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« La Domination masculine » et le féminisme

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La Domination masculine est le titre d’un documentaire signé Patric Jean, cinéaste belge engagé. Le film, tourné principalement au Québec, se focalise sur un aspect de la domination masculine : les violences conjugales. Ces dernières, on le sait, mettent en jeu, dans leur immense majorité, un homme tortionnaire en face d’une femme victime. Le propos du film s’articule plus ou moins explicitement ainsi : les hommes constituent une portion primitive de l’humanité (exemple : ils ont le culte du pénis ; ils vont même jusqu’à se le faire rallonger) ; donc ils battent leur femme, parfois ils la tuent. On ignore, au demeurant, quelles sont les parts de l’inné ou acquis dans le caractère primitif des hommes : le cinéaste se montrant particulièrement « politiquement correct », la question de l’inné n’est jamais abordée. La seule explication proposée est l’éducation : les réactions des adultes, les jouets qu’ils offrent aux enfants façonnent des garçons agressifs et des petites filles soumises.

Les femmes demeurent-elles, elles aussi, des êtres primitifs ? Ce n’est pas le propos du film qui met en exergue, d’un côté, des victimes des mauvais traitements infligés par un conjoint  sadique, et, de l’autre côté, des militantes féministes, brillantes et bien dans leur peau. Il existe bien sûr d’autres types de femmes, qui intéressent moins le réalisateur. Le cinéaste évoque pourtant, en passant, celles qui, à l’instar de leurs collègues mâles, font appel à la chirurgie pour rendre plus imposants leurs organes sexuels externes, les seins en l’occurrence. Le jugement implicite du film à l’égard de ces femmes est celui que l’on pouvait prévoir : leur comportement n’est qu’une preuve supplémentaire de la domination masculine, puisqu’elles agissent ainsi d’abord pour plaire aux hommes ; bref, elles sont aliénées. Une séquence montre un homme qui transforme sur photo-shop l’image d’une femme nue en « femme idéale ». Une telle femme, affirme-t-on avec force « ne peut pas exister et d’ailleurs, si elle existait, elle ne pourrait pas avoir d’enfants » (cité de mémoire). Conclusion qui se veut évidente : les hommes essayent d’imposer aux femmes un idéal féminin fantasmatique, qu’elles doivent rejeter, en suivant l’exemple des féministes. Il est significatif que le film ne présente qu’une seule séductrice, sous les espèces d’une strip-teaseuse qui pratique, en dominatrice, des jeux sadomasochistes avec ses clients. La séduction féminine se trouve ainsi réduite à la perversion.

On permettra peut-être à un homme élevé par une mère féministe (militante de la première heure de l’AFDU, association française des femmes diplômées des universités, à une époque où les détentrices d’un diplôme universitaire étaient encore fort rares), et qui n’a jamais levé la main sur une femme, de juger ce film horriblement simplificateur.

Evidemment qu’il faut lutter de toutes nos forces contre les violences faites aux femmes. Evidemment qu’il faut leur donner les mêmes droits qu’aux hommes : accès à toutes les professions (y compris celles de combattantes dans l’armée, si c’est ce qu’elles désirent), salaire égal, des crèches pour permettre à celles qui le souhaitent de faire jeu égal avec l’homme dans la compétition sociale, etc., etc. Là-dessus, l’honnête homme se doit d’être sur la même ligne que les féministes. Et, comme elles le soulignent, il importe, en effet, pour donner les mêmes chances aux jeunes gens et jeunes filles, qu’ils reçoivent exactement la même éducation, ce qui suppose bien, pour commencer, de revoir complètement les jouets, les livres pour enfants, et plus généralement tout le comportement des adultes à l’égard des filles et des garçons. Ajoutons quand même que cette égalité d’éducation est peut-être plus urgente, au moins dans un pays comme la France, pour les garçons, dont les résultats scolaires sont, désormais, systématiquement inférieurs à ceux des filles !

Tout cela est clair et justifie amplement le combat féministe pour l’égalité des droits. Reste un grand nombre de problèmes que certaines (et certains) féministes tranchent trop aisément.

1. L’égalité des droits peut être formelle ou réelle. La femme a le droit de se présenter aux élections législatives (égalité formelle). Ou bien on fait en sorte qu’il y ait autant de femmes que d’hommes à l’Assemblée Nationale (égalité réelle). Le moyen d’instaurer l’égalité réelle s’appelle la discrimination positive. Celle-ci est justifiée lorsqu’il est prouvé qu’il n’y a pas de différence de nature significative entre individus appartenant à des groupes sociaux différents (les noirs et les blancs, les enfants des banlieues défavorisées et les enfants de la bourgeoisie, etc.) Or, pour autant qu’on le sache, la science n’a toujours pas démontré l’inexistence de telles « différences de nature significatives » entre l’homme et la femme. Tout semble même indiquer le contraire : les chromosomes, les dosages hormonaux, les rôles sexuels différent. Il reste peut-être possible que ces différences n’aient pas d’influence sur les comportements non sexuels des femmes et des hommes, mais le moins qu’on puisse dire est que cela n’a pas été prouvé. Dès lors, appliquer la discrimination positive entre hommes et femmes est contreproductif. Revenons à notre exemple : Si les femmes sont relativement moins nombreuses que les hommes à manifester une appétence et/ou une compétence naturelle(s) (et non acquise/s) pour le pouvoir, il est injuste de leur accorder autoritairement le même nombre de députés qu’aux hommes. Nous ignorons, dirons certains, si l’appétence et la compétence sont différentes suivant les sexes. Eh bien oui, nous l’ignorons ! Et c’est justement pour cette raison que nous devons nous contenter de l’égalité formelle des droits.

