Tribunes

La Constitution du Cameroun accuse le régime en place

Les mots ont leurs origines et leurs significations. Le Cameroun a pris sur lui de faire du français et de l’anglais ses deux langues officielles. Il ne peut s’inventer le luxe vicieux de redéfinir les mots d’un idiome colonial français à sa guise. A cet effet, le premier article de la Constitution du Cameroun stipule clairement ceci : « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé. » Quid ?

Depuis le 6 mars 1916, date à laquelle le partage du Cameroun est fait entre la France et l’Angleterre, à la suite de la défaite allemande pendant la première Guerre Mondiale. Le pays vit sous la coupole de deux Etats : le Cameroun Occidental (Nord-Ouest, Sud-Ouest) et le Cameroun Oriental (Nord, Centre-Sud, Est, Ouest, Littoral). Le séparatisme est ici en vigueur.

Ce qu’il faut comprendre à ce niveau, c’est que les deux Etats vont fonctionner, chacun, dans le modèle politique hérité de son tuteur français et anglais. Le « indirect rule » et le « direct rule » vont ériger, chacun, leurs manières de gouverner, administrer, construire, constituer et proclamer ses élites. D’une part, le système français en vigueur au Cameroun Oriental va reproduire l’instinct de l’obéissance politico-administrative de l’élite au tuteur français au point de consacrer le système éducatif et institutionnel aux fins d’une subordination des mentalités à la seule volonté du maître d’hier et encore présent stratégiquement.

Par contre, le Cameroun Occidental a affermi son indépendance politique, se servant certes des canons et vertus acquis de son initiation aux usages polico-institutionnels britanniques. Cette partie du pays se sent ainsi une liberté de ton et de procédés dans sa culture pédagogique et managériale ; ce qui fondera, au fil du temps, la puissance conceptuelle de son élite politique, l’efficacité de son administration, la qualité dans la gestion des affaires courantes, l’adhésion populaire sans crainte ni pression ressenties par ses administrés, et, pour terminer, une indigénisation des instruments législatif et judiciaire.

Ces deux visions qui ressortent des deux Cameroun ont longtemps fonctionné séparément et vont choisir, le 1er octobre 1961, de fonder l’Etat fédéral par le biais de la réunification, plus tard par référendum, le 18 mai 1972.

Dès lors, il s’agit de raisonner sur le sens des mots, dans leur contexte d’utilisation. Si l’Etat unitaire est une forme de dévolution du pouvoir qui reconnait l’unité politique en un seul individu qui l’incarne pour le peuple, le mot, dans le contexte camerounais, mérite quand même une nuance. Quand on parle d’abord de fédéralisme et par la suite d’unification et de réunification, il s’agit bel et bien de deux constituants différents ayant choisi de faire corps dans leur singularité au sein d’un pays reconnaissant la diversité de ses fils.

Le préambule de la Constitution du Cameroun le fait si bien remarquer : « Fier de sa diversité linguistique et culturelle, éléments de la personnalité nationale qu’elle contribue à enrichir, mais profondément conscient de la nécessité de faire son unité, proclame solennellement qu’il constitue une seule et même nation ». Evidemment, on peut relever que cette « diversité » dont on parle ici n’apparait pas dans le choix des langues officielles du pays. Le Cameroun a choisi de fermer les yeux sur ses 270 langues locales. Elles sont ainsi reléguées aux seconds rôles. Mais, passons !

Un Etat unitaire camerounais ne peut donc pas se permettre de diluer la spécificité anglophone susmentionnée en faisant l’impasse sur l’histoire et ce qui fonde même sa dénomination de pays sous double tutelle.

Bien plus, la décentralisation annoncée en grandes pompes par la Constitution du 18 janvier 1996 n’est toujours pas engagée résolument. Cette décentralisation, si elle était vraiment appliquée, permettrait de rapprocher les cercles de décision du citoyen où il se trouve. Or, Etoudi n’aime pas avoir son marteau au manche court. Il veut continuer à prétendre gouverner avec efficacité avec son marteau au manche long. La gouvernance par téléguidage semble être l’option du pouvoir en place, habitué à décider de tout et à ne rien réussir.

Que ce soit la revendication des avocats, ou celle des enseignants, ou encore celle, bientôt des autres corps de métiers, le problème insurrectionnel qui tente de prendre effet, a pour base véritable, l’absence d’encrage politique de ceux qui prétendent être ressortissants du Cameroun anglophone. Ils ne sont rien d’autre qu’une « élite » illégitime, si oui, une élite désincarnée. N’ayant aucune assise fondée sur le plan local, elle apparaît incapable de jouer le rôle d’interlocuteur avéré entre l’Etat et les frondeurs corporatistes et politiques tapis dans l’ombre ou à découverts. Autant, personne ne croit plus aux revendications postulées, autant, personne ne croit à l’étoffe des délégués du pouvoir central envoyés pour éteindre le feu longtemps étouffé sous la cendre.

