Fall, 1997.

Perez, Zagorin, “Theories of Revolution”. Contemporary Historiography. Political Science Quarterly Vol 88 March 1973, P. 52.

Tocqueville, Alexis de. The Old Regime and the Manifestation of the French Revolution. New York, 1955.

 

 

 

Ressources en ligne:

– Wikipedia .“Françafrique”, June 2011. < wikipedia.org :>

-LÜders Michael “Turning a blind eye”, independent political analyst and expert on Middle East politics, from the website <Dw-world-De deutsche Welle.> 22nd February 2011. author:  Andrew Bowen.

-Lochbihler Barbara, from the same source. 22nd Feb. 2011.  <Dw-world-De deutsche Welle >

The pace setters for a free society in France who in the aftermath of the war of independence in America, started the French revolution as visionaries, planted a milestone in the path of human rights and dignity “liberté,égalité,fraternité”. But these principles through the centuries, turned out later to be nebulous in the eyes of many scholars.

 


[1] Michael Luder est un expert  analyste politique indépendant et un spécialiste du Moyen Orient

[2] Michèle Alliot Marie ex- ministre français des affaires étrangères est citée par Michael Luders dans son article « Turning a blind eye » in Deutsche welle

[3] Bromberger, Dominique . 2011. “J’ai mal à la France”, article of a Tribune in the journal Le Monde, February 2011, an interview with TV5 Monde.