2. La séduction est sans conteste un comportement naturel. Il n’y a qu’à observer les autres espèces animales (l’humain n’étant qu’un animal à l’intelligence plus développée). La beauté est un élément important de la séduction. Chercher à se rendre plus beau afin d’être désirable est donc naturel, tout autant que cultiver d’autres moyens (un esprit brillant et/ou drôle, un talent artistique, etc.) Les féministes, néanmoins, objectent que les critères de la beauté ne sont pas naturels (cf. plus haut le discours sur l’aliénation féminine). Elles ont, là-dessus, à la fois raison et tort. La croyance dans l’existence d’une beauté idéale est aussi ancienne que Platon. Mais cela ne signifie pas que les humains ne soient pas sensibles à des genres de beauté différents. Tenter d’imposer aux femmes comme aux hommes un seul idéal de beauté féminine est donc destructeur (ou aliénant). Mais interdire, au nom du féminisme, aux femmes (comme aux hommes) d’utiliser des moyens, même « artificiels », pour se rendre plus belles (ou plus beaux) serait tout aussi contraire à la nature.

Où passerait d’ailleurs la frontière entre le naturel et l’artificiel ? Celui ou celle qui pratique la musculation parce qu’il ou elle se trouve plus séduisant(e) avec des muscles développés que sans emploie-t-il un moyen artificiel ? Celle ou celui qui se coiffe d’un postiche parce qu’elle ou il juge sa chevelure trop étriquée emploi-t-elle ou il un moyen artificiel ?

3. La liberté laissée aux femmes de se comporter comme elle leur plaît est un autre thème – d’ailleurs contradictoire avec le précédent – défendu par un certain courant féministe. Les femmes ne devraient pas recourir à la chirurgie esthétique mais elles devraient pouvoir se promener en public dans la tenue qui leur plaît, y compris la plus sexy, si telle est leur fantaisie du moment. L’idée sous-jacente est la suivante : la femme a le droit de séduire, donc de se montrer aussi séduisante qu’elle en a envie, mais les hommes, eux, n’ont pas le droit de se montrer séduits, et de se comporter eux-mêmes en séducteurs, etc., sauf s’ils y ont été dûment autorisés par la personne qui s’est montrée, devant eux, séductrice. Le modèle de comportement féminin ainsi défendu est vieux comme le monde : c’est celui de la femme fatale qui a tous les hommes à ses pieds et choisit, à son gré, celui ou ceux au(x)quel(s) elle accordera ses faveurs.

Un tel modèle ne fonctionne qu’à deux conditions : soit la femme est dotée d’un charisme plus fort que le désir des mâles, soit elle a en face d’elle des mâles préalablement castrés (au sens figuré, bien sûr). Laisser d’innocentes (?) collégiennes faire l’étalage de leurs charmes précoces devant des adolescents (et des adultes) qui n’auraient pas subi au préalable cette castration mentale serait donc extrêmement risqué. Sous cet aspect, le programme féministe organise non pas l’égalité des femmes et des hommes mais la domination des unes sur les autres. Certes, les féministes ne présentent pas les choses ainsi et préfèrent parler d’ « égal respect ». Je te laisse, disent-elles aux hommes, t’habiller comme tu veux. Laisse-moi faire de même sans m’importuner. Ce faisant, elles appliquent à la lettre la morale libérale, laquelle se résume à deux axiomes : je suis libre de faire ce que je veux… à condition de ne pas nuire à autrui. Mais la provocation n’est-elle pas une forme de nuisance ? En niant l’existence d’une provocation, les féministes font comme si la libido masculine était la même que la leur,… contre les enseignements les plus probables de la science (dans un domaine où il est certes difficile d’avoir des certitudes).

On objectera que la frontière entre le masculin et le féminin est floue, que nous avons tous une part de féminité et de masculinité, que certains humains ont du mal à déterminer leur identité sexuelle. Cela est incontestable mais n’implique pas pour autant que les humains dotés d’un corps d’homme ne soient pas majoritairement, dans leur psyché, des hommes, et de même pour les humaines. Cette objection ne fait au fond que renforcer la thèse des partisans de l’égalité simplement formelle des droits des femmes et des hommes.

4. Il faut enfin revenir sur le propos principal du film : les violences conjugales. Qu’elles soient barbares, inexcusables, on l’a dit. Il n’en est pas moins curieux de constater que la plupart des hommes qui maltraitent leur compagne se comportent en société d’une manière parfaitement normale, voire charmeuse et charmante. Ce point est crucial, car il est le signe irréfutable que c’est le couple qui est en cause dans ces violences. Comme le confirment au demeurant les cas inverses, certes moins fréquents, de violences conjugales où c’est la femme qui se fait la tortionnaire de son compagnon. Car le couple – la figure du un contre un, sans personne au-dessus pour jouer le rôle de l’arbitre – devient presque inévitablement un enjeu de pouvoir, donc le lieu de conflits. On avance parfois, pour le défendre, que le couple serait nécessaire afin de présenter aux enfants à la fois un modèle masculin et un modèle féminin. En réalité, on ignore si cette thèse – très peu féministe au demeurant – est valide. Et même si elle l’était, elle ne serait pas incompatible avec d’autres organisations de la famille que le couple parental. De tout temps, des humains éclairés ont essayé des modes d’association entre les deux sexes différents du modèle dominant. En outre, certaines sociétés primitives se passent complètement du couple formé par les parents biologiques. Nous ne sommes nullement obligés de perpétuer cette institution mortifère. Alors commençons, par exemple, par exiger du législateur la suppression de tous les avantages fiscaux liés à l’appartenance à un couple institué !

A l’occasion de la journée de la femme, le 8 mars 2011.