Tribunes

Douce France

Rien ne vaut l’éloignement de la terre natale pour qui veut porter sur elle un jugement tant soit peu objectif. En l’occurrence la distance n’était pas grande puisque nous nous sommes contentés de traverser les Pyrénées.

Les Français – enfin beaucoup d’entre eux – ont tendance à voir leur pays comme le nombril du monde. Son ancienne culture, ses monuments, le raffinement de sa cuisine, ses écrivains, ses intellectuels et ses artistes sont réputés lui conférer un prestige à nul autre pareil. Un prestige qui ne résiste pas, cependant, à un bref séjour à l’extérieur.

A priori l’Espagne ne semble pas une concurrente bien redoutable : ne s’agit-il pas d’un pays qui traverse une crise économique majeure, avec un taux de chômage apocalyptique et une immigration irrépressible ? Ce n’est pas par hasard que l’Espagne (Spain) fait partie des horribles « PIIGS », ces pays dont l‘impéritie menace la zone euro. Un voyage dans ce pays par les transports en commun, et la visite de quelques hauts lieux touristiques à la propreté immaculée, ont suffi pourtant à nous convaincre que les Français avaient bien des choses à lui envier.

Ses trains par exemple. Les trains à longue distance de la société nationale « Renfe » offrent un degré de confort en seconde classe supérieur à celui que l’on peut espérer même des wagons de première de la SNCF. Qu’on en juge : une prise de courant sur chaque siège pour ceux qui souhaitent utiliser leur ordinateur, des films projetés sur des écrans judicieusement installés dans tout le wagon, avec distribution d’écouteurs individuels à la clef, comme dans un avion. Le contrôle qui inclut l’examen des bagages dans un scanner (à nouveau comme dans le transport aérien) a lieu avant l’embarquement, ce qui n’empêche pas que des contrôleurs passent à plusieurs reprises dans le train, sans avoir besoin d’importuner les passagers puisqu’ils ont en main la liste des sièges réservés.

Rentrés en France, nous nous sommes retrouvés, ma compagne et moi, dans un train interrégional « TEOZ », ralliant Toulouse à Paris. Première déconvenue, le wagon n° 7 dans lequel nos places étaient réservées n’existait tout simplement pas, le train n’en comportant que six. Après avoir consulté vaguement une liste, le contrôleur présent sur le quai a orienté les personnes dans notre cas vers les places numérotées entre 50 et 60 de n’importe quel wagon. Naturellement, beaucoup de ces places étaient déjà occupées, d’autant que nous étions un vendredi soir, à une période de forte affluence. Les voyageurs du wagon n° 7 s’assirent là où ils pouvaient, ou se mirent à errer, en traînant leurs bagages, à la recherche d‘un endroit ou se caser.

Une fois le train démarré, un appel des deux contrôleurs du train invita les voyageurs dans notre cas à les rejoindre et des places dûment disponibles nous furent alors distribuées. Ma compagne et moi-même eûmes la chance, croyions-nous, d’être surclassés. Certes, nous n’aurions pas droit au cinéma gratuit et il n’existait que deux prises électriques pour un compartiment de six places (contre aucune en seconde) et qui se révélèrent hors d‘usage (!), néanmoins les sièges étaient plus confortables, le décor un peu plus avenant que dans la classe inférieure. Par contre, rien n’était prévu pour s’essuyer les mains dans les toilettes, pas plus de serviettes en papier que de séchoir électrique…

Enfin, nous nous serions malgré tout estimés satisfaits,… s’il n’y avait eu les autres voyageurs ! Sans doute la France fut elle naguère le phare de la civilisation : nous nous plaisons en tout cas à le croire. Force est de constater que ce temps est désormais révolu. La crasse de nos villes, encombrées de canettes vides, de papiers gras et envahies par des déjections qui ne sont pas nécessairement celles des chiens mais trop souvent celles de leurs maîtres, démontre hélas que, contrairement à certains autres peuples, nous n’avons pas vraiment progressé en matière de propreté depuis le Grand Siècle.

Des règles existent pourtant, mais elles sont loin d’être suivies par toute la population. Il conviendrait donc, semble-t-il, de les lui inculquer de force. Hélas, le principal des maux français est peut-être cette incapacité à contraindre dont font preuve nos autorités : elles-mêmes souvent peu respectueuses des règles, elles ne seraient au demeurant pas vraiment qualifiées pour imposer une politique d’ordre public…

Un examen même superficiel des comportements des fonctionnaires chargés de faire respecter les lois fait apparaître combien ils sont réticents à exercer leur métier. Les policiers répugnent à arrêter des délinquants dont ils savent qu’ils seront absous par les magistrats. Les magistrats répugnent, quant à eux, à condamner ces « petits » délinquants, d’une part faute d’un nombre de places suffisant dans les prisons et d’autre part, peut-être, dans un souci louable d’équité par rapport aux puissants qui savent trop bien échapper au glaive de la Justice. On pourrait faire le même constat pour les inspecteurs du travail, ou du fisc, qui ne pèchent pas – c’est le moins qu’on puisse dire – par excès de zèle ! Et c’est ainsi que se généralise, à tous les échelons de la société, le mépris des lois.

Il eût été surprenant que les trains échappassent à ce processus. Au cours d’un voyage d’une durée de sept heures, avec à peu près autant d’arrêts, les contrôleurs ont effectué un seul passage, vers le milieu du trajet. Comme il n’y a pas de contrôle à l’embarquement ni au débarquement, n’importe qui peut donc monter dans le train sans billet vers la fin du voyage, le risque d’être pris en faute étant nul ou presque. Inutile de dire que les personnes les moins éduquées, c’est-à-dire les moins dressées au respect des règles, souvent des jeunes des cités naufragées de la « République », ne refusent pas une occasion pareille. C’est ainsi que nous vîmes monter, deux gares avant la fin du parcours, une bandes de « sauvageons » qui, à l’évidence n’avaient pas un billet de première classe et, probablement, pas de billet tout court.

Par chance ceux-là ne démontraient aucune agressivité et n’entreprirent pas de nous dévaliser. Ils se contentèrent – si l’on peut dire – de se comporter comme s’ils étaient seuls au monde, criant et riant, ou hurlant dans leur téléphone, sans aucun égard pour la tranquillité des autres passagers. Or, vu l’heure tardive – on approchait de minuit – ces derniers, pour la plupart depuis de longues heures dans train, aspiraient au repos.

Tout cela pour ça ! dira-t-on. Tout ce billet pour un non événement : des jeunes sans doute désargentés qui voyagent gratis et qui s’amusent. Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat !

Effectivement, et l’objet de ce papier n’est nullement de mettre en accusation ces jeunes gens qui n’ont fait que ce qu’ils savaient faire… puisqu’on ne leur a jamais appris autre chose. Lorsque les comportements d’incivilité se multiplient dans une société, il est parfaitement vain d’incriminer les incivils. Quoi qu’en pensent certains indécrottables optimistes, la nature humaine ne produit pas spontanément des individus policés, propres et courtois. L’humain naît inachevé et malléable. Élevé parmi les loups, il deviendra loup. Qu’on lui apprenne donc à respecter les autres comme à se respecter lui-même si l’on veut en faire un citoyen modèle.

Évidemment – tous les parents le savent – cet apprentissage exige autant d’efforts de la part des maîtres que des apprentis. La France est-elle capable d’un tel sursaut ? Rien, malheureusement, ne permet de le penser aujourd’hui.

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