Bien plus, cela montre aussi qu’à la base, la région, dans son technostructure actuelle, n’a pas de coudées franches pour penser, agir et régler les problèmes à son niveau, à partir du moment où ils sont posés. Le gouverneur, le préfet et, dans une moindre mesure, le maire n’ont aucun levier, si ce n’est celui essentiellement répressif, pour décider admirativement et financièrement du règlement de quelle revendication pouvant être formulée. Tout se règle toujours à la source, c’est-à-dire à Etoudi.

Une fois de plus donc, nous sommes dans le registre d’une proclamation de bonne intention d’un Etat unitaire décentralisé qui ne renvoie à strictement rien de pertinent sur les terrains politico-institutionnel et administratif.

Dès lors, essayer d’ignorer que le Cameroun est un double ensemble, ignorer que le Cameroun, indivisible dont on parle, ne se consolidera que sous la bannière d’un système politique qui ménage la double spécificité des constituants de cet ensemble à l’hétérogénéité vertueuse, est une menace justement pour son unité. Penser à une homogénéisation du Cameroun est une insurrection étatique construite par l’Etat lui-même alors qu’il est question d’un vivre ensemble où le potentiel différentiel des fils du terroir est sollicité et intégré dans la marche d’un peuple conscient de ses maillons.

Il faut rapidement évacuer de cette visée essentielle les questions liées aux langues et cultures exogènes, car elles sont superflues pour une réflexion sérieuse. La colonisation et les ex-colonisés n’ont aucun droit de continuer d’effacer ce qu’on était avant le contact malheureux de l’Afrique avec l’Occident. On ne saurait se revendiquer une identité imposée sous l’argument fallacieux que c’est la mondialisation qui nous enrichit et nous ouvre au monde en faisant de l’anglais et du français « nos » langues officielles. La Norvège n’est pas moins dans la mondialisation avec ses cinq millions de locuteurs de la langue norvégienne. Donc, le refus de réfléchir, propre à la manière de s’interroger des Camerounais (« on va faire comment ? »), doit prendre fin.

On entend de plus en plus qui pensent que la zone anglophone regorgerait de minerais importants et que les dissidents au régime chercheraient l’insurrection ou la sécession pour s’arroger le luxe de la pleine autorité pour leur exploitation. Ce serait encore verser dans une démarche approximative d’un problème plus sérieux que cela. Si on prend l’affaire par ce bout, il devient alors certain que chacune des dix régions du Cameroun, parce qu’effectivement elles regorgent de tant de biens du sol et du sous-sol, croiront bon de devoir, elles aussi, demander la sécession ! Non ! Restons lucides et réfléchissons au vrai problème.

Le Cameroun est-il un pays bilingue ? Non ! Le Cameroun, est-il un pays multilingue ? Oui ! Le Cameroun a-t-il été proclamé indépendant ? Oui ! Le Cameroun a-t-il une Constitution qui le proclame UNITAIRE et DÉCENTRAILISÉ ? Oui ! Si le oui l’emporte sur le non, qu’attendons-nous donc ? Qu’attendons-nous pour inscrire nos langues locales au rang de langues nationales/régionales officielles ? On pourra réfléchir, pour y parvenir, aux questions de langues, régionales et langues véhiculaires. Qu’attendons-nous pour mettre les municipalités, départements et régions au cœur même de la vie du citoyen ? Qu’attendons-nous pour endogénéiser notre système éducatif pour former des citoyens plus informés sur eux et mieux outillés pour servir leur pays ? Qu’attendons-nous pour donner du sens à notre indépendance, si tant est vrai qu’elle existe donc ? Qu’attendons-nous pour donner du contenu à cette indépendance à travers des gouvernants libres d’esprits et affranchis de tout instinct de subalternes ?

Tels sont donc les vrais problématiques à régler. Pour l’instant, on est encore englué dans des attitudes de chasseurs de primes où, d’une part, il y en a qui s’accrochent à leurs positions de pouvoir et de privilège ; et, d’autre part, qui essayent de contenter, à défaut de chasser le « lion », leur soif du « gâteau » ou des miettes que leur confère le statut nombrilique, puéril et stérile d’ « opposants du régime ».

Moralité : Avec les événements qui ont cours dans la partie anglophone du Cameroun, il se trouve qu’on vient d’avoir là la possibilité de repenser sérieusement ce qui n’a pas marché en 1992. L’opposition, avec le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, doit préparer plus efficacement 2018 avec plus de raison de ne plus échouer et surtout de montrer à un peuple longtemps habitué à être absent dans la construction de son destin, qu’il est possible de faire payer aux gouvernants, frileux devant la nécessité du dialogue, ces morts qui se comptent aujourd’hui. Il n’y a pas meilleur argument de campagne que ces vidéos, actuellement enregistrées dans les smartphones androïdes, qui montrent un régime qui tue, mâte et interdit le contradictoire dans son entreprise inefficace de l’échec éternel.